Libération - 05.03.2020

(Michael S) #1

16 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi 5 Mars 2020


I


ls ont prévu de s’habiller en noir
de la tête aux pieds, «comme on
porte le deuil», et de faire le pied
de grue sur la place de la Sorbonne
qu’ils espèrent remplie. Ce jeudi,
un appel national à la mobilisation
a été lancé dans toutes les universi-
tés (111 sont mobilisées selon le der-
nier décompte), invitant les ensei-
gnants-chercheurs et l’armada de
précaires qui font aujourd’hui tour-
ner les facs à stopper leurs activités.
«Il faut montrer que l’université n’est
plus capable de fonctionner avec
son seul personnel d’enseignants-
chercheurs, balance Clément Scotto
di Clemente. Tout le système repose
sur les précaires. Se rassembler de-
vant la Sorbonne, c’est montrer que
même une université aussi presti-

gieuse est touchée par la précarisa-
tion.» Le doctorant en littérature
comparée le précise d’emblée : il ap-
partient au clan des «chanceux», de
ceux qui donnent des cours de tra-
vaux dirigés (TD) en préparant leur
thèse, en échange d’un salaire versé
tous les mois (1 580 euros). Il est
doctorant contractuel et donc, insis-
te-t-il, «a un statut».

«PERSONNE N’EST DUPE»
Les vacataires n’ont pour beaucoup
pas de contrat de travail et ils sont
souvent payés en fin de semestre,
quand ce n’est pas plus tard encore.
«Parfois, c’est un an après! Il faut
envoyer des messages incessants aux
services des ressources humaines,
souvent eux-mêmes gérés par des
emplois précaires, pour que les vaca-
tions finissent par être payées», ra-
conte Jeanne (1), doctorante à Pa-
ris-I. Parmi les vacataires, on trouve
des profils très variés : des docto-
rants, des «déjà docteurs» mais en

attente désespérée d’un poste...
Tous bossent à côté, pour survivre
(lire ci-contre). Certains ont des jobs
à temps plein. Prof en lycée par
exemple. D’autres travaillent dans
des boulangeries le midi. Les vaca-
tions sont facturées 41,41 euros brut
l’heure de cours, tout compris :
temps de préparation du cours,
mais aussi confection des sujets
d’examen, correction, réunions de

concertation avec l’équipe pédagogi-
que et temps passé à répondre aux
messages des élèves. «C’est horrible
ce que je vais dire, poursuit Jeanne,
mais tout le système tient sur l’es-
poir.» Cet espoir infime de décro-
cher un poste de maître de confé-
rences. «Si cet espoir disparaît, que
reste-t-il ?» dit-elle en pensant à
cette déclaration de la ministre de
l’Enseignement supérieur, Frédé -
rique Vidal : «Les emplois, ce n’est
pas mon travail.»
Paul Vo-Ha, maître de conférences
depuis trois ans en histoire à l’uni-
versité Paris-I Panthéon-Sorbonne,
rétorque : «Alors que si, évidemment,
la question c’est l’emploi.» En histoire
moderne, l’année dernière, il y a eu
en tout et pour tout trois ouvertures
de poste en France, raconte-t-il.
«Pour être recruté, il faut que toutes
les planètes soient alignées.»
Cela fait un moment que les univer-
sités bouillent de l’intérieur. Des
mois que les enseignants-cher-

Par
CASSANDRE LERAY
et MARIE PIQUEMAL
Photo
DENIS ALLARD

FRANCE


RECHERCHE


Les précaires


vident


leurs facs


Une journée de mobilisation est organisée ce jeudi


contre la précarité des enseignants-chercheurs


à l’université. Vacataires pendant des années sans


contrat de travail, rémunérés au smic et souvent


payés avec retard, beaucoup sont à bout.


«Tu as envie


de bien faire


ton cours, mais


aussi ta thèse.


Sauf qu’il faut


dormir parfois...»
Adrian
doctorant et vacataire
de 29 ans

cheurs tâchent d’alerter : assem-
blées générales, démissions de ju-
rys, partiels reportés ou encore
145 revues scientifiques à l’arrêt
(fait rarissime). Sans parler de la
multitude de tribunes, publiées no-
tamment dans Libé, pleines d’in-
quiétudes quant à l’avenir de l’uni-
versité et de la recherche... Deux
thèmes concentrent l’angoisse : la
réforme des retraites d’abord – avec
le nouveau système à points, les
longues années de précarité seront
prises en compte et vont donc
plomber les pensions –, et ensuite la
loi de programmation pluriannuelle
de la recherche (LPPR) qui est en
préparation. Pour l’instant, le projet
n’a pas été dévoilé de façon précise
par le gouvernement, ce qui entre-
tient le flou et les craintes (lire
page 18).
«Personne n’est dupe, on sait très
bien ce qui se joue car le projet
de LPPR s’inscrit dans la continuité
de la loi de 2007 Suite page 18

Enseignants-chercheurs et étudiants manifestent, le 5 février, devant la
Free download pdf