Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

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MERCREDI 4 MARS 2020 culture| 25


Le Général, Yvonne et la France


Gabriel Le Bomin met en scène l’« homme du 18 juin », le mari et le père


de famille, joué par Lambert Wilson, mêlant la grande et la petite histoire


DE  GAULLE


V

oilà un petit moment
déjà que le premier
tournait autour du se­
cond. Gabriel Le Bomin
(réalisateur) avait déjà eu affaire à
de Gaulle (général) de manière
oblique. Que ce soit pour ses docu­
mentaires traitant de la guerre
d’Algérie, de la France libre, des
institutions, et même dans son
dernier film, Nos patriotes (2017),
le fondateur de la Ve République
étalait son ombre et sa légende.
Mais pour l’aborder de front,
comme protagoniste d’une fic­
tion, encore fallait­il décider quel
de Gaulle offrir aux téléspecta­
teurs. Cinquante ans après sa
mort, lequel peut intéresser le pu­
blic? Le soldat de 14­18? Le rebelle?
Le réformateur de la Constitu­
tion? Le président dépassé par
Mai 68? Le promeneur sur la
lande irlandaise, comme en exil
après qu’il a quitté le pouvoir?
En choisissant l’homme du
18 juin, Gabriel Le Bomin et sa scé­
nariste, Valérie Ranson Enguiale,
n’ont pas seulement fait le choix
de limiter l’action à la période al­
lant de mai à juillet 1940, en évi­
tant de se lancer dans une lourde
fresque historique. Ils ont aussi
épinglé de Gaulle, interprété par
Lambert Wilson, au moment de
sa vie où, à 50 ans, fragile et roma­
nesque, il doute de son destin.
Soit les événements lui concè­
dent une biographie de militaire
rebelle, mais snobé par l’état­ma­
jor, bon mari et bon père de trois
enfants, dont Anne, trisomique ;
soit ils lui offrent une postérité de
chef de guerre et d’homme d’Etat
visionnaire. Entre Yvonne (Isa­
belle Carré) et la France, son cœur
balance. Finalement, ce sera la
France. La scène d’ouverture où le
Général est tendrement allongé
contre son épouse apparaît à cette
aune comme le dernier repos du
guerrier.

Debout et seul
Tout se précipite. L’avancée alle­
mande plonge les civils et les mili­
taires dans la panique. Faible, Paul
Reynaud (Olivier Gourmet) ex­
plore des solutions politiques,
comme cette idée de confédéra­
tion franco­anglaise qui, à l’heure
du Brexit, nous rappelle que le
temps passe décidément très vite ;
Pétain pétoche et se dit prêt à col­
laborer avec les Allemands ; Man­
del ne le sent pas. Le Général,
nommé sous­secrétaire d’Etat à la

guerre et à la défense nationale,
reste debout. Et seul. En mouve­
ment, parcourant le pays en tous
sens, jusqu’en Bretagne où il va
embrasser Yvonne et les enfants,
avant de rejoindre Londres où il
obtiendra de Churchill l’autorisa­
tion de lancer son fameux appel
sur les ondes de la BBC. C’est ici
que le film s’arrête ayant atteint
modestement l’objectif qu’il
s’était assigné, cabotant au plus
près des faits historiques sous la
supervision de l’historien Olivier
Wieviorka.
La même question se pose à cha­
cune des rares fois qu’un réalisa­
teur se met en tête de figurer
l’icône absolue du XXe siècle fran­
çais. Pourquoi si peu de De Gaulle
à l’écran? Gaulliste transi, Jean­

Pierre Melville ne l’avait filmé que
de dos dans L’Armée des ombres
(1969), en signe de sa dévotion. La
télévision lui a consacré une poi­
gnée de téléfilms, quand les An­
glais multiplient les fictions
autour de Churchill et que les
Américains on fait de leurs prési­
dents une matière inépuisable de
scénarios. Plusieurs explications
ont été avancées. Physique : diffi­
culté à trouver un acteur à la dé­
mesure du personnage. Politi­
que : poids du Parti communiste
antigaulliste dans le cinéma fran­
çais de l’après­guerre. Philosophi­
que : la Résistance privilégiait le
groupe à l’individu. Le De Gaulle
de Gabriel Le Bomin, premier film
à mettre en scène le chef de la
France libre, a le mérite de clore
cette vaine interrogation. Oui, de
Gaulle est « fictionisable » et inter­
prétable. A deux conditions ici
réunies : que le scénario recadre
sa légende et que son interprète
ne se prenne pas pour lui.
philippe ridet

