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MERCREDI 4 MARS 2020 0123 | 31
D
éni de démocratie! »
« Passage en force! »
Les vives critiques
soulevées par le re
cours à l’article 49.3 de la Constitu
tion pour faire adopter, en pre
mière lecture, à l’Assemblée natio
nale le projet de loi ordinaire por
tant réforme des retraites sont, à
première vue, de facture classique.
La procédure, introduite en 1958
par les constituants pour éviter
l’instabilité ministérielle de la
IVe République, a rempli son of
fice sans jamais avoir bonne
presse. Elle a toujours été perçue
comme expéditive puisqu’elle re
vient, en cas de blocage, à inter
rompre la discussion d’un texte
et à mettre ses opposants au défi
de renverser le gouvernement,
par le dépôt d’une motion de
censure qui doit être adoptée à la
majorité absolue. Si tel n’est pas
le cas, le texte contesté est consi
déré comme adopté, le gou
vernement disposant de la liberté
de l’enrichir ou non.
Depuis sa création, l’article 49.3
a été utilisé 89 fois, si l’on inclut
l’initiative prise samedi 29 février
par Edouard Philippe. Il a tantôt
servi à contraindre une majorité
rétive, cas de Raymond Barre qui
dut l’utiliser 8 fois, entre 1976 et
1981, pour contenir la fronde du
RPR. Michel Rocard y a eu recours
28 fois, entre 1988 et 1991, parce
qu’il ne disposait pas d’une fran
che majorité pour gouverner.
L’arme peut aussi servir à cir
conscrire les oppositions dès lors
que le nombre d’amendements
déposés et la tournure du débat
témoignent d’une volonté mani
feste de faire obstruction. C’est ce
qui se produit aujourd’hui.
« Parlementarisme rationalisé »
Le point d’orgue de la scénogra
phie étant le débat de censure, ce
luici a été, à chaque fois, l’occa
sion de mettre en accusation la
brutalité du gouvernement, les
opposants n’ayant souvent que
leurs cordes vocales pour peser, si
l’on excepte l’épisode de 1962 :
dans la foulée du 49.3, une mo
tion de censure fut effectivement
adoptée. Elle eut pour effet d’en
traîner la chute du gouverne
ment Pompidou mais se solda en
suite par la dissolution de l’As
semblée nationale. C’était l’exem
ple parfait du « parlementarisme
rationalisé » évoqué, le 27 février,
dans les colonnes du Monde par
le constitutionnaliste Serge Sur
mais dont la mécanique se trouve
aujourd’hui contestée. Car le Par
lement n’est plus ce qu’il a été. Il a
perdu en force démocratique.
Depuis l’instauration du quin
quennat et l’inversion du calen
drier parlementaire, la trop forte
soumission de la majorité à l’exé
cutif est régulièrement pointée.
Du fait du scrutin majoritaire à
deux tours, sa capacité à repré
senter l’ensemble de la société
française est contestée. Pour une
partie de ceux qui ont mené la
fronde contre le projet de ré
forme des retraites, il n’est
plus considéré comme le lieu de
la légitimité démocratique. Il est
en revanche devenu l’ins
trument d’une contestation plus
globale dont les formes pren
nent celles d’un populisme
ouvertement revendiqué.
Ecoutons les arguments des dé
putés de La France insoumise
(LFI) qui, autour de leur chef, Jean
Luc Mélenchon, ont mené, ces
dernières semaines, à l’Assem
blée, le combat le plus structuré
contre le projet de loi sur les re
traites. A leurs yeux, Emmanuel
Macron n’a pas la légitimité pour
conduire la réforme des retraites.
D’abord, parce que le texte qu’il
défend n’est plus celui qu’il avait
présenté durant sa campagne
présidentielle. Ensuite, parce
qu’« une majorité de Français »
n’en voudrait pas. Allusion aux
derniers sondages parus à la mi
janvier, durant les grèves, indi
quant que 56 % rejetaient le texte.
Peu importe que la copie ait de
puis évolué ou qu’une forte majo
rité existe à l’Assemblée pour l’ap
prouver puisque celleci n’est, se
lon eux, aucunement représenta
tive. Seul compte le recours direct
au peuple. D’où l’appel récurrent
des élus LFI au référendum et leur
volonté de lier étroitement le
combat parlementaire à celui de
la rue. Dès l’annonce du recours
au 49.3, un appel à la mobilisa
tion populaire, qualifiée de « mo
tion de censure citoyenne », a été
émis pour tenter de relancer le
combat des « 61 jours » mené par
les grévistes en décembre 2019 et
janvier afin d’obtenir le retrait
pur et simple du texte.
Ecoutons les propos du député
européen du Rassemblement na
tional Nicolas Bay, qui intervenait
dimanche 1er mars sur France In
ter : « Emmanuel Macron a été élu
avec 23 % des suffrages en 2017. De
puis, il gouverne contre le peuple
français. » Lui aussi met en cause
la légitimité présidentielle et lui
aussi réclame le recours au réfé
rendum. La contestation du 49.3,
qualifié de « déflagration anti
démocratique » par Adrien Qua
tennens, député LFI du Nord,
s’inscrit dans une stratégie plus
large de disqualification de l’exé
cutif. Il s’agit de camper un pou
voir minoritaire qui abuserait de
la violence précisément parce
qu’il serait minoritaire. Flirtant
constamment avec la ligne rouge,
JeanLuc Mélenchon ne va pas jus
qu’à dire que la France est deve
nue un régime autoritaire, mais il
affirme que le régime macroniste
comporte « des remugles de totali
tarisme ». Façon de légitimer la ré
sistance, sous toutes ses formes.
