Les Echos - 10.03.2020

(Rick Simeone) #1
France est e ncore très l oin de ce scé-
nario noir. Mais Bruno Le Maire l’a
dit hier à Bercy : « A partir du
moment où l’épidémie progresse, les
difficultés é conomiques augmentent.
Je ne vais pas vous dire que la situa-
tion économique va s’améliorer dans
les prochaines semaines. » n

Guillaume de Calignon
@gcalignon


Le coronavirus est en train d’avoir
raison d e la croissance française. La
Banque de France a annoncé lundi
matin qu’elle ne tablait plus que sur
une progression de 0,1 % du PIB au
premier trimestre. Il y a un mois,
elle s’attendait encore à une crois-
sance de 0,3 %. Les chefs d’entre-
prise français dans l’industrie et les
services s’attendent à un recul de
l’activité en mars.
L’Hexagone voit nettement s’éloi-
gner la perspective d’une hausse de
1,3 % du PIB sur l’année espérée par
le gouvernement en janvier.
D’autant que les entreprises inter-
rogées p ar l a Banque d e France l ’ont
été entre le 26 février et le 4 mars.
L’épidémie avait déjà commencé
sur le sol européen, mais elle a pris
de l’ampleur depuis.
« L’impact du choc coronavirus
sur l’activité économique est difficile
à chiffrer, mais il n’y a aucune raison
de penser qu’il sera bénin »
, affirme
Bruno Cavalier, chef économiste de
la banque Oddo. Lundi matin sur
France Inter, le ministre de l’Econo-
mie, Bruno Le Maire, a indiqué que


l’impact économique du coronavi-
rus sur la croissance française de
2020 serait « sévère », de l’ordre de
« plusieurs dixièmes de point ». Pour
le locataire de Bercy, « on peut par-
faitement envisager [d’] être en des-
sous de 1 % de croissance du PIB en
2020 ». Mais il ne donnera pas de
chiffre précis avant le 15 avril.
Toutefois, l’incertitude est telle-
ment importante sur l’impact du
coronavirus, que l’on peut aussi
imaginer un rebond de l’activité
économique dès l’été si l’épidémie
est enrayée. La croissance pourrait
alors suivre une courbe en V, et
donc se rattraper au cours de la
seconde moitié de l’année. Le
brouillard est en tout cas complet,

constituant d’autre part un facteur
aggravant puisqu’il paralyse les
entreprises, tentées de geler leurs
projets d’investissements face à
l’inconnu.

Pertes à l’export
Les économistes de S & P Global
Ratings ne tablent plus que sur une
croissance de 0,7 % cette année en
France. Ils pensent également que
l’économie allemande stagnera en


  1. Mais d’autres, comme ceux
    de Moody’s, s’attendent à ce que la
    croissance française résiste et
    s’élève à 1,1 %. A l’inverse, ils esti-
    ment que l’économie italienne sera
    en grande difficulté cette année, et
    verra son PIB reculer de 0,5 %. De
    leur côté, les experts d’Euler
    Hermes estiment que les pertes tri-
    mestrielles potentielles à l’export
    pour les entreprises françaises
    pourraient atteindre 18 milliards
    d’euros pour chaque trimestre qui
    connaîtra une perturbation de
    l’activité.
    Deux chercheurs australiens de
    la Brookings Institution, un think
    tank de Washington, ont eux cal-
    culé que si le coronavirus touchait
    10 % d e la population f rançaise c ette
    année, le PIB serait amputé de
    2 points. L’Hexagone tomberait
    alors en récession. Evidemment, la


lLes économistes de la Banque de France ne s’attendent


plus qu’à une progression de 0,1 % du PIB sur les trois


premiers mois de l’année en raison de l’épidémie.


lL’ impact sur la croissance représentera « plusieurs


dixièmes de point », a prévenu le ministre de l’Economie.


