Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

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ÉCONOMIE  &  ENTREPRISE


MERCREDI 4 MARS 2020

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Dunlopillo en quête d’un nouveau rebond


En redressement judiciaire, la marque de matelas souffre de la défection de certaines enseignes de meubles


C’

est mercredi 4 mars
que va commencer à
se jouer l’avenir de
Dunlopillo. Le tribu­
nal de commerce de Paris tiendra
son audience sur les offres dépo­
sées pour la reprise de l’un des
plus célèbres noms du marché de
la literie en France, qui emploie
200 personnes au sein de ses deux
usines de fabrication, dans les Yve­
lines. Une décision est attendue
une quinzaine de jours plus tard.
La marque Dunlopillo, en re­
dressement judiciaire depuis dé­
cembre 2019, est gérée par Paris
Bedding, filiale du fabricant de
literie Adova, qui détient égale­
ment les marques Treca et Sim­
mons. Pour justifier son choix de
s’en séparer, Jacques Schaffnit, le
président d’Adova (ex­Cauval), a
estimé qu’il fallait « préserver la
trésorerie du reste des activités ».
De fait, si le chiffre d’affaires de
Dunlopillo atteignait 100 mil­
lions d’euros il y a douze ans, il ne
s’élevait plus qu’à 16 millions
quand Cauval a été racheté, en
mai 2016, par le fonds Perceva.
La situation risquait de se dété­
riorer au cours des prochains
mois, avec la fermeture program­
mée de trente­deux magasins
Conforama et dix Maison Dépôt à
la suite des difficultés de l’ensei­
gne depuis la découverte des mal­
versations de son actionnaire
sud­africain Steinhoff, en 2017.
« Nous n’avons pas encore ressenti
de baisses de commandes de
Conforama, mais cela va arriver et
pourrait affecter de 15 % à 20 % du
chiffre d’affaires que l’on fait avec
eux », souligne M. Schaffnit.
« Les impacts commenceront à
se faire sentir en mars­avril, en
fonction des calendriers de fer­
meture des magasins », anticipe,
pour sa part, Luis Flaquer, direc­
teur général de Cofel, premier
fabricant de matelas dans l’Hexa­
gone. Propriétaire des marques
Bultex, Epeda et Merinos, le
groupe s’attend à un maximum
de 15 % de commandes en moins
avec l’enseigne. Son chiffre d’af­
faires avait augmenté de 10 %
en 2019, à 235 millions d’euros.
Cette inquiétude pour l’avenir
tranche avec la situation du sec­
teur de l’ensemble du marché
de la distribution de meubles
en 2019. Les ventes en France ont
progressé de 4,1 % en valeur, à
13,4 milliards d’euros, d’après les
chiffres publiés mardi 3 mars par
la Fédération française du négoce
de l’ameublement et de l’équipe­
ment de la maison (Fnaem). Cela

fait suite à une baisse de 2,7 %
en 2018, après trois années consé­
cutives de hausse.
Du meuble de cuisine (+ 6,2 %) à
celui de salle de bains (+2,8 %), en
passant par le meublant (canapés,
+ 3,4 %), la croissance a profité à
toutes les familles de produits. Le
marché de la literie, avec ses 4 %
de hausse, a même affiché la se­
conde meilleure progression.
« Les ouvertures de spécialistes ont
repris à un rythme plus soutenu,
assurant une bonne croissance des
réseaux », explique la Fnaem.
Cependant, la fédération se dé­
sole du fait que la grande distribu­
tion a, « comme à son habitude,
joué le jeu de la promotion quasi
permanente », et que, « du côté de
la vente en ligne, les croissances
enregistrées les dernières années
ne sont plus d’actualité, des prix de
plus en plus bas ayant eu pour le
moment raison de l’effet volume ».

