Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

12 |france MERCREDI 4 MARS 2020


0123


Retraites : la loi


organique, volet


crucial de la réforme


Après le 49.3, les députés vont se pencher
sur ce texte qui impose l’équilibre financier

L’


Assemblée nationale
n’en a pas fini avec la ré­
forme des retraites. Alors
que l’exécutif recourt au 49.
pour faire passer sans vote le pro­
jet de loi ordinaire, elle va pour­
suivre ses travaux sur un autre
volet du dossier : le projet de loi
organique. Les discussions débu­
tent, en principe, mercredi
4 mars et pourront durer jusqu’à
dimanche. Il est toutefois possi­
ble que les élus du Palais­Bour­
bon n’aient pas à siéger jusqu’à
cette date butoir : le texte
contient cinq articles. En com­
mission spéciale, il avait pu être
adopté, le 12 février, après seule­
ment quelques heures de débats.
Les députés devront tout de
même passer au tamis trois fois
plus d’amendements en séance
(1 392, s’agissant de ceux qui
avaient été validés lundi soir,
contre 408 en commission). « En
l’état actuel, ce n’est pas infaisa­
ble », juge Cendra Motin, la rap­
porteure (LRM) du texte. Et ce,
même si La France insoumise
(LFI) compte batailler avec autant
d’énergie que lors de la lecture du
projet de loi ordinaire. « On ne va
pas changer de stratégie, indique
Clémentine Autain (LFI, Seine­
Saint­Denis). On va continuer à
poser des questions sur lesquelles
nous n’avons pas de réponses.
C’est d’autant plus important que
l’on retrouve dans le projet de loi
organique tout le cœur de la ré­
forme. » « Les débats à venir ne
sont pas à sous­estimer, confie
André Chassaigne, le responsa­
ble du groupe Gauche démocra­
tique et républicaine à l’Assem­
blée. Le texte donne une valeur
quasi­constitutionnelle à des dis­
positions que nous désapprou­
vons totalement. »

« Entre-deux »
L’une des mesures les plus im­
portantes se situe à l’article pre­
mier. Il pose une « règle d’or », im­
posant l’équilibre financier du
système « sur une période de cinq
années en cumulé » : durant ce
laps de temps, un déficit pourra
être toléré, par exemple sur une
ou deux années, à condition
d’être compensé par des excé­
dents enregistrés à d’autres mo­
ments de cette même période
quinquennale. « C’est l’élément­
clé, sans lequel la réforme ne peut
pas être mise en œuvre »,
commente Michael Zemmour,
enseignant­chercheur à l’univer­
sité Paris­I.
Pour Mme Motin, ce « lissage
progressif du déficit sur cinq ans »

est « la meilleure protection en
cas de crise économique ». Dé­
puté PS des Landes, Boris Vallaud
défend un avis rigoureusement
inverse : pour lui, « la règle d’or
aggrave les crises lorsqu’elles écla­
tent », car elles sont susceptibles
de se traduire par des économies
qui vont peser, à la baisse, sur la
demande des ménages – donc
sur l’activité des entreprises.
« En retenant des périodes de
cinq années pour apprécier l’équi­
libre du système, le gouvernement
navigue entre les logiques qui pré­
valent en Allemagne et en Suède :
la première procède, si nécessaire,
à des ajustements de court terme
tandis que la seconde se place sur
le long terme », observe Hervé
Boulhol, de l’Organisation de
coopération et de développe­
ment économiques (OCDE). Con­
clusion : notre pays se situe donc
dans une sorte « d’entre­deux,
dans un contexte où la crédibi­
lité de l’institution en charge de
l’équilibre de long terme est à
construire ».

