Libération - 10.03.2020

(Dana P.) #1

6 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mardi 10 Mars 2020


E


lle sort du bureau de campa-
gne de Bernie Sanders, nous
adresse un sourire discret
puis disparaît au coin de la rue. Il
est 17 heures samedi à Springfield,
ville de 150 000 habitants dans le
sud-ouest du Missouri, lorsqu’on
croise le chemin de cette bénévole
blonde en jean, baskets et parka.
Après avoir reçu de brèves consignes
de l’équipe du sénateur socialiste,
elle part faire du porte-à-porte en sa
faveur, à trois jours de la primaire
démocrate. On presse le pas pour la
rattraper, péniblement, à un pâté de
maisons de là, et l’interroger sur son
engagement militant, comme on l’a
fait à des centaines de reprises au fil
des campagnes américaines. Sauf
que, cette fois, la conversation prend
une tournure inattendue. «J’ai...
j’ai... j’ai fait un accident vasculaire
cérébral et il m’est parfois difficile de
trouver les mots», s’excuse presque
Joanna Woody, 41 ans.
Dix ans après cet AVC, dû à une
malformation cérébrale inopérable,
Joanna conserve des troubles de la
parole et une légère rigidité du vi-
sage. Pas de quoi la dissuader pour
autant d’aller toquer aux portes
pour tenter de convaincre, avec ses
mots et son histoire, des mérites de
Bernie Sanders. «Je fais campagne
pour lui, car notre pays a besoin
d’un changement majeur, notam-
ment en matière de santé. En tant
que personne invalide, je bénéficie
de l’assurance médicale publique,
ainsi que d’aides pour me loger et me
nourrir, raconte-t-elle. Mais mon
colocataire, lui, malgré deux em-
plois à plein temps, n’arrive pas à
boucler les fins de mois et n’a pas
d’assurance. Comme je ne peux pas
travailler, j’ai beaucoup de temps. Je
le mets à profit pour contribuer au
mouvement et me battre pour le
reste de la société.»
Cette idée de se démener pour les
autres, de «se battre pour un in-

connu», Bernie Sanders en a fait,
plus encore qu’il y a quatre ans, la
ligne directrice de sa campagne.
Son slogan officiel «Not Me. Us»
(«Pas moi. Nous») et plusieurs de
ses phrases choc renvoient à cet
éloge du groupe, de la communauté
citoyenne, et à la dénonciation en
creux d’un individualisme rava-
geur. Surtout quand les élites politi-
ques et économiques, sous couvert

de libéralisme, organisent selon lui
le système à leur avantage : «Nous
avons le socialisme pour les très ri-
ches et l’individualisme forcené
pour les pauvres», martèle le séna-
teur du Vermont à chacune de ses
apparitions.
Ce mardi, six Etats (Missouri, Mi-
chigan, Washington, Mississippi,
Idaho et Dakota du Nord) votent
lors du «Big Tuesday». Une nou-

velle journée cruciale, en particu-
lier pour le camp Sanders, après sa
performance décevante il y a une
semaine. Ressuscité par sa victoire
en Caroline du Sud, le ralliement
de plusieurs candidats et le soutien
massif de l’électorat noir, Joe Biden
a en effet remporté dix des qua-
torze Etats en jeu lors du Super
Tuesday. L’ancien vice-président
dispose d’une légère avance en ter-

mes de délégués, même si tous
n’ont pas encore été attribués, no-
tamment en Californie, remportée
par Sanders.

«QUOI QU’IL ARRIVE, JE
N’ABANDONNERAI PAS»
«Le combat continue. Parfois c’est
difficile, comme la semaine dernière
lors du Super Tuesday. Le parti es-
saie à nouveau de faire barrage à
Sanders à tout prix. Les ralliements
de dernière minute à Biden juste
avant le vote ne m’ont donc pas sur-
pris. Et encore moins découragé»,
explique Derrick Nowlin. Cet ingé-
nieur de 49 ans et militant pacifiste
de longue date fait partie des pre-
miers à s’être mobilisés à Spring-
field pour Bernie Sanders, dès
l’été 2015. «Quoi qu’il arrive, je
n’abandonnerai pas. J’ai attendu
toute ma vie l’émergence d’un mou-
vement comme celui-ci. Et je ne me
bats pas pour moi, mais pour mes
enfants et petits-enfants», dit Now-
lin, par ailleurs candidat à la Cham-
bre des représentants de l’Etat.
Cinq semaines après le début des
primaires dans l’Iowa, la course se
résume désormais à un duel entre
Biden et Sanders. Deux hommes qui
n’ont en commun que leur âge
avancé et le fait de briguer l’investi-
ture démocrate. Tout le reste les op-
pose : leur parcours, leur analyse de

MONDE


Par
FRÉDÉRIC AUTRAN
Envoyé spécial à Springfield,
Missouri
Photos JASON CONNEL

«Bernie Sanders


a allumé une flamme


qui ne mourra pas»


REPORTAGE


Mis en difficulté par Joe Biden la


semaine dernière lors du «Super


Tuesday», le sénateur du


Vermont a besoin de relancer


sa campagne. Ses espoirs


passent notamment ce mardi


100 km par le Missouri.


NEBR.

IOWA

ARKANSAS

KANSAS

ILLIN
OIS

KEN.

MISSISSIPPI

OKLAHOMA

TENN.

Missouri

Missis
sipi

Jefferson City
MISSOURI

Springfield

La réunion publique de samedi intervenait à trois jours de la primaire dans cet Etat crucial.
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