Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

24 |culture MERCREDI 4 MARS 2020


0123


Sonic, le film 3 396 661 870 ↓ – 19 % 1 809 184
L’Appel de la forêt 2 368 924 472 ↓ – 6 % 891 418
10 jours sans maman 2 327 771 496 ↓ – 20 % 869 595
Invisible Man 1 294 644 355 294 644

Ducobu 3 4 211 964 (^661) ↓ – 17 % 1 352 806
Le Cas Richard Jewell 2 196 064 (^488) ↓ – 35 % 581 458
Le Voyage du Dr Dolittle 4 165 367 624 ↓ – 22 % 1 209 643
Dark Waters 1 129 113 247 129 113
Le Prince oublié 3 123 715 868 ↓ – 36 % 834 527
The Boy. La Malédiction... 1 82 405 202
Nombre
de  semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées  ()
Nombre
d’écrans
Evolution
par  rapport
à  la  semaine
précédente
Total
depuis
la  sortie
AP :  Avant­première
Source :  « Ecran  total »
  Estimation
Période  du  26 février  au  1er mars  inclus
Invisible Man, de Leigh Whannell, avec Elisabeth Moss, a réalisé un
bon démarrage avec 294 644 entrées en cinq jours, et une moyenne
de 830 spectateurs par copie. La production Blumhouse devance
le dernier film de Todd Haynes, Dark Waters, une histoire de terres
polluées par une usine de chimie, inspirée de faits réels, qui
enregistre 129 113 entrées (523 spectateurs par copie). Deux autres
nouveautés sont au coude­à­coude, The Boy. La Malédiction
de Brahms (82 405 entrées), film d’épouvante de William Brent Bell,
ainsi que Lucky (72 311 entrées), comédie franco­belge d’Olivier
Van Hoofstadt. Suivent Judy, de Rupert Goold (68 952 entrées),
biopic sur Judy Garland qui a valu à son interprète Renée Zellweger
l’Oscar de la meilleure actrice, et Mine de rien (67 070 entrées),
comédie sociale de Mathias Mlekuz, où des chômeurs décident
d’ouvrir un parc d’attractions à la place d’une usine fermée.
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
L E S
A U T R E S
F I L M S
D E
L A
S E M A I N E
Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
    À V O I R
La Danse du serpent
Film argentin, chilien, costaricain et français
de Sofia Quiros Ubeda (1 h 22).
Sélectionné à la Semaine de la critique, à Cannes, en 2019, La
Danse du serpent (Ceniza Negra) envoûte dès ses premières ima­
ges d’une douceur sauvage, sur une ville côtière des Caraïbes. Ce
film onirique raconte le « voyage » de la jeune Selva vers l’ado­
lescence, au moment où son grand­père semble abandonner
tout désir de vie. L’Argentine Sofia Quiros Ubeda, qui a grandi
au Costa Rica, livre un beau tableau tout en ombres, délicatesse
et réminiscences, où le surnaturel et le conte subliment le récit,
dans une veine proche d’Apichatpong Weerasethakul. cl. f.
    P O U R Q U O I PA S
Mitra
Documentaire belge et français de Jorge Leon (1 h 20).
Psychanalyste iranienne, Mitra Kadivar a été internée de force
en 2013 à Téhéran. Faisant appel au psychanalyste français et
gendre de Jacques Lacan, Jacques­Alain Miller, pour organiser sa
défense, son cas a suscité le soutien d’intellectuels et d’artistes
français. Mais aussi l’hostilité de quelques autres. A partir de
l’échange de mails entre les deux praticiens, le documentariste
Jorge Leon a écrit une sorte d’opéra dont il filme la répétition
dans un hôpital psychiatrique près d’Aix­en­Provence. Comme
si le chant pouvait seul traduire le mutisme de Mitra Kadivar,
contrainte de ne s’exprimer que par mail. Ennuyeux. ph. r.
Thee Wreckers Tetralogy
Film d’animation belge, français et néerlandais de Rosto (1 h 10).
Œuvre du chanteur, illustrateur et guitariste hollandais Rosto,
mort en mars 2019 à l’âge de 50 ans, ce long clip divisé en quatre
parties, empruntant sa logique au cadavre exquis, évoque les tri­
bulations d’un groupe de rock. Mis en chantier en 2008 pour
ses passages les plus anciens, le film, réalisé en partie en motion
capture, commence par trois minutes d’écran noir durant
lesquelles seule la musique envahit la salle. Tom Waits, The
Residents, The Do ont coopéré avec cet artiste protéiforme. Une
exposition à Clermont­Ferrand et la ressortie d’un livre, de viny­
les et de CD accompagnent cette œuvre déroutante. ph. r.
Where Is Jimi Hendrix?
Film allemand, chypriote et grec de Mario Piperides (1 h 33).
Le réalisateur imagine une course­poursuite loufoque sur l’île
chypriote, divisée entre le sud et le nord (occupé depuis 1974),
dont l’un des protagonistes est un chien. Yiannis, un musicien
criblé de dettes, décide de quitter Chypre. Trois jours avant
son départ, Jimi Hendrix, le chien de son ancienne compagne,
file dans la zone turque. Lancé à sa poursuite, Yiannis franchit la
frontière et se retrouve bloqué de l’autre côté. A travers cette mi­
cro­intrigue, le film raconte les divisions de l’île sur un mode dé­
calé, absurde, qui manque de rythme et d’originalité. cl. f.
Woman
Documentaire français d’Anastasia Mikova
et de Yann Arthus­Bertrand (1 h 48).
Les visages filmés en gros plan, face caméra, se succèdent tou­
jours sur le même fond noir. Ils appartiennent aux 2 000 fem­
mes issues de 50 pays différents qu’ont rencontrées les réalisa­
teurs, pour recueillir leur parole sur différents thèmes : l’amour,
la maternité, la sexualité, le couple, le mariage, le corps...
Chacune constitue la page d’un catalogue que l’on feuillette,
bercé par les voix qui se mêlent au point d’en devenir indistinc­
tes. Un paradoxe quand le documentaire glorifie la diversité.
La condition féminine aurait mérité d’être interrogée sur un
champ plus large que les domaines les plus intimes. v. cau.
À L’A F F I C H E É G A L E M E N T
Haingosoa
Film français d’Edouard Joubeaud (1 h 12).
Papi Sitter
FIlm français de Philippe Guillard (1 h 37).
Les Petits Contes de la nuit
Programme de six courts­métrages d’animation (40 minutes).
Trouble
Film français de Catherine Diran (1 h 15).
Le sentiment amoureux
convoqué sur un plateau
Patric Chiha et Gisèle Vienne racontent la fabrication de « Si c’était
de l’amour », documentaire du premier sur le travail de la seconde
RENCONTRE
berlin ­ envoyée spéciale


