32 // Mardi 10 mars 2020 Les Echos
Trois chocs tentent de provoquer une
dislocation parfaite des marchés financiers.
« Désormais, on se lève et on se barre. » On ne croyait pas le « despentisme »
littéraire de l’auteure de « King Kong Theory » capable de contaminer
le monde de l’investissement. Mais avec des marchés financiers placés
depuis une décennie sous Subutex par les banques centrales, sans doute
n’était-ce qu’une question de temps avant que la conjonction de
mouvements tout aussi erratiques qu’imprévisibles finisse par provoquer
un sauve-qui-peut général. Le télescopage du choc sanitaire du
coronavirus et d’un choc pétrolier à l’envers parachève un choc
d’incertitude porteur d’une potentielle dislocation « parfaite », non
seulement des marchés, mais aussi de l’économie réelle. Son début se lit
dans le double record de l’effondrement du baril d’or noir (– 30 % au plus
fort) et de la chute des taux américains à 10 ans (à 0,32 % au plus bas). Face
à de telles secousses, « il est quasiment impossible pour un fonds spéculatif
de couvrir ses positions de manière adéquate », relève Stéphane Déo,
stratégiste chez La Banque Postale AM, qui surveille l’effet « caisse de
résonance » du marché monétaire et du « credit junk » aux Etats-Unis.
Il y a dix ans, les gouvernements confrontés à ces « cygnes noirs » auraient
déjà coordonné une contre-offensive. Toute épidémie ayant une fin,
les plus amarinés des investisseurs n’auraient besoin que du signe d’une
fumée blanche pour jouer leur rôle équilibreur.
Crise de « despentisme »
Loin de resserrer les rangs de
l’Opep +, l’épidémie mondiale de
coronavirus qui ralentit
l’économie mondiale a fait sauter
l’alliance entre l’Arabie saoudite
et la Russie. La première avait
dû renoncer à mettre hors jeu
le pétrole de schiste américain.
La seconde, qui l’avait aidée à s’en
remettre, semble vouloir prendre
le relais. Le prix du baril qui
équilibre ses finances publiques
est bien inférieur, il est vrai, selon
les données d’UBS, et pas si
éloigné du point mort moyen
des acteurs « yankees », 40 dollars
en moyenne le baril selon Société
Générale. Au vu du plongeon
mémorable du WTI – autour de
33 dollars – leur production
va diminuer, sans calmer
Wall Street, qui appelait de
ses vœux une consolidation du
secteur pas assez rentable, mais
qui redoute une marée noire
d’offre excédentaire. Et c’est bien
dommage pour le financement
de la transition énergétique.
Le « grand jeu » pétrolier inquiète désormais plus qu’il ne rassure.
Le plus en moins
Société Générale aura plus de mal à faire
valoir l’originalité de son profil russe.
On prend les mêmes et on recommence! Il suffit d’un nouveau « lundi
noir » au parfum de krach, et les banques françaises piquent du nez,
Société Générale et Natixis en tête (– 13,5 % et – 14,4 %), comme si BNP
Paribas et Crédit Agricole (autour de – 10 %) continuaient de bénéficier,
à tort ou à raison, d’une réputation de meilleure gestion ou de plus
grande aversion pour les risques. Les pythies boursières retrouvent
les frissons de début 2016, quand la plongée de l’or noir les inquiétait
pour la santé des bilans qui prêtent au secteur pétrolier ou aux hedge
funds. Même exagéré, ce naturel revient au galop d’autant plus facile-
ment que le coronavirus fragilise le secteur aérien — une autre spéciali-
té française — et réveille les craintes de récession en général. Fort heu-
reusement, ce secteur bancaire mal aimé des investisseurs actions a été
obligé de renforcer ses fonds propres depuis 2008. L’établissement de
la Défense a eu du mal à convaincre de pouvoir atteindre les standards
requis sans augmentation de capital, mais il y était parvenu l’an dernier,
bien aidé par sa banque de détail internationale. Son pôle russe affichait
même en 2019 une rentabilité des fonds propres (12,4 %) supérieure
à celle de sa banque d’investissement (12,4 %) et à celle de sa banque de
détail en France (11,1 %), après plusieurs années de restructuration.
Même si les précédents soubresauts du Kremlin ont toujours été sur-
montés, c’est comme un « plus » en moins pour l’histoire boursière.
