Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

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IDÉES


MERCREDI 4 MARS 2020

0123


Pour un nouvel Epinay de la gauche!


Faisant référence au congrès qui a permis, en 1971, d’unifier les socialistes, un collectif de personnalités « fidèles à l’héritage politique »


de François Mitterrand appelle toutes les forces de gauche – des Verts aux « insoumis » – à se rassembler dans un projet commun


F


idèles à l’héritage politique
de François Mitterrand,
auprès duquel nous avons
travaillé, nous sommes
convaincus que c’est l’incapacité
de la gauche à se retrouver et à se
rassembler qui rend possible la
perspective, si dangereuse, d’un
nouveau duel LREM/RN en 2022.
Notre histoire nous interdit de
nous y résigner.
Cette histoire a été celle de
l’union de la gauche et du pro­
gramme commun, des premiers
échecs transformés en victoire
éclatante, de réformes faisant
date comme de succès arrachés
aux épreuves! Pourquoi ce qui fut
possible alors, et encore en 1997,
ne le serait­il plus aujourd’hui?
Les temps ne sont plus les mê­
mes? La belle affaire! N’en a­t­il
pas toujours été ainsi? La gauche
n’a­t­elle pas dû dans son histoire
s’ajuster en permanence à ces réa­
lités nouvelles, comme au choc
des stratégies et des ambitions?
Ne sommes­nous pas d’abord

comptables d’un héritage, venu
de deux siècles de luttes politi­
ques et sociales, auquel il nous est
interdit de renoncer parce qu’il
porte l’espoir des plus humbles et
des plus modestes?
Nos vieux partis ne sont plus
que l’ombre d’eux­mêmes et ne
« prospèrent » plus que grâce à
des initiatives limitées que l’échec
a paradoxalement pour effet de
démultiplier.
Dont acte.

Regardons devant!
Partons d’où nous sommes, sans
chercher à en imputer la faute à
tel ou tel.
Notre message tient en deux
mots : regardons devant!
Aussi en appelons­nous à la res­
ponsabilité de toutes et tous : à
un nouvel Epinay, de toute la
gauche cette fois, c’est­à­dire per­
mettant de réunir autour d’un
projet et dans un cadre com­
muns toutes les pièces détachées


  • Verts, « insoumis », communis­


tes, socialistes, radicaux, etc. –
d’une gauche qui a le devoir de se
rassembler sous une forme ou
sous une autre, en remettant
l’égalité et la justice au cœur de
son projet! En promouvant un
autre rapport à l’humanité et à la
planète que celui qui prévaut
aujourd’hui!
Sans doute, le processus ne res­
semblera­t­il pas à celui, qui, voilà
près d’un demi­siècle, avait su
ouvrir la voie à l’alternance.
Sans doute faudra­t­il opérer
par étapes : comité de liaison,
pour jeter les bases de réflexions
et d’actions communes, puis
confédération, associant toutes
les forces disponibles, de toutes
tailles, autour d’une stratégie
politique partagée, puis d’un
candidat commun avant peut­
être d’enchaîner sur la création
d’un nouveau mouvement res­
pectueux de la diversité de ses
composantes, inventant de nou­
velles formes de débat et de déli­
bérations et associant plus étroi­

tement les citoyens, renouant
avec une idée généreuse et forte
de la France.
Mais il faut agir!
Aussi entendons­nous porter
partout ce message, participer à
toutes les initiatives, petites ou
grandes, locales ou nationales,
qui permettront d’avancer sur la
voie de l’unité, dans la diversité.
Aussi entendons­nous partout
prendre en exemple, et ce dès les
élections municipales, celles et
ceux qui, sur leurs territoires,
font le choix de l’union, et inter­
peller sans répit les autres.
Amis, militants et citoyens qui
nous lisez, c’est nous qui vous le
disons, nous qui nous reconnais­
sons dans l’héritage politique de
François Mitterrand, qui sut unir
la gauche pour lui offrir la vic­
toire : redevenez acteurs, signez
notre appel, diffusez­le, agissez
dès maintenant pour faire bouger
les lignes.
Pour, ensemble, reprendre le
destin de la gauche en main !

