Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1
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MERCREDI 4 MARS 2020 culture| 23

Quand la rédemption vient de la foi


S’inspirant d’une histoire vraie, Jan Komasa filme un jeune meurtrier sauvé par son engagement dans l’Eglise


LA  COMMUNION


A

l’âge de 15 ans, Daniel
(Bartosz Bielenia) a
commis un meurtre
qui lui a valu d’être en­
voyé dans un centre de détention
pour la jeunesse où il s’est décou­
vert une vocation spirituelle. Le
jeune Polonais a désormais
20 ans et s’apprête à sortir. Son
crime lui interdisant l’accès aux
études de séminariste (son plus
cher désir), il se résout à traverser
le pays pour rejoindre un village
isolé où l’attend un programme
de réinsertion dans une entre­
prise de menuiserie. Sur place, un
concours de circonstances lui
fournit l’occasion rêvée de se faire
passer pour prêtre. Et d’officier
dans la paroisse du hameau où
les prêches qu’il dispense, avec
ardeur et sans se soucier du
dogme, vont réveiller toute la
communauté, allant jusqu’à ra­
mener au sein de l’église ceux qui
l’avaient désertée.
Inspiré d’une histoire vraie, le
troisième long­métrage du ci­
néaste polonais Jan Komasa
(après La Chambre des suicidés,
en 2011, et Insurrection, en 2014)
confronte le fait divers et le
thème de l’usurpation à un
drame – de pure fiction, celui­là –
qui intensifie le trait, cristallise
les passions et mine les cons­
ciences. Le drame en question
s’est produit il y a quelques
années : un accident de la route
qui a entraîné la mort de sept
personnes, six adolescents et un

homme. Ce dernier a été désigné,
par la rumeur et sans preuve,
coupable de la collision. Cons­
puée par la collectivité, sa veuve
à qui a été retiré le droit d’enter­
rer son mari, vit désormais en
recluse. Tandis que, de leur côté,
les parents des jeunes victimes
demeurent unis dans le chagrin,
la haine, la rancœur et l’esprit
de vengeance.
La rencontre du jeune Daniel
avec ces brebis éplorées apparaît
pour le (faux) prêtre comme un
signe du destin. Ce drame, qui fait
écho à sa propre histoire, lui
montre le chemin, inspire sa foi,
désigne sa mission. Il a été en­
voyé dans ce village pour aider
ses habitants à panser leurs
plaies et à retrouver la paix. Sa
conviction s’abreuve de fougue
et de passion. Lesquelles finis­
sent par griser son esprit et pren­
dre possession de son corps. Au
point de transformer le prêtre ju­
vénile en prédicateur fou, en gou­
rou séduisant, en rockstar haran­
guant les foules (« Arrêtez de
prétendre que vous n’êtes pas en
colère, qu’on ne vous a pas arra­
ché quelque chose. Arrêtez de pré­
tendre que vous comprenez! »).

Une société en pleine déréliction
La métamorphose surgit puis
disparaît, laissant chaque fois
l’empreinte d’un trouble qui
s’épaissit au fur et à mesure. A
l’image du jeune garçon que met
en scène le film et de l’acteur qui
l’interprète, dont le visage peut
tout aussi bien revêtir les traits
de l’ange que ceux du démon, se­

lon l’expression, l’angle de vue
ou l’éclairage qui lui sont offerts.
Le combat que mène Daniel
pour apporter la paix de l’âme à
ses paroissiens en souffrance
engage le récit sur plusieurs
voies, chacune ouvrant son
champ de réflexions sur le péché,
la rédemption, le pardon, la
croyance et le deuil. Chacune,
ensuite, ramenant inéluctable­
ment au héros, à l’intérieur
duquel se livre la vraie bataille.

Entre le bien et le mal, la foi et la
violence, le passé et l’avenir.
Jan Komasa joue de l’affronte­
ment en faisant se côtoyer l’ima­
gerie catholique, quasi sulpi­
cienne (le jeune prêtre auréolé,
dans l’église, d’une lumière di­
vine), et l’image naturaliste d’une
campagne misérable (où le même
prêtre apparaît en train de jouer
au foot dans la boue et de fumer
un joint avec la jeunesse désœu­
vrée). En entremêlant et en réu­

nissant parfois dans un même ca­
dre ces oppositions – symboles
d’une Pologne divisée et fractu­
rée –, le réalisateur fait acte de sub­
version. Il témoigne aussi d’une
société en pleine déréliction, lais­
sée à l’abandon dans ces zones re­
culées de l’Est et du Sud, où la po­
pulation est moins instruite, plus
conservatrice et religieuse qu’au
nord et à l’ouest du pays.
La Communion, film qui fut
nommé cette année aux Oscars,

dans la catégorie du long­métrage
international (récompense attri­
buée à Parasite du Coréen Bong
Joon­ho), est d’ores et déjà sorti en
Pologne où il rencontre un beau
succès, avec plus de 1 300 000 en­
trées enregistrées.
véronique cauhapé

Film polonais de Jan Komasa.
Avec Bartosz Bielenia,
Eliza Rycembel,
Aleksandra Konieczna (1 h 56).