Coronavirus :


un impact « sévère »


sur la croissance,


prévient Le Maire


ÉPIDÉMIE


LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

I


l y aura un avant et un
après le coronavirus :
c’est un « game changer » ,
un événement qui change la
donne, dit Bruno Le Maire le
25 février, en visant notre
rapport à la mondialisation.
Quinze jours plus tard, il ne
saurait être démenti.
A l’épidémie qui se propage
s’ajoutent les conséquences
« sévères » qu’elle aura sur
l’économie. Les Bourses
plongent, des secteurs
entiers sont impactés
(événementiel, tourisme,
culture..). La crise au carré.
Pour la politique aussi, c’est
un « game changer ».
Emmanuel Macron comptait
sur les semaines suivant les
élections municipales pour
tourner la page des retraites,
et plus généralement des
questions économiques et
sociales, et donner au
quinquennat cette
orientation verte qu’il
annonce depuis un an. Le
pourra-t-il quand ses
précieux « résultats » sont
menacés? Chez les ministres,
les mots « récession » et
« reprise du chômage » se
murmurent tout bas.
Sur le papier, gérer une crise
économique semble plus aisé
qu’une maladie qu’on ne
connaît pas. 2007-2008 est là
en exemple. Et d’ailleurs,

Bruno Le Maire et Muriel
Pénicaud ont retenu que
l’Allemagne avait alors
dégainé vite le chômage
partiel pour amortir la
bourrasque. La France cette
fois n’a pas attendu.
Mais être en terrain plus
connu n’est pas toujours un
atout. En matière sanitaire, les
politiques s’appuient sur les
experts médicaux ; en matière
économique, ce sont eux
qu’on veut voir agir en experts.
L’attente est grande. Les faux
pas se liront vite. Les
oppositions n’auront pas sur
le sujet le réflexe d’union
nationale – Marine Le Pen
exceptée – : elles s’opposeront.
Dans une crise au carré,
difficile de ne pas en
privilégier une. Pour
Emmanuel Macron, déjà
perçu dans l’opinion comme
un président plus attentif aux
chiffres qu’aux gens, le sujet
économique ne peut arriver
qu’en second, même si l’on
sait les impacts humains de
la récession et du chômage.
Cette semaine encore, c’est
plutôt sur la crise sanitaire
qu’il entend se montrer.
« Rassurer, s’assurer que la
chaîne sanitaire tient, que tous
les acteurs sont à leur place » ,
dit un proche.
En revanche, sans attendre, il
invite « nos partenaires
européens à coordonner les
mesures sanitaires, les efforts
de recherches et notre réponse
économique ». La façon de
lier les deux sujets s’appelle
l’Europe, sujet qu’il avait mis
au cœur de sa campagne de
2017... mais sujet aujourd’hui
bien malade.
[email protected]

Le « game changer »


Si le coronavirus va modifier notre rapport à la
mondialisation, il percute aussi la donne politique.
L’exécutif ne peut plus considérer que les chantiers
économiques sont derrière lui.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

« On peut
parfaitement
envisager d’être
en dessous de 1 %
de croissance
du PIB en 2020. »
BRUNO LE MAIRE
Ministre de l’Economie

cette responsabilité incombe à
l’employeur (via une déclaration à
l’Assurance-maladie sur
Declare.ameli.fr). Et pas question
que les deux parents en bénéficient.
Autre point clé : le ministère fait
désormais la distinction entre sala-
riés lambda, « cas contact » (c’est-à-
dire entrés en contact avec un
malade), et « cas confirmé ».

- ACTUALISER
LE DOCUMENT UNIQUE

Chaque entreprise doit renouveler
son évaluation des risques profes-
sionnels « en raison de l’épidémie
pour réduire au maximum les ris-
ques de contagion sur le lieu de tra-
vail ou à l’occasion du travail ».
Et
actualiser en conséquence son
document unique d’évaluation des
risques. Tout employeur a en effet
l’obligation de veiller à l’adaptation
« constante » des mesures de pré-
vention prises « pour tenir compte
du changement des circonstances »

en se concentrant sur les enjeux de
« contamination » et de « contact
étroit ».

Et, si un ou p lusieurs salariés pré-
sentent « un risque sérieux d’être
contaminés »
, il appartient à
l’employeur de prendre des mesu-
res de réorganisation des postes de
travail en privilégiant le télétravail
et en évitant les contacts avec les
personnes fragiles, les sorties ou
ré unions non indispensables et les
contacts proches (cantine, ascen-
seurs). Un exercice qui pourra s’avé-
rer compliqué, car les salariés n’ont


« contact à haut risque », auquel
cas, elle doit être mise en arrêt de
travail pendant quatorze jours.

