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CULTURE
MERCREDI 4 MARS 2020
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CHEFD'ŒUVRE À NE PAS MANQUER À VOIR POURQUOI PAS ON PEUT ÉVITER
La fin de l’enfance en version Pixar
La nouvelle production du studio d’animation américain séduit par son scénario à forte charge émotionnelle
EN AVANT
L’
affiche d’En avant pro
duit un étrange effet : à
première vue, on se
croirait dans l’univers
de DreamWorks, concurrent his
torique de Pixar. Le visionnage
vient confirmer l’intuition : le
film s’acoquine pour la première
fois avec l’esthétique de l’heroic
fantasy, univers rapporté qui
affadit quelque peu la capacité du
studio à donner forme à des mon
des visuels extrêmement forts.
En avant serait un Pixar censé
nous faire patienter jusqu’à la
prochaine bombe théorique et
émotionnelle, déjà prévue pour
juin : Soul, de Pete Docter, dont
le vertigineux synopsis, une his
toire d’âme séparée du corps
sur fond de club de jazz, s’avère
déjà prometteur.
Force de l’imaginaire
Mais c’était sans compter sur la
force autoréflexive de Pixar. Dès
ses premières minutes, En avant
est conscient de sa modestie : le
film nous décrit un passé immé
morial où auraient régné la magie,
les créatures fantastiques, l’irra
tionnel – en un mot, la fiction. Puis
retour au présent, dans une Amé
rique plongée dans la standardisa
tion, la quotidienneté tranquille et
sans histoire. Une Amérique crou
lant sous la normalité, dépeuplée
de son enchantement par la so
ciété de consommation que le
film commente d’un œil critique
et tendre. Pixar confirme qu’il
reste le seul studio d’animation
américain qui instille subtilement
un commentaire politique à l’inté
rieur de ses grandes machines à
fiction – avec, pour sommet, la
fable écologique et kubrickienne
WallE (2008).
Le film se confine entre les
quatre murs d’un foyer, celui de la
famille Lightfoot : deux frères et
leur mère à la peau bleue et aux
grandes oreilles. Si le quotidien
semble être celui d’une famille or
dinaire de la classe moyenne, le
père décédé a laissé derrière lui un
épais vide. Surtout pour Ian, ado
lescent timide et peu sûr de lui, en
mal d’une figure paternelle qu’il
n’a jamais connue. Le jour de son
anniversaire, la mère annonce à
ses fistons que le disparu leur a
laissé, avant de mourir, un cadeau
pour le jour où ils auraient atteint
leurs 16 ans : un majestueux scep
tre en bois accompagné d’un
mode d’emploi qui leur permettra
de faire revenir leur géniteur le
temps d’une journée. Le tour
étant imparfaitement exécuté, les
fils se retrouvent avec une moitié
de papa sur les bras : deux jambes
aveugles, dépourvues de torse et
de visage.
Les frères embarquent pour un
long voyage avec cette curieuse
paire de jambes, en route vers cette
féerie ancestrale qui a déserté
l’époque et qui rendra à leur père
son intégrité corporelle. Le road
movie entamé, le récit familial se
perd trop souvent dans les méan
dres des nombreux rebondisse
ments. Deux films avancent l’un à
côté de l’autre sans parvenir à faire
corps ni à se commenter récipro
quement. Si les saillies comiques
et la finesse des observations sont
toujours là, cette longue trame
pleine d’aventures et de personna
ges secondaires n’atteint jamais le
niveau des grands Pixar – plutôt
celui d’un excellent DreamWorks.
Seules les régulières apparitions
du père appartiennent à la grâce
pixarienne. Demisilhouette bur
lesque et fondamentalement
triste, bientôt pourvue d’un tronc
d’appoint, ce bout de père figure
une idée théorique géniale et bou
leversante : rien ne répare un
deuil, aucun tour de magie ne peut
venir combler l’absence. Sous la
fantaisie colorée et enfantine
pulse une notion avec laquelle il
est impossible de négocier chez
Pixar : la perte des êtres chers et la
fin de l’enfance. En se refusant à
l’illusion consolatrice, le studio a
sans doute fait grandir son public,
tout en lui servant le seul panse
ment qui vaille : les détours de la
fiction et la force de l’imaginaire.
En avant emprunte sa trajectoire
finale au canevas matriciel du Ma
gicien d’Oz (Victor Fleming, 1939) :
le bout de l’aventure se trouve être
le décor où l’on vit. Le film s’élance
une dernière fois dans une sé
quence d’action qui, cette foisci,
libère toute la puissance émotion
nelle savamment gardée en ré
Innocence et cruauté d’un groupe d’enfantssoldats
Le Colombien Alejandro Landes met en scène des gamins livrés à leur sort, dont la mission est de garder une otage
MONOS
I
l faut sans doute prendre les
premières images du film
d’Alejandro Landes comme
un piège pour l’œil et pour l’esprit,
une fausse piste en somme, qui
présente paradoxalement une di
mension allégorique, comme un
programme de tout ce qui va sui
vre durant une heure et quarante
trois minutes.
Une poignée d’enfants et d’ado
lescents jouent au ballon les yeux
bandés, à l’aveugle au bord d’un
précipice. Le lieu est celui d’un
sommet montagneux devine
ton. L’illusion se dissipe pour
tant vite. Le groupe est celui d’une
petite bande d’enfantssoldats
faisant partie d’une armée de gué
rilla, à qui un sousofficier vient
de donner des consignes. Leur
tâche, dans l’isolement de ces
hauteurs embrumées et humi
des, est de surveiller une captive,
une femme, médecin américaine
prise en otage. Le refuge des com
battants en herbe semble être l’ar
rièrecuisine d’un conflit se dé
roulant ailleurs, loin, et dont
l’écho ne parvient que filtré par
la rhétorique propagandiste du
sousofficier. Celuici va très vite
les laisser à leur sort tout en leur
confiant une vache dont le lait est
destiné à améliorer leur ordinaire.
