Libération - 05.03.2020

(Michael S) #1

Libération Jeudi 5 Mars 2020 u 13


Jean-Luc Moudenc
en meeting à Toulouse
le 16 janvier.
PHOTO MATTHIEU
RONDEL. HANS LUCAS

L


es citoyens de Plaisance-
du-Touch veulent profiter
des municipales pour se
faire entendre. Au début de l’an-
née, un collectif d’habitants
de la ville s’est constitué pour
protester contre la modification
du couloir aérien et les nuisan-
ces sonores de l’aéroport de
Toulouse-Blagnac. Les 358 fa-
milles membres du collectif
ont collecté 9 000 plaintes en
seulement sept semaines. Sa-
medi, 200 personnes venues
des communes de l’ouest de
l’agglomération toulousaine
ont manifesté sur le marché de
Plaisance-du-Touch. Avec ses
18 000 habitants, la ville n’est
pourtant pas officiellement
dans le périmètre du plan
d’exposition au bruit (PEB) de
l’aéroport.

Dissensus. L’apparition de ce
collectif à quelques semaines
des élections n’est évidemment
pas neutre et le maire sortant de
Plaisance-du-Touch, Philippe
Guyot, soupçonne ses opposants
aux municipales d’être derrière
la démarche, tout en reconnais-
sant que les nuisances aériennes
sont réelles. Cet ex-socialiste
soutenu par LREM a même voté
le vœu présenté par Pascal
Barbier (EE-LV) lors du dernier
conseil municipal réclamant
«l’arrêt immédiat de l’expéri-
mentation en cours visant la mo-
dification des trajectoires de l’aé-
roport». En cause, un nouveau
couloir pour les avions qui dé-
collent vers le sud.

Le consensus politique contre
les nuisances aériennes dans la
ville – rebaptisé «Nuisance-du-
Touch» par les manifestants –
est à la mesure du dissensus
provoqué dans toute l’agglomé-
ration par les révisions de cou-
loirs aériens par la Direction gé-
nérale de l’aviation civile
(DGAC) : chaque élu soupçonne
son voisin de chercher à repous-
ser les avions vers la ville voi-
sine. Des communes du nord de
l’agglomération étaient égale-
ment représentées à la manifes-
tation de samedi.

Couvre-feu. A Daux ou à
Larra, deux villages situés dans
l’axe des pistes, on se plaint
amèrement de la deuxième mo-
dification des trajectoires à la
demande de la commune de
Merville et de l’association Aus-
sonne Environnement. Celle-ci
a donné lieu à une enquête pu-
blique qui a fortement mobilisé
la population à l’automne. Là
encore, le nombre de plaintes
contre l’aéroport a explosé : plus
de 3 000 sur le seul site de l’asso-
ciation Daux Environnement.
«Le problème, c’est que la direc-
tion de l’aviation civile tâtonne
en fonction de projections de po-
pulations touchées et pas sur la
base de mesures réalisées par des
capteurs. Ils font aussi en fonc-
tion de celui qui crie le plus fort
et la population le découvre
après», réagit Chantal Deman-
der. Présidente du Collectif con-
tre les nuisances aériennes
de l’agglomération toulousaine
(Ccnaat), qui regroupe 28 quar-
tiers de Toulouse et 12 commu-
nes de l’agglomération, celle-ci
avait fait le déplacement à Plai-
sance-du-Touch. Elle réclame
depuis des années un «couvre-
feu», assorti d’une limitation
du mouvement des avions à
Toulouse-Blagnac, sur le mo-
dèle d’Orly.
Cette revendication historique
commence à être entendue par
les candidats. Le maire Les Ré-
publicains de Toulouse, Jean-
Luc Moudenc, s’est déclaré fa-
vorable à une interdiction des
vols commerciaux entre minuit
et 6 heures du matin, à l’excep-
tion du fret. Tête de liste de l’Ar-
chipel citoyen, Antoine Maurice
(EE-LV), voudrait un couvre-feu
allant de 22 heures à 7 heures du
matin quand la candidate sou-
tenue par le PS, Nadia Pellefi-
gue, préconise une limitation
des vols de nuit à 1 000 par an et
un retrait des avions les plus
bruyants.
S.Th. (à Toulouse)