Film français de Gabriel Le Bomin.
Avec Lambert Wilson, Isabelle
Carré, Olivier Gourmet (1 h 48).

Isabelle Carré
(Yvonne de Gaulle)
et Lambert Wilson
(Charles
de Gaulle).
ALAIN GUIZARD/SND

il s’est assis au zinc d’un troquet du 8e ar­
rondissement de Paris. Jean et écharpe nouée
autour du cou, il se désaltère d’un demi. Jean­
Louis Debré, fils de Michel Debré – qui fut le pre­
mier ministre du Général de 1959 à 1962 – et
meilleur pote de Jacques Chirac, dont il fut le mi­
nistre de l’intérieur, sort d’une projection de
presse de De Gaulle. Tel un critique, il a pris des
notes sur une feuille pliée en quatre. « Je ne m’at­
tendais pas à ce film », lâche­t­il, soulagé, comme
s’il avait redouté un péplum historique.
Mais le critique débutant cède le pas à l’ancien
président du Conseil constitutionnel. « La situa­
tion dans laquelle se trouve le Général en 1940 jus­
tifie totalement l’article 16 de la Constitution, ana­
lyse­t­il. Il permet de donner des “pouvoirs éten­
dus” au président “lorsque les institutions de la
République, l’indépendance de la nation, l’inté­
grité de son territoire (...) sont menacés d’une ma­
nière grave et immédiate”. C’est parce qu’il a vu un
pouvoir faible, sclérosé, que de Gaulle, revenu au
pouvoir, va se donner les moyens de faire face aux
épreuves. » Fin de la leçon d’histoire.

« Immense et intime à la fois »
Le gaullisme, Jean­Louis Debré est tombé de­
dans à sa naissance, en 1944. Une sorte de legs de
son père, compagnon de la Libération et auteur
de la Constitution de 1958. « J’ai retrouvé mon de
Gaulle! », s’enthousiasme­t­il. « L’homme du
18 juin » lui est d’abord apparu sur des clichés dé­
dicacés ornant l’appartement familial. Sur l’un

d’eux, le Général et Michel Debré sont côte à
côte à Laval, le 22 août 1944, alors que le second,
commissaire de la République, reçoit la visite du
premier. « De Gaulle était présent au cœur même
de notre famille, immense et intime à la fois. Nous
vivions dans son culte. Les fréquentations de mes
parents l’évoquaient en permanence : les Gui­
chard, les Frey, les Foccart, ou Romain Gary. »
« Mon de Gaulle, raconte encore Jean­Louis
Debré en lampant sa bière, c’était ce grand bon­
homme que je voyais chaque année dans la
crypte des fusillés du mont Valérien pour la com­
mémoration du 18 juin. J’avais le nez à hauteur
des barrières de sécurité. Il avançait, Le Chant
des partisans s’élevait. Il serrait la main des com­
pagnons de la Libération. Il m’adressait un petit
signe ou une tape sur la tête. On est pris par cette
ferveur. Plus tard, il m’a signé un exemplaire des
Mémoires de guerre : “A Jean­Louis Debré qui,
comme son père, croit en la France.” » Des souve­
nirs qu’il a en partie racontés dans Une histoire
de famille (Robert Laffont, 2019).
Mais, un jour, le de Gaulle de Jean­Louis Debré
est devenu le de Gaulle de tout le monde. Son re­
tour au pouvoir en 1958 transforme la figure his­
torique mais personnelle en homme politique
dont Michel Debré est le premier collaborateur.
« Il devient alors un sujet d’actualité. Une autre
histoire commence, mais il n’est plus mon héros
familial », conclut Jean­Louis Debré, glissant de
son tabouret pour se fondre dans la nuit.
ph. r.