- « CLUSTER » ET CONTACT
AVEC LE PUBLIC

Le questions-réponses traite aussi
des salariés lambda résidant dans
un cluster. Il leur est conseillé de
« réduire [leurs] activités, de limiter
[leurs] déplacements et d’en infor-
mer
[leur] employeur ». Mais pas de
s’abstenir d’aller travailler. « Le res-
pect par le salarié des mesures dites
“barrières”
[...] et la vérification par
l’employeur de leur mise en œuvre
constituent une précaution suffi-
sante pour limiter la contamina-
tion »
, précise le ministère du Tra-
vail. « La seule circonstance qu’un
collègue réside d ans u n cluster n e suf-
fit pas »
à justifier u n droit de retrait,
« sous réserve de l’appréciation sou-
veraine des tribunaux »,
est-il tout d e
même précisé.
Répondant au précédent du Lou-
vre, qui a fermé plusieurs jours à la
suite de l’exercice par ses salariés
d’un droit de retrait, la note aborde
aussi la question des postes de tra-
vail au contact avec le public. Si les
contacts sont brefs, les mesures
barrières sont jugées suffisantes. Le
fait d’être « affecté à l’accueil du
public et pour des contacts prolongés
et proches »
ne suffit « pas à pouvoir
exercer u n droit individuel de
retrait »,
précise la note. « Sous
réserve de l’appréciation souveraine
des tribunaux »,
est-il cependant
encore prudemment ajouté.n


Cas contact, confinement, droit de retrait :


des nouvelles règles dans les entreprises


Leïla de Comarmond
@leiladeco


Le vade-mecum du ministère du
Travail ne date que du 28 février,
mais en dix jours, la situation a pro-
fondément changé. Alors qu’à la fin
du mois dernier, l’enjeu était de
retarder l’arrivée sur le territoire du
coronavirus, désormais, il est là, et la
France se prépare à un passage au
stade 3. Le « questions-réponses »
destiné aux salariés et a ux
employeurs a été revu et mis en ligne
sur le site du ministère du Travail.


- « CAS CONTACT »,
« CAS CONFIRMÉ »

Certaines interrogations restent
d’actualité, par exemple sur ce
qu’un salarié doit faire quand lui ou
un de ses proches revient d’un pays
à risque, mais les réponses ont dû
pour une part être actualisées. Si un
enfant est confiné, la mesure ne
change pas : un des parents peut
s’arrêter pour le garder et sera
indemnisé par la Sécurité sociale.
Mais, i l y a dix j ours, c’était à lui de se
déclarer auprès de l’agence régio-
nale de santé (ARS). Désormais


Le nouveau « questions-ré-
ponses » du ministère du
Travail distingue les
salariés lambda des « cas
contact » (salariés ayant été
au contact d’un porteur
du virus), sans imposer
à ceux-ci une exclusion
du lieu de travail.


pas toujours envie d’informer
l’entreprise de leurs soucis de santé.

- « MESURES BARRIÈRES »
La note s’adresse aussi à tout salarié
pour rappeler que si l’entreprise a
une obligation de protection, il doit
aussi « assurer [sa] propre sécurité et
celle de
[ses] collègues en respectant l es
consignes sanitaires données »
. En
clair, les mesures de base comme le
lavage de mains s’imposent à tous.
Les personnes qui ont été en contact
avec un porteur du virus doivent
chercher avec leur employeur « une
solution qui convient »
aux deux.
Sont évoqués le télétravail, mais
aussi l a modification par
l’employeur des « dates de c ongés déjà
posés ».
Ou encore le confinement au
domicile avec maintien du salaire.


Mais le document n’exclut pas
une présence au travail des « cas
contact », « si [l’] employeur ne s’y
oppose pas » , et à condition de res-
pecter les « mesures barrières »,
notamment la prise de tempéra-
ture deux fois par jour, la sur-
veillance d’éventuels symptômes et
d’éviter les c ontacts proches
comme les réunions. Sauf si l’ARS a
identifié la personne comme un cas

Si un enfant est
confiné, un des
parents peut s’arrêter
et sera indemnisé par
la Sécurité sociale.

ÉVÉNEMENT


Mardi 10 mars 2020 Les Echos

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