Ghislain Achard, PDG de VODinn ; Laure Adler, journaliste et productrice ;
Jean Auroux, ex-ministre du travail (1981-1982) ; Maurice Benassayag,
ex-secrétaire d’Etat aux rapatriés (1981-1983) ; Alain Boublil, ex-conseiller
de François Mitterrand (1981-1988) ; François Brousse, philosophe ; Yves
Dauge, ex-sénateur d’Indre-et-Loire, délégué interministériel à la ville et au
développement social urbain (1988-1991) ; Christiane Dufour, ex-secrétaire
de François Mitterrand ; Stelio Faranjis, ex-secrétaire général du Haut Con-
seil à la francophonie (1983-2002) ; Gaëtan Gorce, ex-sénateur de la Nièvre ;
Jacques Guyard, ex-secrétaire d’Etat à l’enseignement technique (1991-
1992) ; Pierre Joxe, ex-ministre de l’industrie (1981), de l’intérieur (1988-
1991) et de la défense (1991-1993) ; Serge Lafont, ex-conseiller technique au
commerce (1993-1995) ; André Laignel, secrétaire d’Etat à la formation pro-
fessionnelle (1988-1991), à la ville et à l’aménagement du territoire (1991-
1993) ; Bernard Latarjet, secrétaire général de l’Elysée (1992-1995) ; Jean-
Claude Lebossé, ancien chargé de mission pour l’agriculture (1990-1994) ;
Laurence Lissac, ex-conseillère de François Mitterrand ; Martin Malvy,
ex-ministre du budget (1992-1993) ; Béatrice Marre, ex-chef de cabinet
de François Mitterrand (1988-1995) ; Gilbert Mitterrand, ancien député
de la Gironde ; Jean Musitelli, diplomate et ancien porte-parole de l’Elysée
(1991-1995) ; Nicole Questiaux, ex-ministre de la solidarité nationale (1981-
1982) ; Claire Papegay, ex-secrétaire particulière de François Mitterrand ;
Yvette Roudy, ex-ministre déléguée aux droits de la femme (1981-1985) ;
Christian Sautter, ex-secrétaire général adjoint de la présidence (1988-
1990) ; Catherine Tasca, ex-ministre délégué à la communication (1988-
1991), à la francophonie (1991-1992), à la culture (2000-2002)

Norbert Röttgen


Le temps d’une Europe géopolitique


est venu : une réponse allemande à Macron


Les nouvelles réalités stratégiques imposent à Paris,


Londres et Berlin d’avoir le rôle d’avant­garde


d’une politique étrangère et de sécurité commune,


coordonnée avec Bruxelles et ouverte à tous les


autres membres de l’Union, propose le président de


la commission des affaires étrangères du Bundestag


C


es deux dernières années, le pré­
sident Emmanuel Macron a placé
au centre des débats européens
les questions stratégiques im­
portantes de notre époque. Nous lui en
sommes reconnaissants. Car l’Europe
ne peut simplement pas continuer à
fonctionner comme elle l’a fait jusqu’à
présent, alors que le monde change et
même en partie de façon radicale. De
nouvelles questions se posent et nous
avons besoin d’y apporter des réponses.
Les citoyens sont toujours plus nom­
breux à sentir qu’une ère nouvelle est en
train de débuter. Dans toute l’Europe, les
populistes réagissent à cette inquiétude
en prônant le repli sur soi et la fermeture
des frontières. Si un nationalisme non
patriotique prospère sur ce terreau, c’est
parce que les problèmes actuels demeu­
rent non résolus. Comme tout change­
ment d’époque, cette ère nouvelle s’ac­
compagne de risques et aussi d’opportu­
nités. Saisir ensemble ces opportunités,
avec courage et confiance en soi, tout
en se montrant fiers à juste titre des ob­
jectifs déjà atteints : telle est l’attitude
que les pays membres de l’Union euro­
péenne devraient adopter pour mieux
jouer le jeu de la concurrence nouvelle
des modèles et des systèmes.
C’est dans le concret que se révèle la ca­
pacité d’action. Quels projets Paris et
Berlin peuvent­ils mener à bien en
commun? Où se trouvent les solutions
européennes à nos défis communs et
comment les atteindre?


A une époque où la concurrence entre
les grandes puissances s’aiguise, il
devient toujours plus important pour
l’Europe de consolider l’Union euro­
péenne et de se montrer enfin capable
d’agir en matière de politique étrangère.
L’Europe doit se montrer à la hauteur de
ses devoirs et se renforcer de l’intérieur
pour pouvoir s’affirmer à l’échelle
mondiale. Cela signifie tout d’abord que
nous devons renforcer l’euro. Plus nous
coordonnerons étroitement la politique
financière et économique des Etats
membres de l’union monétaire, plus la
monnaie commune gagnera en stabilité.
Une monnaie forte, stable, jouant
également un rôle à l’échelle mondiale
ne peut exister qu’à la condition
que tous les membres de l’Union moné­
taire non seulement se comportent
de façon responsable, mais s’engagent
aussi à la solidarité.
Une Europe forte doit également mieux
se coordonner en matière de politique
étrangère. Dans un monde où la politi­
que de la puissance tend à s’imposer, les
puissances­clés du continent européen
doivent aussi se concerter et s’associer
plus étroitement – et mettre plus forte­
ment leurs ressources au service d’une
politique extérieure et de défense com­
mune. Les E­3 [Européens à 3] sont le bon
format pour cela : la France, la Grande­
Bretagne et l’Allemagne jouant le rôle
d’avant­garde d’une politique étrangère
et de sécurité commune, coordonnée
avec les institutions sises à Bruxelles et

constamment ouverte à tous les autres
membres de l’Union.
Rendre l’Europe capable d’agir suppose
également de lui faire gagner en cohé­
sion. Depuis que l’Europe a retrouvé
la paix et la liberté en se réunissant après
la fin de la guerre froide, cet enjeu de
la cohésion est une préoccupation cen­
trale et une responsabilité particulière
de l’Allemagne. Une initiative qui consis­
terait, de concert avec la France, à bâtir
une relation plus profonde et plus
confiante avec la Pologne, qui joue un rô­
le­clé en Europe centrale, pourrait empê­
cher que les distances ne se creusent tou­
jours plus entre l’Est et l’Ouest.
La montée en puissance de la Chine,
qui n’est pas seulement un partenaire
mais aussi et surtout une concurrente
et une rivale systémique, contraint l’Eu­
rope à la coopération. Avec sa puissance
économique vertigineuse, ses ambitions
technologiques et des visées géopoliti­
ques toujours plus grandes, la Chine me­
nace de mettre l’Europe sur la défensive.