Debré : « J’ai retrouvé mon de Gaulle »


La vie en exil de deux


gamins tchétchènes


La fable touchante d’Arash T. Riahi est portée
par un formidable duo de jeunes acteurs

OSKAR  ET  LILY.


UNE  ENFANCE  RÉFUGIÉE


O


skar et Lily, un jeune gar­
çon tchétchène d’une di­
zaine d’années et sa sœur
adolescente, vivent depuis six ans
en Autriche avec leur mère. Le père
a été expulsé. C’est dire s’ils
connaissent les dangers qui les
guettent et toutes les ruses qu’il
faut adopter pour continuer de vi­
vre tant bien que mal dans le pays
qui les tolère sans les aimer.
Quand la police débarque, la mère
tente de mettre fin à ses jours, sa­
chant que dès lors qu’elle sera in­
ternée dans un hôpital, ses enfants
deviendront inexpulsables.
Sur cette trame présentée
comme le deuxième volet d’une
trilogie sur l’exil, ouverte avec
Pour un instant, la liberté (2008),
dans lequel les migrants étaient
aux prises avec l’absurdité de l’ad­
ministration, le cinéaste iranien
Arash T. Riahi a construit une sorte
de féerie ni misérabiliste ni don­
neuse de leçon et souvent drôle.
Servi par un duo de jeunes acteurs
capables de révolte aussi bien que
de grâce, le film, protégé par ses in­
terprètes d’une possible mièvrerie,
prend des allures de course­pour­
suite burlesque entre ses jeunes
héros et ceux qui leur veulent du
bien comme ceux qui voudraient
les renvoyer hors d’Autriche.
Placés dans deux familles, Oskar
et Lily vont révéler les motivations,

pas toujours dénuées d’ambiva­
lence, de leurs hébergeants. Oskar
permet au couple écolo bobo qui
lui ouvre les portes de sa maison
de s’offrir une bonne conscience
de gauche, tandis que Lily comble
chez la femme entre deux âges qui
l’accueille un désir de maternité
inassouvi. Réfugié comme ses jeu­
nes héros, Arash T. Riahi connaît
sans doute l’importance pour eux
d’avoir un toit sur la tête, quand
bien même se sentent­ils mal dans
leurs foyers provisoires. Il filme
avec beaucoup de savoir­faire et
un œil de sociologue les diverses
résidences, comme s’il voulait ré­
véler l’âme de leurs habitants.
Reste aux enfants à trouver le
bonheur sans leur mère qui, pour
mieux les protéger, feint de ne pas
les reconnaître. Oskar et Lily ne
cesseront de vouloir échapper
à leurs foyers provisoires et à la
vie qu’on leur propose pour re­
constituer la cellule familiale et
précaire qu’ils formaient aupara­
vant. Ce qu’ils veulent? Manger
des schnitzel, plat autrichien par
excellence, comme n’importe
quel Viennois. C’est une des leçons
possibles et ambiguës de ce film
tendre et touchant, où l’enfance
est bien décrite. On ne peut pas
faire le bonheur des uns avec la
bonne conscience des autres, fût­
elle sincère.
ph. r.

Film autrichien d’Arash T. Riahi.
Avec Leopold Pallua, Rosa Zant,
Christine Ostermayer (1 h 42).

A 50 ans,
de Gaulle,
fragile et
romanesque,
doute de son
destin

©CARACTÈRES - CRÉDITS NON CONTRACTUELS

Unfilm de
RodolpheMarconi

Un film de

30 ansansansans,,,20 vaches20 vaches


agriculteur


du lait, du beurre, des dettes


Une grande délicatesse,


et surtout une dignité rare
TÉLÉRAMA

Un documentaire implacable


Une vie pour du beurre
LIBÉRATION

LE PARISIEN

Un documentaire implacable


Une vie pour du beurreUne vie pour du beurre
LIBÉRATILIBÉRATIONON

LE MONDE

LES INROCKUPTILES INROCKUPTIBLESBLES
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