Selon M. Flaquer, « le désarroi d’un
certain nombre de fabricants »
tient en une phrase : « Ces dix der­
nières années, le marché de la lite­
rie a crû de 20 % et le chiffre d’affai­
res des fabricants français a baissé
d’autant et ce, à cause des impor­
tations des pays low cost. »

« Problème de volumétrie »
Dunlopillo, qui est une marque de
moyenne gamme, à la différence
de Treca ou de Simmons se trouve
donc en concurrence frontale
avec les marques propres des dis­
tributeurs et leurs premiers prix,
ainsi qu’avec les produits fabri­
qués à l’étranger. D’ailleurs, au
sein de la holding Adova, les
deux autres entités, Adova Group


  • chargé des marques Treca, Sim­
    mons et Steiner – et l’activité
    britannique se portent bien, au
    dire de M. Schaffnit. Tout le
    contraire de Paris Bedding, qui ac­


cuse 11 millions d’euros de pertes.
C’est moins que les 27 millions
d’euros de déficit affiché il y a
trois ans et demi, mais loin d’être
suffisant – malgré plus de 40 mil­
lions d’euros d’investissement –
pour mettre en place une nou­
velle organisation et poursuivre
un travail sur la marque.
« C’est un problème de volumé­
trie. Nous avons ramené le point
mort de 65 à 42 millions d’euros
de chiffre d’affaires, mais la crois­
sance des ventes n’a pas été aussi
forte qu’espéré », note Jacques
Schaffnit. En cause, la concur­
rence des marques de distribu­
teur, des coûts fixes importants
pour fabriquer en France et « des
clients [qui] n’ont pas apporté le
volume prévu en 2019, ce qui a
laissé un manque de chiffre d’affai­
res de 7 à 8 millions d’euros ».
Malgré tout, Dunlopillo attire
plusieurs candidats, à commen­

cer par Pikolin, l’actionnaire espa­
gnol qui détient la moitié du
capital de Cofel. Il possède déjà la
marque Dunlopillo dans quaran­
te­sept pays, mais dans le dossier
qu’il a déposé, il ne fait pas
mention de sa volonté de repren­
dre les sites de production.
Deux autres fabricants français,
qui produisent pour des marques

Casino : Jean­Charles Naouri obtient trois ans de répit


La justice a donné son feu vert pour repousser à 2023 le paiement de la première échéance de remboursement de sa dette


L’


horizon s’éclaircit pour
Jean­Charles Naouri et ce,
au moins pour trois ans.
L’homme d’affaires a réussi à
desserrer l’étau de ses créan­
ciers, tout en conservant le
contrôle majoritaire du groupe
Casino (Leader Price, Monoprix,
Franprix...). Il a fait savoir, lundi
2 mars, qu’il avait obtenu l’aval du
tribunal de commerce de Paris
pour repousser à 2023 sa pre­
mière échéance importante de
remboursement de dette.
En parallèle, M. Naouri a an­
noncé le renforcement de ses
liens avec Daniel Kretinsky (ac­
tionnaire indirect du Monde), in­
vestisseur dans les médias, l’éner­
gie et le commerce. Une entité
contrôlée par le milliardaire tchè­
que met à la disposition de Rallye,
la maison mère de Casino, une
ligne de financement de 233 mil­
lions d’euros, lui conférant un

nantissement potentiel de 8,7 %
du capital du distributeur. M. Kre­
tinsky détient 5,6 % de Casino.
Rallye, Foncière Euris, Finatis
et Euris – les holdings à travers
lesquelles M. Naouri contrôle le
distributeur – étaient entrées en
procédure de sauvegarde le
23 mai 2019. Impossible pour el­
les, à l’époque, de faire face à
3,3 milliards d’euros de dettes,
alors que le cours de l’action Ca­
sino n’en finissait plus de plonger.
Pourquoi cette relation de cause
à effet? Parce que, afin de conser­
ver la majorité d’un empire bâti à
coups d’acquisitions, M. Naouri
avait empilé de la dette, gagée sur
des actions Casino, dans sa struc­
ture actionnariale. Quand la va­
leur des actions baissait, cela né­
cessitait d’ajouter des titres en ga­
rantie. Or, même si Rallye détient
52 % de Casino, cette ressource
n’est pas inépuisable...