« Mensonge par omission »
Chez les partenaires sociaux, la
règle d’or ne soulève pas l’en­
thousiasme. « Cinq ans, c’est trop
court, affirme Frédéric Sève
(CFDT). S’il y a une récession, le
système perd des recettes qu’il
faut avoir compensées très rapi­
dement. » La centrale cédétiste
souhaiterait que le tempo du re­
tour à l’équilibre soit moins sou­
tenu, en étant par exemple porté
à dix ans. Le Medef, lui, consi­
dère, au contraire, que la norme
fixée dans le projet de loi organi­
que n’est « pas assez contrai­
gnante ». Il faut parvenir à un
« équilibre de trésorerie » chaque
année, plaide un haut gradé du
mouvement d’employeurs.
En commission spéciale, un
amendement avait été approuvé
pour inscrire dans le texte le fait
que la valeur du point ne puisse
pas baisser, le but étant de don­
ner à ce principe « une valeur su­
périeure à la loi ordinaire ». Une
garantie insuffisante, aux yeux
de Michel Beaugas (FO) : « Le gou­
vernement a pris soin de ne ja­
mais parler de la valeur d’achat du
point », c’est­à­dire le montant de
cotisations nécessaire à l’acquisi­
tion d’un point. Cette variable
pourra s’accroître plus vite que la
valeur de service du point – celle
qui donne des droits à l’assuran­
ce­vieillesse. Avec comme consé­
quence qu’il faudrait payer plus
pour maintenir le même niveau
de droits. « C’est un mensonge par
omission », dénonce­t­il.
L’article 2, lui, prévoit l’intégra­
tion, dès 2022, dans les lois de fi­
nancement de la Sécurité sociale
(LFSS) des régimes de retraite
complémentaire obligatoire –
comme celui des salariés du
privé, l’Agirc­Arrco, actuellement
géré par les partenaires sociaux.
Pour M. Beaugas, une telle me­
sure signifie « clairement une
étatisation » : « La ligne budgé­
taire sera tracée par le gouverne­
ment et le Parlement tous les ans,
dans la LFSS, et non pas par le
conseil d’administration de la
caisse nationale de retraite uni­
verselle, comme certains veulent
le croire. »
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel

902 465 candidats au premier


tour des élections municipales


Cela représente une baisse de 2,5 % par rapport au scrutin de 2014


L


es élections municipales et
intercommunales des 15 et
22 mars déjouent les pro­
nostics des Cassandre qui, il y a
encore peu, prévoyaient un ef­
fondrement des vocations pour
les fonctions municipales. Selon
les chiffres communiqués lundi
2 mars par le ministère de l’inté­
rieur, le nombre de candidats au
premier tour s’élève à 902 465. Ils
étaient 926 068 en 2014 à se pré­
senter sur la ligne de départ mais
cette légère baisse de 2,5 % est
d’abord imputable à la diminu­
tion du nombre de communes,
passé de 36 681 en 2014 à 34 967
en 2020, du fait de l’accélération
de la création de communes nou­
velles. Entre 2016 et 2019, en effet,
2 022 communes ont engagé un
processus de fusion pour consti­
tuer 776 communes nouvelles.
Dans les communes de plus de
1 000 habitants, 20 765 listes ont
été enregistrées : un nombre lui
aussi en légère baisse par rapport
au précédent scrutin, qui avait
vu s’en constituer 21 186 (– 2 %).
Pour faciliter les candidatures

dans les villages, il n’est pas fait
obligation dans les quelque
24 808 communes de moins de
1 000 habitants de présenter une
liste comportant un nombre de
candidats équivalent au nombre
de sièges à pourvoir, qui peut al­
ler jusqu’à quinze au­delà de
500 habitants. Les candidats peu­
vent présenter une candidature
isolée ou groupée et les électeurs
ont la possibilité de rayer des
noms ou d’en ajouter sur le bulle­
tin qu’ils déposent dans l’urne.

106 communes sans candidat
En outre, la loi engagement et
proximité du 27 décembre 2019 a
facilité la constitution des
conseils municipaux dans les
toutes petites communes. Ainsi,
dans les communes de moins de
100 habitants, le conseil munici­
pal est réputé complet dès lors
qu’il compte au moins cinq mem­
bres à l’issue du second tour, au
lieu des sept prévus par le code
général des collectivités terri­
toriales. Il en va de même dans les
communes de 100 à 499 habi­

tants, dès lors que le conseil mu­
nicipal compte au moins neuf
membres, alors que le code en
prévoit onze.
Au premier tour, les électeurs de
106 communes, dont quatre de
plus de 1 000 habitants, n’auront
pas à se déplacer, faute de candi­
dats. Elles étaient 62 dans ce cas
en 2014, dont une de plus de
1 000 habitants, à Gironde­sur­
Dropt (Gironde), qui en compte
trois cette année. Cela ne veut pas
dire que ces communes resteront
sans conseil municipal : une liste
peut être déclarée ou de nouvel­
les candidatures déposées avant
le second tour dans les commu­
nes où le premier tour a été an­
nulé par défaut. Si l’absence de
candidature persiste au second
tour, une délégation spéciale sera
mise en place par la préfecture
pour gérer les affaires courantes
de la commune avant la tenue
d’un nouveau scrutin. Si l’ab­
sence de candidats persiste, la
préfecture pourra ordonner la fu­
sion de la commune avec une
commune voisine.
Le 15 mars, 47 664 895 personnes
inscrites sur les listes électorales –
hors Nouvelle­Calédonie, où la ré­
vision de la liste électorale géné­
rale vient de s’achever – sont ap­
pelées à se rendre aux urnes. Aux­
quelles s’ajoutent 329 942 ressor­