M

agnifiques Patric
Chiha et Gisèle
Vienne. Ils ont la
quarantaine, se
sont connus à l’adolescence dans
un lycée international, tous deux
ont des origines autrichiennes.
Lui a été styliste, puis cinéaste. Elle
est marionnettiste et créatrice de
spectacles d’une étrangeté inclas­
sable sur la sensation, le désir, les
pulsions de mort, qui lui valent
d’être considérée comme l’une
des artistes les plus stimulantes
de cette dernière décennie. Ils
sont amis, chacun connaît parfai­
tement le travail de l’autre.
« J’ai vu toutes les pièces de Gi­
sèle... Et Gisèle a fait la chorégra­
phie de quelques­uns de mes pré­
cédents films, Domaine [2009] et
Boys Like Us [2014] », rappelle Pa­
tric Chiha. Puis ce qui devait arri­
ver arriva : le cinéaste a tourné un
film, Si c’était de l’amour, à partir
de la dernière création de Gisèle
Vienne, Crowd (2017), une pièce
pour quinze danseurs sur l’ai­
mantation des corps, les flux de
désir qui rapprochent, ralentis­
sent, font dévier, sur scène, la pe­
tite foule en short et jogging re­
jouant les rave parties des années


  1. On les a rencontrés à la Ber­
    linale, alors que le film était pré­
    senté dans la section Panorama.
    « J’ai vu Crowd et la beauté de
    cette pièce m’a complètement saisi
    lors de la première, confie Patric