Le jeune Daniel
(Bartosz Bielenia)
se fait passer
pour un prêtre.
BODEGA FILMS

Virginie Despentes, Béatrice Dalle,


Casey : trois femmes « viriles »


L’auteure, la comédienne et la rappeuse font résonner des textes
féministes et antiracistes dans une mise en scène de David Bobée

SPECTACLE


C’


est « the place to be », lâ­
chent, en souriant, des
spectateurs dans les al­
lées bondées du Théâtre Bobino à
Paris. Nous sommes lundi 2 mars.
Depuis le matin, les réseaux so­
ciaux, entre deux alertes sur le co­
ronavirus, ne parlent que de la vi­
rulente tribune de Virginie Des­
pentes parue dans Libération. Elle
y vilipende l’attribution du César
du meilleur réalisateur à Roman
Polanski et salue la réaction de la
comédienne Adèle Haenel qui, de
rage, a quitté la cérémonie. Coïnci­
dence de calendrier, le soir même,
l’écrivaine est sur la scène de Bo­
bino, dans le cadre de la troisième
édition du festival théâtral Paroles
citoyennes, avec la comédienne
Béatrice Dalle et la rappeuse Ca­
sey. Ce trio de femmes puissantes
fait résonner des textes féminis­
tes et antiracistes, mal ou peu con­
nus en France, d’une force inouïe
dans un spectacle intitulé Viril.

Domination masculine
En écoutant les extraits, choisis en
grande partie par Virginie Despen­
tes, on comprend la véhémence de
sa réaction contre « les puissants »
après la grand­messe houleuse du
cinéma français. Accompagnées
brillamment par le rock électro,
hypnotique et planant des musi­
ciens de Zëro – que l’auteure de
Vernon Subutex connaît de longue
date –, les trois artistes, tout de
noir vêtues, additionnent leur
énergie, leur colère et leur engage­
ment pour se libérer de la domina­
tion masculine et faire valoir les
nouveaux féminismes.
Largement applaudie lors de son
arrivée sur le plateau, Virginie Des­
pentes débute par un extrait de De­
venir Perra (2009, non traduit) de

la queer Itziar Ziga. « Je n’ai jamais
été ce qu’on appelle une bonne fille.
(...) Je suis née en guerre contre l’or­
dre patriarcal, personne ne pourra
me faire taire. (...) Je ne suis pas là
pour plaire », scande la roman­
cière. Auparavant, Béatrice Dalle a
ouvert avec brio cette forme de
« concert de littérature engagée »,
en lisant avec rage les premières
pages de King Kong théorie (Gras­
set, 2006), le manifeste de sa
meilleure amie Virginie Despen­
tes : « L’idéal de la femme blanche,
séduisante mais pas pute, tra­
vaillant mais sans trop réussir pour
ne pas écraser son homme, mince
mais névrosée par la nourriture, (...)
cette femme (...), je crois bien qu’elle
n’existe pas. » Puis la comédienne
devient bouleversante lorsqu’elle
reprend un poème de l’activiste
June Jordan (1936­2002) et un texte
de l’Américaine Zoe Leonard.
Quant à Casey, son flow percu­
tant délivre avec force les mots de
la philosophe Paul B. Preciado, de
la poétesse lesbienne Audre Lorde
(1934­1992) et, surtout, la charge, à
la fois ironique et violente, de Vale­
rie Solanas (1936­1988). L’extrait
choisi de SCUM manifesto (1968),
retournant, jusqu’à la caricature, le
discours patriarcal, taille les hom­
mes en pièces et appelle à suppri­
mer « ces godemichés ambulants ».

Ce spectacle­manifeste, à la fois
brutal et généreux, anarchiste et
rock’n’roll, percutant tant sur le
fond que sur la forme, s’achève
sur une douloureuse histoire
d’amour. Virginie Despentes re­
prend la lettre de Leslie Feinberg
(1949­2014) écrite à son ancienne
amante, qui retrace un épisode de
la persécution des butchs (« les­
biennes ») aux Etats­Unis. Le mur
de quatre­vingts projecteurs
s’éteint. Le public est sonné.
Mis en scène par David Bobée,
Viril a pour « héritage » le feuille­
ton théâtral Mesdames, messieurs
et le reste du monde, explorant la
thématique du genre, que le di­
recteur du Centre dramatique na­
tional de Normandie­Rouen avait
imaginé lors du Festival d’Avi­
gnon 2018. Béatrice Dalle et Virgi­
nie Despentes étaient déjà de
l’aventure. Quelques mois plus
tard, en mars 2019, le spectacle a
été créé à Vannes dans le cadre du
festival Les Emancipées.
« Ces textes sont un peu comme
des baumes sur des plaies », a ex­
pliqué David Bobée lors de la ren­
contre organisée à l’issue de la re­
présentation. « On est bien au­
delà de la libération de la parole
des femmes, on est à l’heure des
actes. Avec Viril, on agit », a pour­
suivi le metteur en scène. A ses
côtés, Iris Brey, spécialiste de la
représentation du genre et des
sexualités au cinéma, est reve­
nue sur les Césars : « Salle Pleyel,
on a vu une maison qui pue le
moisi. On sort pour aller en
construire une autre. »
sandrine blanchard

Viril, mise en scène David Bobée.
Le 4 mars au POC d’Alfortville,
le 27 mars à La Réunion
et, du 12 au 16 mai, au CDN
de Normandie­Rouen.

« On est bien
au-delà de
la libération
de la parole des
femmes, on est à
l’heure des actes »
DAVID BOBÉE
metteur en scène

Un film de
LORCAN FINNEGAN

IMOGEN
POOTS

JESSE
EISENBERG

LE11MARSAU CINÉMA


Design

: COURAMIAUD / LAURENT LUFRO

Y.

SIBLACKMIRRORÉTAIT LARÉALITÉ,


VIVARIUMSERAITSONCAUCHEMAR.


TÉLÉRAMA
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