Cette fragilité n’avait pas
échappé aux vendeurs à décou­
vert, ces financiers qui parient
sur la baisse des actions. Sur fond
de crise des grandes surfaces et
de tassement de la consomma­
tion, les Muddy Waters, Jericho
Capital et même un fonds de
BlackRock ont misé sans relâche
sur la chute de l’action Casino de­
puis 2015. Au point que, lorsque
M. Naouri a demandé la protec­
tion du tribunal de commerce de
Paris, seulement 3 % des actions
Casino de Rallye étaient encore li­
bres de tout nantissement.
Cette mécanique diabolique va
disparaître. C’est l’un des amé­
nagements opérés par les plans
de sauvegarde arrêtés le 28 fé­
vrier par le tribunal. Ces accords,
en outre, étalent sur dix ans
l’échéancier des holdings faîtiè­
res. Pour Rallye, les obligataires
ou porteurs de billets de trésore­

rie, dont l’essentiel des créances
ne sera remboursé qu’en 2030,
pour 1 milliard, n’ont guère goûté
la perspective : ils ont voté contre
à 54 %, leur avis n’étant que
consultatif.

Ventes d’actifs
Les banques – qui bénéficient de
nantissements – ont, en revan­
che, toutes approuvé la perspec­
tive d’être payées dès 2023. Cette
année­là, Rallye devra donc dé­
bourser 1,2 milliard d’euros. Rien
avant, d’autant que la ligne de fi­
nancement d’une durée de qua­
tre ans signée avec EP Invest­
ment, entité contrôlée par M. Kre­
tinsky, devrait servir à rembour­
ser des opérations de dérivés
en 2021 et 2022.
L’objectif est de laisser le temps
à Casino de redresser la barre. Car
si le distributeur, lui­même lour­
dement endetté, ne versera pas

de dividendes en 2020, c’est bien
cette manne qui constitue la
principale ressource de Rallye.
Depuis juin 2018, Casino s’est
engagé dans un vaste plan de dé­
sendettement de 4,5 milliards
d’euros, à réaliser avant le
31 mars 2021.
Les ventes d’actifs en sont la clé.
Cessions de murs de magasins,
désengagement de sa filiale de
restauration collective R2C, mais
aussi de Vindémia, regroupant
les activités dans l’océan Indien :
sur 2,1 milliards d’euros de ventes
signées, 1,9 milliard a déjà été em­
poché. La cession de Leader Price
à Aldi, en cours de négociation,
rapporterait entre 600 et
800 millions d’euros.
Et Casino pourrait ouvrir le capi­
tal de filiales, comme son e­mar­
chand Cdiscount. En 2019, Bpi­
france et Tikehau Capital avaient
acquis auprès du distributeur

25 % du capital de la société spé­
cialisée dans les énergies renou­
velables GreenYellow.
« C’est un bon jour pour
M. Naouri, mais un mauvais jour
pour la place financière de Paris et
les actionnaires de Casino », a réagi
Fabienne Caron, analyste finan­
cier chez Kepler Cheuvreux. Pour
maintenir « la chaîne de contrôle
du groupe », les plans de sauve­
garde prévoient en effet que des
actionnaires en haut de la cascade
de holdings soient payés avant
des créanciers bénéficiant de sé­
curités. Un précédent qui inquiète
les rares experts de la restructura­
tion d’entreprises en France ne
travaillant pas pour M. Naouri.
« Remonter des dividendes est le
seul moyen pour indemniser les
créanciers en haut de la pyra­
mide », s’agace un conseiller de
l’homme d’affaires.
isabelle chaperon et c. pme

Un magasin
Conforama,
à Paris, en 2016.
GILLES BASSIGNAC/DIVERGENCE

« Nous n’avons
pas encore
ressenti
de baisses de
commandes de
Conforama, mais
cela va arriver »
JACQUES SCHAFFNIT
président d’Adova

de distributeur, avaient aussi
témoigné de leur intérêt : Jac­
quart, un fabricant du nord de la
France, mais aussi Finadorm, un
groupe qui très actif dans l’équi­
pement de loisir, et qui réalise un
quart de son chiffre d’affaires
dans la literie. Son fondateur et di­
rigeant, Jean­Rémy Bergounhe,
est aussi président du Syndicat
français de la literie.
Sur les rangs figure également
Emma, une entreprise numé­
rique de vente directe au consom­
mateur, qui s’est lancée il y a trois
ans en France. L’entreprise pos­
sède déjà la marque Dunlopillo
en Allemagne, en Autriche et
dans les pays de l’Est, et se tar­
guait, lors de l’annonce de son of­
fre de reprise, le 12 février, d’avoir
« racheté et redressé avec succès la
marque Dunlopillo en Allema­
gne » en 2016.
cécile prudhomme
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