Chiha. Je faisais mon montage
comme spectateur, et j’ai eu l’im­
pression qu’il y avait un début de
film. J’ai dit à Gisèle : “Ce ne sera
pas un film sur ta pièce, mais une
rêverie à partir de...” ». Gisèle
Vienne : « Cette amitié a rendu
possible la présence de Patric et de
son équipe sur le plateau. Donner
son travail, cela suppose une
confiance. Et Patric a donné ce
film. Nos travaux se croisent de
manière on ne peut plus intime. »
Le tournage a duré de mai à sep­
tembre 2018, au fil des tournées.
Scènes de plateau, répétitions,
coulisses, moments de pause
dans les chambres d’hôtel. « Mon
désir de cinéma est venu quand,
jeune homme, j’allais au théâtre et
que je voulais aller dans les coulis­
ses », se souvient Patric Chiha.

« Comme un film de fiction »
Si c’était de l’amour est un film de
plans, de visages, de travail inté­
rieur, où les interprètes sont peut­
être à la fois eux­mêmes et quel­
qu’un d’autre. Tels des comé­
diens? « J’ai pensé gros plans, ci­
néma. Je suis assez peu sensible, en
général, aux films de danse où l’on
commence à découper le corps,
une main, à fétichiser... Ici, pas du
tout. J’ai fait un découpage comme
si c’était un film de fiction. Se rap­
procher, s’éloigner, basculer, j’ai
travaillé avec les visages mais je
n’ai jamais cherché la joliesse d’un
geste », répond Patric Chiha.
Si les danseurs de Crowd sem­
blent habités par un personnage,

c’est aussi parce qu’ils sont « nour­
ris » de textes écrits par Dennis
Cooper, matière invisible qui crée
des liens et des tensions. « Ce sont
des histoires parfois très proches
des danseurs, ou de la fiction sur
mesure », résume Gisèle Vienne,
qui a l’habitude de travailler avec
l’écrivain américain. « Ces textes
ont été déclencheurs, affirme le
réalisateur. Je n’avais pas de but, je
filmais. La chef opératrice éclairait,
la lumière était une invitation au
jeu. Les danseurs étaient libres de
dire ce qu’ils voulaient. Quelqu’un
pouvait se mettre en scène et déci­
der de ce qu’il avait envie de mon­
trer. Il n’y a pas une narration,
mais mille. » L’auteur de Brothers
of the Night (2016) ajoute : « J’ai fait
très attention à préserver le mou­
vement, le flottement. D’où le titre,
Si c’était de l’amour. »
Sans aller jusqu’à la direction
d’acteurs, Gisèle Vienne travaille
l’irruption de l’émotion avec ses
interprètes. Elle cherche aussi à
leur donner confiance en eux.
« On sait très bien, en tant que met­

teur en scène, chorégraphe ou réa­
lisateur, que l’on peut déstabiliser,
fragiliser, manipuler les acteurs. Là
c’est le contraire, ce qui fait la force
de l’interprétation, c’est la con­
fiance qu’ils ont en eux. Pour moi,
c’est ce qu’il y a de plus magnifique.
Malheureusement, j’ai l’impres­
sion de partir de zéro parce que
même les formations de comé­
diens et de danseurs déstabilisent
cette confiance en soi, dit­elle.
Dans Crowd, on est dans un grand
huit émotionnel. La pièce, c’est
comment on arrive à convoquer
physiquement le sentiment amou­
reux sur le plateau. »
Pour traduire son imaginaire
sur l’amour et le mouvement, Pa­
tric Chiha, lui, évoque le cinéma
de Mikio Naruse (1905­1969),
l’Antonioni nippon filmant la mo­
notonie du couple et ses tentati­
ves pour cheminer côte à côte,
comme dans Nuages flottants
(1955). « Il y a des scènes sublimes,
des couples qui croient qu’ils vont
marcher ensemble, puis, à la fin du
travelling, ils ne sont plus ensem­
ble. Etre amoureux, c’est marcher
un peu avec quelqu’un au même
rythme, et en amitié, c’est pareil.
Avec Gisèle, on marche assez bien
ensemble et, parfois, c’est un peu
désynchronisé. » Le réalisateur
précise : « Je vois un lien très fort
entre mise en scène et sentiment
amoureux. C’est comme plonger
dans un inconnu et ne pas savoir
où l’on va. Avec le risque de rentrer
dans le mur. »
clarisse fabre

