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MERCREDI 4 MARS 2020 france| 13
Face aux juges, Botton fait la promotion de Botton
L’exhomme d’affaires comparaît pour avoir détourné les fonds de son association de lutte contre la récidive
C
ombien sontils, les
Pierre Botton? Le pre
mier date des années
1980, c’est un riche
homme d’affaires qui a fait fructi
fier l’entreprise paternelle d’agen
cement de pharmacies, a épousé
la fille aînée de l’un des hommes
politiques les plus en vue de l’épo
que, Michel Noir.
Il met son savoirfaire et son en
tregent au service de la carrière de
son beaupère – futur maire de
Lyon, futur ministre – sans
oublier de servir ses propres inté
rêts financiers en créant une my
riade de sociétés qui alimentent
ses comptes suisses à travers des
factures fictives à hauteur de près
de 1,3 million d’euros. En 1996,
Pierre Botton est condamné à
cinq ans d’emprisonnement dont
dixhuit mois avec sursis pour
abus de bien social, abus de con
fiance, faux et fraude fiscale. Le
premier Pierre Botton disparaît.
Le deuxième renaît à l’aube des
années 2000. Il a divorcé d’Anne
Valérie Noir, a mis fin à sa liaison
avec sa sœur cadette, Julia Noir,
dont il a eu un enfant, et met son
savoirfaire et son entregent au
service de la cause des détenus.
Neuf charges retenues
Avec son association Ensemble
contre la récidive, il fait le siège
des gardes des sceaux successifs,
démarche les plus grandes entre
prises pour financer des études et
des programmes destinés à amé
liorer la vie en détention et
à fournir une formation aux pri
modélinquants condamnés à
des peines de moins de cinq ans.
« Six cent deux jours de prison et
sept maisons d’arrêt m’ont permis
de trouver un sens à ma vie. Jus
quelà, je n’avais qu’une valeur,
l’argent! J’étais en train de me per
dre », confietil à Paris Match.
Le troisième, lesté des deux pre
miers, répond d’abus de
confiance, escroquerie, abus de
pouvoirs, faux et usage de faux et
blanchiment de fraude fiscale de
puis lundi 2 mars devant le tribu
nal correctionnel de Paris. Il lui
est reproché d’avoir détourné à
son profit personnel, entre 2014
et 2017, « 54 % à 61 % » des subven
tions reçues par son association
de lutte contre la récidive. Son ex
épouse, AnneValérie Noir com
paraît à ses côtés. Pierre Botton
tout entier sanglote : « On ne peut
pas remettre en cause ma cause! Je
ne supporterai pas qu’on dise que
j’ai tapé dans la caisse, je ne le sup
porterai pas! Depuis 2017, on est
au plus haut dans les chiffres de dé
tention, Monsieur le président! Ma
souffrance, c’est 72 000 détenus.
Des gamins qui sont en train de se
radicaliser. On aurait pu éviter ça!
Et personne ne dit rien. Et moi, moi,
je ne peux plus rien dire! »
Le président Benjamin Blanchet
le regarde calmement.
« On va revenir à des choses plus
prosaïques, Monsieur Botton... »
Du dossier, il exhume les premiè
res des neuf charges retenues
contre le prévenu : double factu
ration, surfacturation au préju
dice d’Ensemble contre la réci
dive.
« D’abord, il faut que je vous ex
plique, l’interrompt Pierre Botton.
En 1998, j’ai répondu à une invita
tion de Mireille Dumas, pour par
ler du choc carcéral. A la fin de
l’émission, j’ai été contacté par
quelqu’un de l’Observatoire inter
national des prisons. Il m’a dit que
je faisais avancer le combat. Vous
savez où j’ai fait l’une de mes pre
mières interventions? A l’Ecole na
tionale de la magistrature!
En 2005, j’ai appris que je pouvais
être relevé de mon interdiction de
gestion. J’ai repris mon premier
métier, je refaisais les pharmacies.
Et puis, tout doucement, je me suis
laissé emmener dans le combat
pour les prisons. J’avais l’impres
sion de servir à quelque chose. De
payer ma dette à la société. »
Tombent les premiers noms, il y
en aura des dizaines. Michel Co
lucci, « mon ami » – Pierre Botton
pleure – dont il s’était inspiré
pour le premier nom de son asso
ciation, Les prisons du cœur :
« Mais vous savez, quand on s’oc
cupe des prisons, personne ne veut
donner, c’est pas comme si on s’oc
cupait de la moelle épinière! » Vé
ronique, son épouse – « C’est elle
qui m’a dit, “Fais ce que Michel a
fait avec moi” et c’est comme ça
que j’ai nommé ValérieAnne à la
présidence de l’association. » Phi
lippe Courroye, « mon magistrat
instructeur » auquel il va deman
der conseil pour trouver des com
missaires aux comptes.
Benjamin Blanchet hausse les
sourcils.
« Vous aviez de bonnes relations
avec lui? C’est insolite comme dé
marche...