Porosité entre le jeu et la guerre
On devine ici un contexte qui
renvoie, si l’on se restreint à évo
quer la Colombie, à la longue
guerre menée par les Forces ar
mées révolutionnaires de Colom
bie, les FARC, contre le gouverne
ment, même si elles ne sont ja
mais explicitement citées.
Une des vertus du film d’Ale
jandro Landes, dont c’est le troi
sième longmétrage, réside sans
doute dans cette manière habile
de décrire toute l’ambiguïté des
sociétés d’enfants, sociétés à l’in
térieur desquelles l’innocence et
la cruauté n’apparaissent plus
comme des qualités contradic
toires mais comme les deux fa
ces d’une même monnaie. Le
souvenir du livre de William Gol
ding, Sa Majesté des mouches
(1954), s’impose à la mémoire du
spectateur. Les chorégraphies in
fantiles se confondent avec les
gestes de l’entraînement guer
rier. Monos fonctionne, dans un
premier temps, sur la porosité
d’une frontière qui séparerait le
jeu et la guerre, l’action et son si
mulacre ludique. La guerre trans
formetelle des enfants en hom
mes ou les enfermetelle dans
une préhistoire figée et animale
de leur propre vie?
La mort, à la suite d’un jeu, de la
vache qui a été confiée aux jeunes
combattants, les pluies d’obus
d’un conflit se rapprochant dan
gereusement contraignent les
protagonistes à abandonner
leur refuge d’audessus les nua
ges, à passer du ciel à la terre, à en
treprendre une longue odyssée
dans la jungle.
Vraie singularité
Le récit se mue dès lors en lutte
pour la survie et en voyage mysti
que. La nature, les plantes, les ro
chers vertigineux et les rivières
glacées dissolvent progressive
ment les personnages dans un
univers à la fois concret et divin,
létal et cosmique. La mise en
scène semble désormais être au
service d’une sorte de pan
théisme, mais un panthéisme qui
serait sombre et fatal.
Car tout se détraque progressive
ment. Ecrasés par le système coer
citif mis en place par la structure
militaire qui les commande et leur
laisse peu de choix, tout en faisant
peser sur eux la menace d’une
exécution en cas de manquement
aux ordres, les jeunes guerriers
s’entredévorent et se dénoncent
les uns les autres auprès de leur
supérieur venu jauger leur com
bativité. Le groupe se disloque,
l’otage s’évade. Le mouvement de
fuite devient tout à la fois un acte
de libération au terme duquel s’af
firme la volonté de rompre avec le
monde des adultes et un exode
vers l’anéantissement.
L’ombre immense, trop im
mense peutêtre, d’Apocalypse
Now (1979) de Coppola plane sur
Monos, qui évoque aussi les trips
chamaniques d’un Werner Her
zog. Certes, ces références peu
vent apparaître par trop écrasan
tes pour le film d’Alejandro Lan
des, qui affirme pourtant une
vraie singularité. Le réalisme
magique dont il est nourri entre
tient aussi le sentiment concret
d’un rapport précis à l’histoire
contemporaine de la Colombie et
à une expérience bien réelle.
jeanfrançois rauger
Film colombien d’Alejandro
Landes. Avec Julianne Nicholson,
Moises Arias, Sofia Buenaventura
(1 h 43).
Chaque nouveau
Pixar reste
un splendide
laboratoire
d’affects,
un observatoire
du récit familial
serve : une ultime scène, déchi
rante, avec le père. Sans doute
estce là le véritable sortilège exé
cuté par le film : sa virtuosité scé
naristique confirme que chaque
nouveau Pixar, même quand il
n’est pas le meilleur, reste un
splendide laboratoire d’affects, un
observatoire du récit familial rare
ment égalé. Comme une Dorothy,
l’héroïne incarnée par Judy Gar
land, Ian est ramené, au détour
d’un long périple, à la magie pro
fane du quotidien, apprenant à re
garder ce qu’il négligeait jus
quelà : ses chers vivants.
murielle joudet
Film d’animation américain
de Dan Scanlon (1 h 40).
Le mouvement
de fuite devient
tout à la fois
un acte
de libération et
un exode vers
l’anéantissement
Barley et Ian, les deux
frères de la famille
Lightfoot. 2019 DISNEY/PIXAR
C O R O N A V I R U S
Les cinémas de l’Oise
et du Morbihan fermés
Les préfets des départements
de l’Oise et du Morbihan
ont pris un arrêté samedi
29 février interdisant, à partir
du 1er mars, les rassemble
ments collectifs sur l’ensem
ble de leur département pen
dant deux semaines. Une
décision qui a des consé
quences sur les manifesta
tions culturelles. Ainsi, quelle
que soit leur fréquentation,
les salles de cinéma de ces dé
partements sont visées par ce
texte qui cherche à éviter la
propagation du Covid19
dans ces « clusters » ou foyers
infectieux identifiés locale
ment. Selon la Fédération na
tionale des cinémas français
(FNCF), 27 salles dans l’Oise
- dont le CGR de Beauvais,
Les Toiles de CrépyenValois,
le cinéma Jeanned’Arc de
Senlis – ainsi que 37 cinémas
du Morbihan – dont Le Para
dis de Quiberon ou le
Cinéville et le Méga CGR de
Lorient – étaient provisoire
ment fermées lundi 2 mars.
Une situation qui devrait
durer jusqu’au 14 mars,
le délai maximum estimé
pour l’incubation du virus.