Libération - 05.03.2020

(Michael S) #1

Libération Jeudi 5 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3


Manifestation
de chauffeurs Uber contre
leurs conditions de travail,
à Paris, fin 2016.
PHOTO BENJAMIN MENGELLE.
HANS LUCAS

d’orientation des mobilités (LOM)
impose aux plateformes de VTC de
communiquer aux chauffeurs «la
distance couverte par [une] presta-
tion et le prix minimal garanti
dont ils bénéficieront».
La LOM af-
firme aussi le droit des chauffeurs
à «refuser une proposition de pres -
tation de transport sans faire l’ob-
jet d’une quelconque pénalité»
. Là
aussi, Uber se montre prêt au
changement, affirmant que désor-
mais, seuls les chauffeurs qui,
« systé ma tiquement », acceptent des
courses avant de les annuler sont
sanctionnés.
Ces améliorations mettront-elles
la plateforme à l’abri de nouvelles
condamnations? «On a une ving-
taine de dossiers en attente aux
prud’hommes. Et une centaine au
cabinet d’avocats,
explique Sayah


Baaroun, secrétaire général du Syndi-
cat des chauffeurs privés VTC. Cela
fait deux ans qu’on refoule tout le
monde et là, on va rouvrir les van-
nes. Notre objectif, c’est d’atteindre
un millier de dossiers avant la fin de
l’année, de faire crouler Uber sous
les dossiers pour forcer l’entreprise
et l’Etat à négocier avec nous.»

DES INTERDICTIONS
EN CASCADE
Genève, Londres, Barcelone... La
liste des villes où Uber est soumis
à une interdiction d’activité s’al-
longe de mois en mois. Fait nou-
veau en 2019, des Parlements ou des
instances judiciaires ont aussi pros-
crit ou restreint les opérations de la
firme dans des pays entiers, comme
en Allemagne ou en Colombie. Les
motifs varient mais dressent peu ou

prou un mix des reproches adressés
à Uber ces dernières années. A Lon-
dres, par exemple, l’autorité des
transports de la ville a refusé en no-
vembre de renouveler la licence
d’Uber, pointant du doigt le nombre
élevé de chauffeurs non homolo-
gués et cependant inscrits sur la
plateforme. Uber a fait appel et
continue d’exercer dans la capitale
du Royaume-Uni, le temps que la
décision définitive soit rendue.
En Allemagne, les juges ont estimé
qu’Uber était «plus qu’un inter -
médiaire» entre clients et chauf-
feurs. Pour la justice allemande, la
firme se présente comme un «pres-
tataire de services» mais elle «choisit
concrètement le chauffeur» et «dé-
cide du prix». Ce qui fait d’Uber un
«loueur de voitures» qui exerce sans
en avoir l’autorisation. Mêmes

contrainte de s’adapter et d’assou-
plir ses règles. Désormais, les chauf-
feurs californiens peuvent obtenir
une estimation du paiement et de
la destination avant la course, et
augmenter ou baisser le prix de cel-
les à destination des aéroports.

DES CLIENTES
EN INSÉCURITÉ
En décembre, après une vague
mondiale de témoignages visant
des chauffeurs Uber, des clientes
françaises se sont confiées sur les
réseaux sociaux : par le biais du
hashtag #UberCestOver, elles dé-
noncent les viols, attouchements et
agressions sexuelles qu’elles ont su-
bis lors de courses, le plus souvent
la nuit en rentrant de soirée. Sous la
pression, Uber a reconnu avoir
recensé 6 000 viols et agressions
sexuelles aux Etats-Unis en 2017
et 2018. Trop tard pour éteindre l’in-
cendie : les victimes dénoncent la
responsabilité de l’entreprise. Selon
ces dernières, elle aurait souvent
tenté d’étouffer ces affaires, et cer-
tains chauffeurs, bien que signalés,
auraient continué de rouler.
Ces témoignages mettent égale-
ment en lumière une pratique que
la firme peine à endiguer : le recours
aux «faux» chauffeurs, des sous-
traitants qui louent le compte d’un
chauffeur VTC en toute illégalité
et qui se trouvent souvent au cœur
des témoignages d’abus sexuels.
Pour répondre à cette probléma -
tique, Uber a instauré en début
d’année l’authentification du
chauffeur par selfie dans une nou-
velle version de l’application.

INTRODUCTION EN BOURSE
ET LICENCIEMENTS
Début février, à l’annonce des
(mauvais) résultats annuels d’Uber
pour 2019, le PDG, Dara Khosrow-
shahi, se voulait résolument opti-
miste. Pour lui, l’équilibre aupa -
ravant fixé à 2021 pourrait même
être atteint plus tôt. De quoi rassu-
rer les investisseurs qui, depuis
l’entrée en Bourse de la pla teforme
en mai 2019, avaient fait part de
leurs inquiétudes : Uber est
considéré comme un colosse aux
pieds d’argile. L’action de l’entre-
prise a atteint son niveau le plus bas
en novembre : 27 dollars, soit une
chute de 40 % par rapport à son
court d’introduction.
Face à cette glissade, Khosrowshahi
a assuré que le temps n’était plus à
la «croissance à tout prix» mais à
la rentabilité. La filiale Uber Eats,
principale responsable du déficit
de la société, pourrait bien faire les
frais de l’austérité à venir. Soumise
à une concurrence féroce dans la
plupart des pays où elle est implan-
tée, elle pourrait se retirer des mar-
chés où elle n’est pas leader. Mer-
credi dernier, Jason Droege, patron
de la livraison chez Uber, a décidé
de démissionner sans expliquer
réellement ses raisons. Au même
moment, Uber fermait son bureau
de Los Angeles et délocalisait les
80 postes aux Philippines, après
le licenciement de 350 salariés
en octobre dernier. Une preuve sup -
plémentaire que la société de
San Francisco se prépare à se déles-
ter pour tenter de ne pas couler.•

questionnements à Genève, où l’Of-
fice cantonal de l’inspection et des
relations du travail a estimé en no-
vembre que l’entreprise n’était pas
un simple «diffuseur de courses»
mais une «entreprise de transport»
soumise au droit suisse. Par consé-
quent, selon l’enquête helvète, les
chauffeurs devraient être des sala-
riés et non des indépendants.
Mais c’est surtout en Californie, où
la firme est née, que se joue son ave-
nir. En janvier, une loi a restreint
considérablement les conditions
d’exercice d’Uber. Surnommée AB
(«Assembly Bill 5»), elle prévoit
qu’une firme peut faire appel
à des travailleurs indépendants
seulement s’ils sont libres de son
contrôle et à condition qu’ils exer-
cent à leur compte avec différents
clients. Résultat, la société a été
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