Et, en écho, Nicolas Bay renchérit :
« Ce gouvernement a pris l’habi
tude de brutaliser les Français, bru
taliser le débat démocratique. »
A la présidentielle de 2017, Ma
rine Le Pen avait recueilli 21,3 %
des suffrages exprimés au pre
mier tour et JeanLuc Mélenchon
19,5 %. Ennemis jurés, leurs trou
pes ne s’en retrouvent pas moins
pour contester de façon radicale le
fonctionnement de la démocratie.
Le grand perdant est le Parlement,
car de tous les acteurs mobilisés
pour ou contre la réforme des re
traites – gouvernement, partenai
res sociaux, élus –, c’est lui qui, jus
qu’à présent, aura été le plus em
pêché d’entrer dans le fond de la
discussion et de peser. Certains y
verront une victoire, d’autres un
gros sujet d’inquiétude.
E
n pleine crise sanitaire qui requiert
unité et responsabilité, le gouverne
ment a pris le risque de déclencher
une nouvelle tempête politique et sociale
à propos de la réforme des retraites. Sa
medi 29 février, alors qu’un conseil des
ministres exceptionnel avait été convoqué
pour coordonner la gestion de l’épidémie
de Covid19, le premier ministre, Edouard
Philippe, a demandé l’autorisation d’utili
ser l’article 49.3 de la Constitution pour
couper court au débat qui s’enlisait à l’As
semblée nationale.
Les opposants au texte ont aussitôt dé
noncé « un coup de force » et pointé « le cy
nisme » du gouvernement qui n’a pas hé
sité à mélanger les deux sujets. Dans la
foulée, la droite et la gauche, chacun de son
côté, ont déposé une motion de censure,
examinée mardi 3 mars à l’Assemblée na
tionale, en sachant qu’aucune des deux
n’atteindra le seuil de la majorité absolue
requis pour faire chuter le gouvernement.
Le projet de réforme est donc considéré
comme adopté en première lecture à l’As
semblée nationale, mais au prix d’une
nouvelle crispation qui isole un peu plus le
gouvernement.
L’arme du 49.3 est, certes, une préroga
tive de l’exécutif garantie par la Constitu
tion. Elle a été introduite en 1958 pour lut
ter contre l’instabilité ministérielle de la
IVe République. Elle repose sur une logique
de responsabilité : l’Assemblée nationale ne
peut bloquer le fonctionnement des insti
tutions sans risquer ellemême d’être dis
soute. Depuis le début de la Ve République,
15 premiers ministres sur 23 ont dû y recou
rir, parfois à une cadence accélérée, parce
que leur majorité était rebelle, insuffisante
ou parce que l’opposition pratiquait l’obs
truction avec la volonté manifeste de blo
quer l’examen d’un texte.
C’est cette dernière raison qu’invoque,
non sans raison, l’exécutif en soulignant le
nombre d’amendements déposés – 41 888,
dont une grande majorité par les députés
de La France insoumise et du PCF. Ces
deux partis n’ont pas caché leur volonté de
mettre le gouvernement « échec et mat ».
Le risque d’enlisement était donc réel,
mais la responsabilité en incombe large
ment à l’exécutif qui, pour une question de
calendrier, s’est enfermé dans une logique
d’affrontement.
Lors de ses vœux aux Français, le 31 dé
cembre, le président de la République avait
mis la pression sur le gouvernement afin
qu’il trouve la voie d’« un compromis ra
pide » sur une réforme qui devait « aller à
son terme ». Dans la foulée, l’exécutif s’est
fixé l’objectif d’une adoption définitive à
l’été. C’était une erreur, car la réforme est
d’une redoutable complexité. A chaque
étape de son élaboration, elle a suscité une
contestation qui n’était pas de nature seu
lement politique, mais aussi juridique.
Dans un tel état d’insécurité, il fallait mi
ser sur le temps long pour espérer con
vaincre. Au lieu de quoi, l’exécutif a joué la
montre en espérant en finir au plus vite et
démontrer que sa main ne tremblerait pas.
Il en résulte une exacerbation des ten
sions, en total décalage avec la philosophie
de l’« acte II » du quinquennat, qui consis
tait à privilégier la concertation. Aux vives
critiques des oppositions sur l’autorita
risme et l’isolement de l’exécutif vient
s’ajouter le malaise de la majorité, qui ne
comprend pas comment la réforme des re
traites, présentée durant la campagne pré
sidentielle comme l’un des marqueurs du
progressisme, a pu se transformer en un
pur acte d’autorité.
LES CRITIQUES
SOULEVÉES PAR LE
RECOURS AU 49.3
SUR LA RÉFORME
DES RETRAITES
SONT, À PREMIÈRE
VUE, DE FACTURE
CLASSIQUE
LE MAUVAIS
USAGE DU 49.3
FRANCE|CHRONIQUE
pa r f r a n ç o i s e f r e s s o z
La démocratie
parlementaire en question
C’EST LE
PARLEMENT QUI,
JUSQU’À PRÉSENT,
A ÉTÉ LE PLUS
EMPÊCHÉ DE PESER
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