tissants d’autres pays de l’Union
européenne, dont ont été radiés
les quelque 46 000 Britanni­
ques présents au début de l’année
à la suite du Brexit. Soit un total
de 47 994 837 électeurs, contre
45 773 248 en 2014 (+ 4,8 %).
Les prochaines élections muni­
cipales permettront également
de désigner les conseillers com­
munautaires ou métropolitains.
Dans les communes de moins de
1 000 habitants, le bulletin de
vote ne comportera que les noms
des candidats au conseil munici­
pal. Les représentants à l’inter­
communalité seront, dans l’or­
dre, le maire, le premier adjoint
et ainsi de suite en fonction du
nombre de sièges prévu pour la
commune. Dans les communes
de plus de 1 000 habitants, figu­
rent sur le même bulletin de vote
les candidats au conseil munici­
pal et, parmi eux, ceux qui ont
également été pressentis pour
siéger à l’intercommunalité.
A Paris, Marseille et Lyon, les
électeurs voteront pour des con­
seillers d’arrondissement. Dans
les communes de plus de 1 000
habitants membres de la Métro­
pole du Grand Paris (MGP) ou de
la Métropole d’Aix­Marseille­Pro­
vence, les conseillers métropoli­
tains seront élus selon le système
du fléchage des hauts de liste. La
Métropole de Lyon, elle, n’est pas
une intercommunalité au sens
strict mais une collectivité territo­
riale à statut particulier. Les com­
munes qui la composent ne sont
pas membres de la métropole. Les
électeurs désigneront donc,
d’une part, les conseillers munici­
paux ou d’arrondissement pour
la ville de Lyon, et éliront d’autre
part, le même jour, les conseillers
métropolitains.
patrick roger

47 664 895
personnes
inscrites sur les
listes électorales
sont appelées
à se rendre
aux urnes
le 15 mars

Le ministère de l’intérieur a recensé


dix listes « communautaires »


A l’automne 2019, l’exécutif s’était inquiété de ce « danger » mais avait refusé de légiférer


L


e soufflé est retombé de­
puis les débats qui avaient
agité la scène politique à
l’automne 2019. Selon un dé­
compte effectué par le ministère
de l’intérieur à partir des remon­
tées d’informations préfectorales,
seulement dix villes seraient fina­
lement concernées par la présence
de listes pouvant être qualifiées
de communautaires lors des élec­
tions municipales des 15 et
22 mars. Une goutte d’eau en com­
paraison des 20 765 listes qui ont
été déposées au total pour le scru­
tin. « Ce n’est peut­être pas exhaus­
tif », nuance­t­on néanmoins place
Beauvau, où l’on se base sur le
« ressenti » des préfets.
En octobre 2019, le ministre
chargé des collectivités territoria­
les, Sébastien Lecornu, avait pour­
tant alerté dans un entretien au
Parisien contre ce « danger » des
listes communautaires qui « doit
nous interpeller et nous amener à
réfléchir à des réponses (...) autant
politiques que juridiques ». Le prési­
dent du groupe Les Républicains
(LR) au Sénat, Bruno Retailleau,
avait, pour sa part, déposé une
proposition de loi pour interdire
les « listes communautaristes ». Un
sujet sur lequel le gouvernement
s’était in fine refusé à légiférer.
A la lumière de ces débats, la
Place Beauvau a néanmoins dé­
cidé de réaliser pour la première
fois un décompte des potentielles
listes communautaires. Impossi­

ble, donc, de comparer ce nombre
par rapport au précédent scrutin
municipal, en 2014.
Parmi les dix villes recensées
figure notamment Garges­lès­Go­
nesse, dans le Val­d’Oise, où se
présente Samy Debah, candidat
sans étiquette, fondateur en 2003
du Collectif contre l’islamopho­
bie (CCIF), une association consi­
dérée comme proche des Frères
musulmans, qu’il a quittée en
janvier 2017.
Le ministère de l’intérieur s’inté­
resse de près à cet homme qui
avait créé la surprise aux élections
législatives de 2017 en arrivant en
tête sur la ville, au premier comme
au second tour, face à l’ancien
maire de Sarcelles, François
Pupponi. Ce dernier avait été élu
député de la huitième circonscrip­
tion. « Pourquoi est­ce qu’on
préjuge que ma liste sans étiquette
sera communautaire? Parce que je
suis Samy Debah. C’est n’est ni plus
ni moins qu’un préjugé raciste »,
a critiqué l’intéressé, en janvier,
auprès du Parisien.

Annecy représente un autre
point d’intérêt. Dans la préfecture
de Haute­Savoie, une liste nom­
mée « Vivre ensemble à Annecy »
se présente en effet sur la ligne de
départ pour protester, selon la
Place Beauvau, contre l’impossibi­
lité de disposer d’un lieu de culte
digne de ce nom. Dans Le Dau­
phiné libéré, sa tête de liste, Daniel
Salem Chiad, réfute pour sa part
tout « communautarisme ».