// Budget de l’Etat 2020 : 39 9,2 milliards d’euros // PIB 2019 : 2. 47 9,4 milliards d’euros courants
// Plafond Sécurité sociale : 3.428 euros/mois à partir du 01-01-2020 // SMIC horaire : 10 ,15 euros à partir du 01-01-202 0
// Capitalisation boursière de Paris : 1.827,78 milliards d’euros (au 06-01-2020)
// Indice des prix (base 100 en 2015) : 103,55 en décembre 2020 // Taux de chômage (BIT) : 8,6 % au 3etrimestre 2019
// Dette publique : 2.415,1 milliards d’euros au 3etrimestre 2019
=
Les chiffres de l’économie
Marée noire
crible
EN VUE
Mohammed ben Salmane
E
n lice pour succéder au roi Sal-
mane, Mohammed ben Salmane
n’est pas du genre à attendre tran-
quillement son heure. Même s’il n’y a
même pas trois ans qu’il est l’héritier en
titre, ayant réussi à se débarrasser de son
principal concurrent, MBS affiche déjà
un lourd bilan. A l’extérieur, ce ministre
de la Défense d e 34 ans est à l’origine de la
guerre au Yémen, du blocus du Qatar, de
la rétention du Premier ministre libanais
Saad Hariri, du meurtre à Istanbul du
journaliste Jamal Khashoggi et, depuis
quelques jours, d’une spectaculaire
chute des prix du pétrole, au détriment
notamment de la Russie et des produc-
teurs de pétrole de schiste américains...
A l’intérieur, ce partisan d’une certaine
libéralisation économique, symbolisée
par la laborieuse entrée en Bourse du
géant Aramco, et d’un peu plus de liber-
tés pour les femmes, n’hésite pas à sur-
veiller quiconque le gêne – demandez au
patron du « Washington Post », Jeff
Bezos – et à mettre à l’ombre tous ceux
qui pourraient lui en faire. Comme tout
autocrate qui se respecte, c’est un fervent
adepte des purges, en particulier parmi
la famille royale. Fougueux et mégalo – il
a demandé aux designers de Hollywood
de lui créer une nouvelle ville dans le
désert –, MBS n’a visiblement peur de
rien. « Le père de la balle » (Abu Rasasa) –
surnom qu’il aurait gagné après avoir
envoyé une lettre contenant une balle à
un juge – devenu le « père de la scie »
(Abu Munshar) – après l’assassinat de
Jamal Khashoggi – montre tous les
signes du culte de sa personnalité avant
même que son père, malade, ne meure.
De quoi inquiéter les chancelleries alors
que l’Arabie saoudite préside, pour la
première fois cette année, le G20. Avec
MBS, ils ne sont sûrement pas à l’abri de
(mauvaises) surprises.
(
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Panique à la Bourse de Paris
- A la Bourse de Paris, l’indice
CAC 40 s’est effondré de 8,39 % à
4.707,91 points. Du jamais-vu
depuis 2008. Le CAC 40 a reculé de
plus de 20 % depuis son dernier pic
en février, marquant le seuil de
« bear market ».
Les investisseurs ont cédé à la
panique dans le sillage de la propa-
gation du coronavirus et de l’écrou-
lement des cours du pétrole.
Après l’échec des négociations à
Vienne entre l’Opep et la Russie
pour soutenir les prix, le baril a
coulé de 25 % à l’ouverture pour
évoluer autour des 35 dollars. A
l’ouverture, la volatilité et les volu-
mes étaient si importants que la
cotation du CAC 40 a pris quelques
minutes de retard. Aucune valeur
n’a enregistré de hausse sur la
séance. Les valeurs pétrolières ont
subi de plein fouet la chute libre de
l’or noir : TechnipFMC a signé la
pire performance de l’indice avec
une chute de 23,30 %. Total a perdu
16,61 %. Les banques font partie des
valeurs les plus chahutées. Société
Générale a abandonné 17,65 %,
Crédit Agricole 16,86 % et BNP
Paribas 1 2,28 %.
Ailleurs en Europe, la tendance
est la même : à Francfort, le DAX a
reculé de 7,94 %, s a plus forte b aisse
depuis 2001. Milan a plongé de 11 %,
Madrid de 7,96 % et Londres de
7,69 %. Wall Street aussi a com-
mencé la séance en très fort recul.