« Je suis assez
peu sensible aux
films de danse où
l’on commence à
découper le corps,
à fétichiser »
PATRIC CHIHA

Le théâtre des étreintes et de la création


En filmant la tournée d’un spectacle, Patric Chiha signe un documentaire sur l’amour


SI  C’ÉTAIT  DE  L’AMOUR


O


ù donc finit le théâtre, où
commence la vie? », se de­
mandait Anna Magnani
dans Le Carrosse d’or (1952), de Re­
noir. Soixante­huit ans plus tard,
la même question revient, tou­
jours aussi vertigineuse, à Patric
Chiha, qui a lui aussi posé sa ca­
méra sur une scène de théâtre.
Lieu trouble et intrigant s’il en est,
aux propriétés presque chamani­
ques, puisque c’est en lui que le

réel bascule dans sa représenta­
tion, que l’acteur et le personnage,
le jeu et l’émotion, le faux et le vrai,
deviennent indissociables.

« Free parties » des années 1990
Pour cela, Patric Chiha a suivi la
tournée de Crowd (2017), de la
chorégraphe franco­autrichienne
Gisèle Vienne, qui recrée comme
dans une bulle l’expérience des
free parties des années 1990.
Sur scène, les danseurs se meu­
vent au ralenti, sur une couche de
terre rappelant un terrain vague,

au son d’une musique techno,
hypnotique et envoûtante, qui
ouvre autour d’eux comme un
grand bain de sensations. En répé­
tition, la metteuse en scène règle
leurs mouvements, sculptant pa­
tiemment l’étrange temporalité
où ils semblent englués. Tout tient
à la conquête d’une lenteur qui
fait affleurer à la surface des corps
la pointe de l’instant, la spon­
tanéité du désir, comme la foule
de microrécits qui les lient.
Documentaire sur une œuvre
préexistante, Si c’était de l’amour

dépasse largement son statut de
making­of, tant il ne considère pas
Crowd de l’extérieur, mais bien de
l’intérieur. Faisant fi du quatrième
mur, Patric Chiha ne filme pas seu­
lement un spectacle, mais une si­
tuation à part entière, comme les
êtres qui l’inventent. Par le cadre, il
compose des bouquets de corps en
fusion d’une splendeur éblouis­
sante. Parfois, il isole une situa­
tion, saisit un baiser, des caresses
ou des frictions naissantes, des af­
frontements ou des étreintes. Ce
qui intéresse ici le cinéma, c’est ce
qui remue et transite entre les
corps : des énergies, des affects,
des tensions, des attractions. Ou,
pour reprendre le titre, de l’amour.
Mais l’espace du film n’est pas
uniquement celui du plateau. La
caméra passe côté loges pour sai­
sir des confessions entre danseurs,
tous pris dans des rapports de dé­
sir multiples. Une confusion s’ins­
talle : on finit par ne plus savoir si
ceux­ci confient quelque chose
du personnage ou d’eux­mêmes.
Dans ce dispositif en miroir, ce qui
se joue sur scène se prolonge dans
l’existence. Ce sont les mêmes
émotions qui circulent, la même
mémoire affective qui se mobilise.
De la scène aux coulisses, le film
délimite ainsi un territoire mental,
intérieur, qui est celui, schizoph­
rène, de la création. Plus il avance,
et plus la pièce prend des allures de
fin du monde, les danseurs écrou­
lés ou rampant à terre comme les
survivants d’une apocalypse in­
time – souvenir aussi d’une géné­
ration de raveurs décimée par l’in­
tensité de son existence. Car
l’amour ne saurait se déchaîner
pleinement sans porter en lui un
germe de destruction.
mathieu macheret

Documentaire français (1 h 22).

“UNIQUE”
LE MONDE

“UNE HÉROÏNE”
LIBÉRATION

ACTUELLEMENT ENDVD


“INOUBLIABLE”
TÉLÉRAMA

NOMINATION
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