« Peu structurés »
L’Union des démocrates musul­
mans de France (UDMF), structure
particulièrement ciblée dans cer­
tains discours politiques pour
avoir présenté une liste aux euro­
péennes de 2019 – elle a obtenu
0,13 % des voix – ne sera présente
que dans une poignée de villes : à
Joué­lès­Tours (Indre­et­Loire),
Châtellerault (Vienne), Nanterre,
Clichy­la­Garenne et Gennevilliers
(Hauts­de­Seine). Le parti a re­
noncé à présenter une liste
à Maubeuge (Nord), officiellement
pour ne « pas être l’outil de propa­
gande de certains candidats et mé­
dias », selon des propos tenus dans
La Voix du Nord par Patrice Haussy,
qui s’était un temps déclaré candi­
dat. Aux européennes, l’UDMF
avait dépassé la barre des 40 %
dans un bureau de vote de la ville,
mais avec seulement 70 votes. Le
parti n’était arrivé qu’en cin­
quième position sur l’ensemble de
la commune, avec 6,10 % des voix.

Enfin, deux listes assimilables au
communautarisme ont été recen­
sées dans la métropole de Lyon,
ainsi qu’une autre dans le 5e arron­
dissement de Paris.
Comment expliquer un aussi fai­
ble nombre de listes pouvant être
assimilées à des revendications
communautaires musulmanes?
« Ils sont peu structurés », relève­
t­on au sein de l’exécutif, avant de
prévenir néanmoins que « le vrai
sujet, c’est l’entrisme sur les autres
listes ». « Nous avons vu comment
ces groupes sont devenus des
moyens de pression », relève­t­on
place Beauvau, en référence par
exemple à certaines villes de Sei­
ne­Saint­Denis, comme Bobigny.
Après plusieurs semaines de dé­
bats houleux sur le sujet, le minis­
tre de l’intérieur, Christophe Cas­
taner, avait reçu, en novem­
bre 2019, Bruno Retailleau et le
président de la région Hauts­de­
France, Xavier Bertrand, pour évo­
quer avec eux leur volonté d’inter­
dire les « listes communautaris­
tes ». Une option rejetée par l’exé­
cutif. « Il n’existe pas de listes
communautaires, personne ne se
revendique ainsi, avait défendu M.
Castaner. Par contre, si dans le ca­
dre de ces campagnes, il y a le moin­
dre acte, la moindre parole qui met
en cause les fondements de la Répu­
blique, je serai le premier à les inter­
dire. » Un besoin, pour l’heure, qui
ne s’est pas fait ressentir.
olivier faye

« Le vrai sujet,
c’est l’entrisme
sur les autres
listes »,
relève-t-on au
sein de l’exécutif

Montpellier : le RN retire l’investiture
au candidat qu’il soutenait
Le Rassemblement national a annoncé, lundi, le retrait de son investi-
ture à Olaf Rokvam, tête de liste pour les municipales à Montpellier,
à cause de la présence dans son équipe d’un élu condamné en 2019.
Présent en troisième position, Djamel Boumaaz avait démâté et
enterré un drapeau LGBT hissé devant l’hôtel de ville de Montpellier
en 2016. Il avait été condamné, en février 2019, à six mois de prison et
cinq ans d’inéligibilité pour cet acte, une condamnation dont il a fait
appel. En mars 2019, il avait fait trois fois le geste de la « quenelle » lors
d’un conseil municipal, puis il avait publié, en juillet 2019, sur son
compte Facebook, une photo de son gâteau d’anniversaire décoré
d’une croix gammée et d’un commentaire : « offert par mon ami SS ».
« Les comportements scandaleux que M. Djamel Boumaaz a eus à di-
verses reprises ne peuvent être acceptés par le Rassemblement natio-
nal, qui les condamne avec la plus grande fermeté », indique, dans un
communiqué la section du Rassemblement national de l’Hérault.

La CGT et FO
claquent la porte
La CGT a annoncé, mardi
3 mars, qu’elle quittait la confé-
rence de financement, à la-
quelle participent les partenai-
res sociaux pour trouver des
solutions permettant de remet-
tre à l’équilibre les comptes du
système de retraite, en 2027.
Lundi, c’était FO qui avait
claqué la porte. Leurs décisions
interviennent alors que le pre-
mier ministre a fait le choix de
recourir au 49.3 pour faire adop-
ter à l’Assemblée nationale le
projet de loi relatif à l’instaura-
tion d’un régime universel.

R É F O R M E D E S R E T R A I T E S

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