- M’sieur le président! Mettez
vous dix ans en arrière. J’avais un
casier judiciaire long comme ça - Pierre Botton écarte les bras – et
ces gens me faisaient confiance! »
Pierre Botton poursuit la liste
du Bottin : « Quand vous êtes face
à Madame Amaury, [alors direc
trice du groupe de presse Le Pari
sien, L’Equipe] ou Nicolas Ba
zire [président à l’époque du
groupe Bernard Arnault et de l’un
de ses journaux, La Tribune], ce
qui compte c’est les tripes! » Pierre
Botton veut les mobiliser pour
publier des suppléments sur les
prisons dans leurs journaux. « Et
nos spots avec Yannick Noah et
Pierre Arditi, à la télé, au cinéma,
sur les abribus, vous les avez vus,
Monsieur le président? »
Prestations facturées deux fois
Il raconte ensuite ses visites à la
chancellerie, cite les prénoms et
les noms de tous les conseillers
qu’il a rencontrés, évoque en dé
tail ses entretiens avec Michèle
AlliotMarie, Christiane Taubira
ou JeanJacques Urvoas – « Je lui ai
dit, JeanJacques, où sont tes
convictions? »
« Mais je rencontre toujours la
même difficulté : ils n’ont jamais
assez de budget! »
Le président, placide :
« C’est assez récurrent dans le do
maine de la justice.
- Mais pour moi, vous savez, la
justice a fait un travail formidable! - C’est tout de même embêtant
de se retrouver devant un tribunal
correctionnel aujourd’hui après
avoir pris conseil auprès de per
sonnes si avisées... »
Benjamin Blanchet tente de ra
mener le prévenu au dossier.
Pierre Botton s’échappe encore :
« Je voulais enlever les barbelés des
terrains de foot de Fresnes parce
que chaque année des milliers de
ballons sont crevés. Créer des dou
ches pour les détenus à côté du ter
rain. Installer des lumières. Je vou
lais que les détenus qui partici
paient à la construction du terrain
soient payés au smic... »
Autant de projets qui justifient,
selon lui, la convention signée en
tre sa société et l’association En
semble contre la récidive, selon
laquelle Pierre Botton percevait
30 % des subventions qu’il rap
portait. Mais il facturait aussi
deux fois certaines de ses presta
tions et se faisait rembourser des
frais sans justification. « Sur tou
tes les choses comptables, juridi
quement, je ne suis pas compétent.
Je faisais confiance. »
Son exépouse, AnneValérie
Noir, nommée à la tête de l’asso
ciation en 2014, règle sans ciller
les factures, antidate si nécessaire
certains documents. Appelée à
son tour à la barre, elle évoque
avec la même émotion que Pierre
Botton leur « combat commun
contre les conditions d’incarcéra
tion. Il les a vécues de l’intérieur,
moi de l’extérieur », ditelle. Elle se
montre tout aussi évasive que son
exépoux sur les questions de
comptabilité. « J’avais un emploi à
plein temps. Je ne travaillais que le
mercredi aprèsmidi à l’associa
tion », s’excusetelle. « Mais vous
étiez rémunérée cent vingtcinq
heures par mois! », s’exclame l’un
des avocats de la partie civile.
L’enquête du parquet évalue à
618 985 euros le montant des dé
penses personnelles facturées
par Pierre Botton au préjudice de
l’association de lutte contre la ré
cidive. L’arrêt de la cour d’appel
de Lyon, qui l’a condamné en jan
vier 1996, dénonçait « un système
de prise en charge par les sociétés
de Pierre Botton de dépenses per
sonnelles somptuaires diverses
présentées comme conformes à
l’image desdites sociétés ». Pour
suite de la mise en abyme jus
qu’au mercredi 4 mars.
pascale robertdiard
A la barre, Penelope Fillon tente de justifier ses revenus
Le tribunal cherche à déterminer si le travail de l’épouse de François Fillon justifiait une rémunération de collaboratrice parlementaire
O
n ne peut pas dire que Pe
nelope Fillon n’ait rien
fait au côté de son mari
lorsque celuici était député de la
Sarthe. Mais on ne peut pas dire
non plus quelle était la nature
exacte ni l’ampleur de sa tâche.
Voilà où l’on en est, après deux
jours d’interrogatoire minutieux
du couple qui comparaît depuis le
24 février à Paris pour détourne
ment de fonds publics. On ne peut
pas dire que Penelope Fillon n’ait
rien fait, mais « la question de ce
procès, a résumé, lundi 2 mars, le
procureur Aurélien Létocart, c’est :
estce que cela méritait une rému
nération dans le cadre d’un contrat
de collaborateur parlementaire? »
Pour avancer vers une réponse,
le tribunal a décortiqué, trois heu
res durant, les dizaines et les dizai
nes de documents – courriers,
photos, mails, articles, discours –
fournis par la défense, et censés
démontrer que Penelope Fillon
n’avait pas été payée jusqu’à
5 900 euros net par mois pour cul
tiver les roses dans le jardin du ma
noir sarthois de Solesmes. Au fil
des pièces, on apprend qu’elle a
participé au vernissage d’une ex
position à AsnièressurVègre, re
mis des récompenses à un
concours équestre ou assisté au
festival de musique baroque de Sa
blésurSarthe, qu’elle accompa
gnait François Fillon lors de la cé
rémonie de jumelage de Parcé
surSarthe avec un village gallois,
et qu’elle a récolté « des détails et
des dates précises » sur la vie d’un
maire local décédé pour étoffer
l’éloge funèbre lu par son mari à
l’enterrement.
