Libération Mardi 10 Mars 2020 u 7
L’acteur Ray Fischer
échange avec des
militants de Bernie
Sanders samedi à
Springfield, dans le
Missouri.
l’élection de Donald Trump et la
stratégie pour le battre. Là où Ber-
nie Sanders considère la victoire de
Trump comme l’expression de la
colère des laissés-pour-compte d’un
système profondément inégalitaire,
Joe Biden, lui, y voit un accident de
l’histoire. Auquel il faut répondre
par un retour à la normalité. Derrick
Nowlin exprime son désaccord : «Il
est temps pour le Parti démocrate de
retrouver ses racines progressistes.
Bernie veut reprendre le flambeau
du New Deal de Roosevelt, et je pense
que le peuple est prêt pour cela. La
raison majeure de l’élection de
Trump est que les gens sont fatigués
des mêmes politiciens et du même
jeu politique dont ils sont toujours
les grands perdants.»
Pour motiver les troupes dans cet
Etat du Midwest perdu de justesse
par Bernie Sanders face à Hillary
Clinton en 2016, la campagne a dé-
pêché samedi soir à Springfield
trois de ses figures nationales. Dans
l’arrière-salle du bar Coyote, aux
murs tapissés de casques de foot-
ball américain, Cori Bush (candi-
date au Congrès américain dans le
Missouri), Amy Vilela (candidate
dans le Nevada en 2018) et l’acteur
Ray Fisher échangent avec une
vingtaine de militants. Les discus-
sions, approfondies, ne portent pas
sur le programme, Trump ou Biden.
Mais sur le «mouvement», sa place
dans l’histoire et son ambition de
changer en profondeur la face des
Etats-Unis.
«MENTALITÉ AU RABAIS»
«Beaucoup d’Américains sont pri-
sonniers d’un cycle de dette, médi-
cale ou éducative. Les autres s’esti-
ment heureux de ne pas en avoir.
«Il est temps pour
le Parti démocrate
de retrouver ses
racines
progressistes.
Bernie veut
reprendre le
flambeau du New
Deal de Roosevelt,
et je pense que le
peuple est prêt
pour cela.»
Derrick Nowlin militant
pro-Bernie Sanders du Missouri
Mais dans un pays comme les Etats-
Unis, les citoyens devraient pouvoir
aspirer à davantage qu’à ne pas
avoir de dette. Il faut se débarrasser
de cette mentalité au rabais», lance
Ray Fisher. Il souligne que la «révo-
lution» promue par Bernie Sanders
ne se fera pas en un jour : «Nous vi-
vons dans une société orientée vers
des résultats rapides, mais vous de-
vez comprendre que ce combat ne
sera jamais terminé. Que Bernie
Sanders devienne ou non le prochain
président des Etats-Unis, la conver-
sation a irrémédiablement basculé.
S’il perd, le mouvement continuera,
car nous sommes maintenant ré-
veillés. Bernie Sanders a allumé une
flamme qui ne mourra pas.»
Dans la salle, Kimberly Clark,
28 ans, prend la parole : «Le vote des
jeunes est crucial pour Bernie. Mais
autour de moi, beaucoup sont telle-
ment désabusés par la politique
qu’ils refusent d’aller voter. Cela
m’inquiète et me démoralise un
peu.» Tour à tour, les trois interve-
nants lui répondent et l’exhortent
à ne pas lâcher. «Vous êtes essentiels
à ce mouvement. Nous avons besoin
de vous, nous ne pouvons pas le faire
sans vous, martèle Cori Bush. Dans
les moments de doute, souvenez-vous
de la raison pour laquelle vous vous
impliquez, des gens pour qui vous
luttez.» Amy Vilela, qui a perdu
en 2015 sa fille de 22 ans à cause
d’une embolie pulmonaire détectée
trop tard faute d’assurance santé,
ajoute : «Aucun des grands mouve-
ments de notre histoire, que ce soit
les droits civiques ou la lutte pour le
droit de vote des femmes, ne s’est fait
du jour au lendemain ou en une ba-
taille. Voilà le type de transforma-
tion que nous portons. Ne baissez
pas les bras. Nous nous battons pour
sauver la vie des gens. Quelle cause
est plus juste que celle-ci ?»
«L’HEURE EST VENUE»
Les échanges ont visiblement re-
gonflé Kimberly Clark, qui a grandi
dans une ferme et dans la pauvreté
au nord de Springfield et a pu aller
à l’université grâce à une bourse fé-
dérale réservée aux plus démunis.
Cheveux auburn au carré, piercing
dans le nez, la jeune femme porte
un tee-shirt avec un dessin de
Bernie Sanders et cette légende, en
référence à Star Wars : «Aide-nous,
Bernie. Tu es notre seul espoir.» Son
espoir à elle, Kimberly le tire aussi
des républicains qu’elle côtoie :
«Donald Trump est le cocktail Mo-
lotov qu’ils ont jeté au système qui
les a rendus si aigris, si impuis-
sants. Mais je sais qu’ici, dans le
Missouri, certains seraient prêts à
voter Bernie, car ils partagent son
envie d’un monde meilleur. Nous
sommes un pays très jeune. Je crois
que parfois, parce que nous vivons
sur une terre très ancienne, nous
entretenons l’illusion que nous som-
mes une nation comme la Chine,
la France ou d’autres pays europé-
ens qui ont résisté à l’usure du
temps. Ces pays ont connu de nom-
breux cycles, et je crois que pour
nous, l’heure est venue. J’aime mon
pays. Je l’aime tellement que je lui
dis : “Tu es en train de tout gâcher,
il est temps de changer de vie.”» •
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