Une seule stratégie vis-à-vis de la Chine
Afin de protéger sa souveraineté et de
rester compétitive à l’échelle internatio­
nale, l’Europe doit élaborer une réponse
commune à ce nouveau défi. Une stra­
tégie des Vingt­Sept vis­à­vis de la Chine

s’impose de longue date, mais elle vient
buter dans divers domaines sur les inté­
rêts divergents des Etats membres.
Là où une position commune n’est pas
possible, le président Macron a dessiné
une solution alternative en invitant la
chancelière allemande et le précédent
président de la Commission européenne
à rencontrer à Paris le président chinois.
Dans les relations avec la Chine, une telle
méthode franco­allemande devrait rele­
ver de l’évidence. Là encore, il est à nou­
veau tout indiqué d’impliquer la Pologne
et de faire ainsi se fracturer cette
forme de coopération avec la Chine
qu’est le format « 17 + 1 ».
L’Europe doit se livrer à la concurrence
avec la Chine, mais ne peut le faire avec
efficacité qu’en commun : comme une
communauté politique dont tous les
membres répondent les uns des autres,
comme un espace économique et tech­
nologique qui se montre disposé et capa­
ble de s’imposer dans la nouvelle ère
numérique. La réponse ne peut donc
résider que dans la 5G, et suppose égale­
ment de tourner le regard, dès mainte­
nant, vers la 6G : c’est au tandem franco­
allemand de la mettre en œuvre et de
jouer ici un rôle d’avant­garde.
Pour ce qui est des relations avec les
pays du Sud, il existe là encore bien plus
d’intérêts communs entre l’Allemagne et
la France qu’il a pu sembler à l’occasion.
Avec les vagues migratoires des derniè­
res années, Berlin n’a pu que constater,
une nouvelle fois, l’évidente urgence
d’une stabilisation régionale au Proche­
Orient, en Afrique du Nord et dans la
zone du Sahel. La stabilisation de l’Irak
et la poursuite des processus politiques
en Libye sont pour les deux Etats des
enjeux d’une importance centrale. Dans
le même temps, l’Allemagne reconnaît
qu’il lui faut s’engager plus fortement au
Sahel afin d’éviter que cette région ne
devienne un nouveau creuset pour le
terrorisme islamiste. Cet engagement
doit être de grande ampleur et aller au­

delà d’une simple présence militaire, ce
qui suppose de définir et de poursuivre
des objectifs économiques, diplomati­
ques et humanitaires.
Afin de pouvoir défendre nos intérêts
en tant qu’Européens, nous devons nous
montrer capables d’agir en matière de dé­
fense et de sécurité. Non contre les Etats­
Unis, qui sont indispensables à la sécurité
de l’Europe, mais en tant que piliers euro­
péens de l’OTAN. La coopération struc­
turée permanente (Pesco) est une entre­
prise de longue haleine, menée à grande
échelle et donc lentement. Pourquoi des
pays ne commenceraient­ils pas tout
simplement, par exemple, à participer à
des exercices militaires communs? Cela
renforcerait la cohésion et permettrait
une harmonisation des structures de
commandement. Ici aussi, l’Allemagne et
la France pourraient être à la manœuvre.
L’Europe n’est pas un musée. Elle a en
ce XXIe siècle un énorme potentiel. En
dépit de toutes les contestations, les
fondations de l’ordre libéral sont solides.
Les performances économiques de l’Eu­
rope, son intelligence scientifique et
technologique sont considérables. Ce
qui fait défaut, c’est la volonté politique
d’articuler tout cela en une stratégie.
Si Paris et Berlin coopèrent plus étroite­
ment et développent des axes communs
en matière de géopolitique, mais aussi
de préservation des ressources naturel­
les – particulièrement quant à la protec­
tion du climat –, alors l’Europe demeu­
rera un modèle de réussite dans le cadre
d’une concurrence mondiale toujours
plus âpre, et pourra devenir une puis­
sance capable de façonner le monde.
Traduit de l’allemand par Frédéric Joly

Norbert Röttgen est président
de la commission des affaires
étrangères du Bundestag

L’EUROPE, EN CE


XXIE SIÈCLE, A UN


ÉNORME POTENTIEL. CE


QUI FAIT DÉFAUT, C’EST


LA VOLONTÉ POLITIQUE


D’ARTICULER TOUT


CELA EN UNE STRATÉGIE

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