« Ça montre votre participation à
des événements locaux », convien
dra la présidente, qui se montrera
tout de même le plus souvent cir
conspecte face aux « preuves »
avancées par la défense, et deman
dera fréquemment à l’intéressée :
« Mais quel est le lien avec votre tra
vail d’assistante parlementaire? »
Pour certains documents, ce lien
est difficile à déceler. Ces trois pa
ges d’un agenda de François Fillon
de décembre 1981, par exemple,
dans lesquelles Penelope Fillon
n’apparaît pas. Ou ce mail envoyé
en 2013 par une collaboratrice de
l’expremier ministre, demandant
à Penelope Fillon de bloquer une
date pour un dîner avec le journa
liste FranzOlivier Giesbert. « Elle a
retrouvé ces documents par ha
sard, s’était excusé son avocat
Pierre CornutGentille en préam
bule. Ce sont des exemples anciens
de contributions plus ou moins im
portantes, mais on ne prétend pas
que ça rende compte de manière
exhaustive de son activité. » Par
fois, cela n’en rend pas compte du
tout, comme pour ce courrier
d’une dame réclamant à M. Fillon
une indemnisation pour ses pa
rents déportés, et à laquelle le dé
puté a répondu qu’il transmettrait
aux anciens combattants. « Com
ment avezvous participé, dans ce
dossier ?, demande la présidente.
- Je n’ai pas participé. »
La défense insiste sur une attri
bution majeure de Penelope
Fillon : le traitement du courrier.
Mais l’atelle traité ou s’estelle
contentée de le faire passer à son
époux ou à d’autres collabora
teurs? Impossible d’obtenir une
réponse claire. D’ailleurs, la prési
dente se demande si les gens écri
vaient « au député, au maire ou
au président du conseil général »,
mandats cumulés par François
Fillon, et donc si Penelope interve
nait en tant que femme de député,
de maire ou de président du con
seil général (ou, plus tard, du can
didat à la primaire de l’UMP).
Même doute devant les invita
tions à participer à tel événement,
local ou privé, au côté de François
Fillon : « Si vous n’aviez pas été as
sistante parlementaire de votre
mari, auriezvous été invitée de la
même façon? » « Je ne sais pas », ré
pond Penelope Fillon.
Au fil des audiences, il apparaît
que la définition d’un assistant
parlementaire que retiendra le tri
bunal sera déterminante dans son
jugement. Pour la défense, ce rôle
n’a pas de contours précis,
d’autant moins si le collaborateur
est aussi le conjoint : « On ne tra
vaille pas de la même manière avec
son conjoint », souligne François
Fillon, rappelant qu’une telle pra
tique était répandue avant d’être
interdite en 2017, et que le tribunal
ne peut pas juger la présente af
faire « sans prendre en compte cet
environnement qui était celui de
l’Assemblée et du Sénat sur les cin
quante dernières années ».
Une audience tourmentée
L’accusation, elle, estime que les
activités de Penelope Fillon relè
vent moins de « l’activité rémuné
rée de collaborateur d’un parle
mentaire » que du « rôle social de
son conjoint ». Ecartant sa femme
de la barre, comme à chaque fois
qu’elle est en difficulté, François
Fillon s’agace : « Où avezvous vu
qu’il y avait un rôle social de
l’épouse d’un parlementaire?
M. [Marc] Joulaud [coprévenu au
procès, et suppléant de M. Fillon
comme député entre 2002 et
2007] vous le dira, son épouse
n’était pas présente dans la vie lo
cale. Ce n’est pas parce que vous
êtes élu que votre épouse a des res
ponsabilités. »
Au bout d’une audience tour
mentée, le procureur Bruno Nataf
s’étonne que la défense ait fourni
des dizaines de preuves d’une acti
vité de Penelope Fillon auprès de
son mari pour une période posté
rieure à la fin de son dernier con
trat avec lui, en novembre 2013.
« Je pense que tout est tellement
mélangé qu’il est impossible de dire
si je faisais quelque chose en tant
qu’assistante parlementaire ou en
tant qu’épouse, tente Penelope
Fillon.
- Alors en quoi votre activité justi
fiaitelle un contrat? - Ce n’était pas anormal que ce
travail entraîne une rémunéra
tion. »
M. Fillon écarte une dernière
fois sa femme de la barre : « On
pourrait poser la question de fa
çon différente. Estce qu’il n’est pas
anormal de ne pas avoir été rému
nérée pour avoir fait ce travail? »
henri seckel
L’accusation
estime que
les activités de
Penelope Fillon
relèvent
du « rôle social
du conjoint »
Pierre
Botton,
au tribunal
de Paris, le
26 février.
LIONEL PRÉAU/RIVA
PRESS
Les dépenses
personnelles
facturées
par M. Botton
au préjudice de
son association
sont évaluées
à 618 985 euros