«La direction


de l’aviation


civile


tâtonne
en fonction

de projections


de populations


touchées et


pas sur la base
de mesures.»
Chantal Demander
présidente d’un collectif
contre les nuisances

Près de Blagnac,


tintamarre


contre le tarmac


Les couloirs de vol
et les horaires de
départ des avions
sont un enjeu
important des
élections municipales.

jaunes, qui envoient chaque samedi
des centaines de mani festants dans
les rues de Toulouse depuis plus
d’un an, et avant la réforme des re-
traites qui a mobilisé des milliers de
personnes au fil de l’hiver dans la
capitale de l’Occitanie.
La ville est historiquement ancrée
à gauche : Jean-Luc Mélenchon a
obtenu 29 % des suffrages en 2017 et
les écolos ont atteint 21 % lors des
dernières européennes contre 13 %
de moyenne nationale. Mais quand
il s’agit de choisir son maire, la ville
rose penche depuis des décennies
à droite. Seul Pierre Cohen, en 2008,
avait réussi l’exploit d’évincer Jean-
Luc Moudenc en prenant la tête
d’une liste de la gauche unie dès le
premier tour. Une parenthèse socia-
liste de six ans dans un continuum
de droite de près de cinquante ans,
entamé en 1971 par Pierre Baudis et
poursuivi par son fils Dominique,
qui se paya deux fois le luxe d’être
réélu dès le premier tour.


Grandes allées
Pour tenter de faire mentir l’his-
toire, les principaux candidats de
gauche tentent de trouver la bonne


idée pour se différencier. Comme
ailleurs, l’écologie et les transports
sont les thèmes majeurs de la cam-
pagne toulousaine et les propo -
sitions spectaculaires fleurissent,
surtout du coté de Nadia Pellefigue :
«bouclier végétal» en portes de péri-
phérique, «octogone semi-piéton» à
la place des boulevards transformés
en «ramblas» sur le modèle des
grandes allées de Barcelone...
La candidate du PS va jusqu’à récla-
mer la décentralisation de mini -
stères parisiens à Toulouse et accuse
les écologistes d’être contre de fu-
turs RER au prétexte qu’ils s’oppo-
sent à la LGV entre Toulouse et Bor-
deaux. L’idée de trains périurbains
sur le modèle parisien fait quasi-
ment l’unanimité de tous les candi-
dats. Les trains de banlieue permet-
tent surtout d’éviter de transformer
les élections municipales en réfé-
rendum pour ou contre le projet de
troisième ligne de métro, comme le
voulait Jean-Luc Moudenc. Dans
les rues de Toulouse, le scrutin
n’est pas encore un sujet de conver-
sation, contrairement au coronavi-
rus ou à l’interminable descente aux
enfers du TFC, le club de foot de la

ville. Même la tension liée à des dé-
gradations de locaux de campagne
ou à l’altercation du candidat RN
Quentin Lamotte avec des militants
antifascistes n’a pas suscité de re-
gain d’intérêt pour la campagne.
Après avoir obtenu 11 % des suffra-
ges lors des dernières européennes
à Toulouse, le parti de Marine
Le Pen espérait pouvoir se mainte-
nir au deuxième tour.
Mais selon le sondage Ifop Fiducial
commandé pour la Dépêche du
midi, le RN ne récolte que 7 % d’in-
tentions de vote, souffrant appa-
remment de la concurrence d’une
liste de Debout la France, le parti
de Nicolas Dupont-Aignan. L’insti-
tut de sondages a toutefois testé
l’hypothèse de la présence du Ras-
semblement national au second
tour : même en cas de triangulaire


  • du jamais-vu à Toulouse –, c’est
    Jean-Luc Moudenc qui l’emporte-
    rait. Aucun sondage n’envisage
    l’hypothèse d’une quadrangulaire,
    si les négociations entre Nadia Pel-
    lefigue et Antoine Maurice devaient
    échouer entre les deux tours. Ce qui
    offrirait un boulevard à Jean-Louis
    Moudenc. Avec ou sans ramblas.•

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