Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

Cahier du « Monde » No 23374 daté Mercredi 4 mars 2020 ­ Ne peut être vendu séparément


Ruée mondiale sur les données de santé


Provenant d’une base médicale classique ou d’appareils connectés,


ces renseignements, transcendés par l’intelligence artificielle, vont


façonner la médecine de demain. Comment sont-ils protégés, partagés,


monnayés? La France a-t-elle encore sa chance face aux géants


du numérique dans une course qui va remodeler les systèmes de santé?


Tubes contenant des
échantillons biologiques
stockés dans le
congélateur de UK
Biobank, au Royaume-
Uni. TIM AINSWORTH/UK BIOBANK

laure belot

N


ous sommes tous concernés mais
le phénomène est tellement discret
qu’il est difficile d’en prendre la
pleine mesure. La planète est deve­
nue, en quelques années, une gi­
gantesque chambre d’enregistrement où une
multitude d’informations relatives à notre santé,
que nous soyons malade ou bien portant, sont

stockées et potentiellement analysées par des al­
gorithmes dont la puissance et l’intelligence ne
cessent de croître. Selon l’article « Sizing up big
data » (« dimensionner les données massives »)
publié dans Nature Medecine de janvier, ces don­
nées de santé représentent un volume en crois­
sance exponentielle, qui a plus que décuplé de­
puis 2013 : il s’agit tout autant de renseignements
médicaux classiques – provenant de médecins,
d’hôpitaux et de laboratoires... – que d’indicateurs

captés dans la vie réelle, hors circuit médical – tels
le rythme cardiaque mesuré par une montre, l’in­
dice de masse corporelle calculé par une balance
connectée ou le nombre de pas enregistrés par
une application pour smartphone... Certaines de
ces informations sont d’ailleurs captées sans que
nous en ayons pleinement conscience.
« Le domaine du suivi de la santé, au­delà même
de la maladie, explose littéralement, constate le
médecin et biologiste Pierre Corvol, président de
l’Académie des sciences. On voit se développer
dans la société un désir de rester en forme pour
profiter de la vie ou se conformer à l’image idéale
de quelqu’un de performant. Cela a induit ces der­
nières années une activité commerciale phéno­
ménale qui repose sur l’accessibilité des données
massives de santé et de bien­être et leur traitement
par des algorithmes d’intelligence artificielle (IA). »
A partir de 1947, une étude épidémiologique
pionnière, lancée par l’école de santé publique

d’Harvard, a suivi des milliers d’habitants de la
ville américaine de Framingham (Massachu­
setts) : tension artérielle, cholestérol, tabagisme...
avaient alors été mesurés régulièrement pour
appréhender le risque cardio­vasculaire devenu à
l’époque la première cause de mortalité au
monde. « Nous avions alors des hypothèses scien­
tifiques et des objectifs médicaux pour une étude
dont la connaissance bénéficierait à tous », expli­
que Pierre Corvol. La « cohorte de Framingham »
existe toujours, mais « nous sommes passés dans
un autre monde », constate­t­il.
Un demi­siècle plus tard, sur une planète de
plus en plus connectée, les acteurs traditionnels
de la santé – infirmiers, médecins, hôpitaux,
laboratoires – continuent à produire et analyser
des données médicales, désormais numérisées,
à des fins de soins et de recherche, pour faire
avancer la connaissance scientifique mondiale.
→L I R E L A S U I T E PA G E S 4 - 5

Cancer du côlon : 


le double visage 


d’« E. coli »


Des mutations provoquées
par la bactérie intestinale,
un probiotique ayant fait
ses preuves, viennent d’être
retrouvées dans le génome
de tumeurs du côlon humaines
PA G E 2

Un lien entre 


pesticides 


et Alzheimer ?


Une étude internationale
a montré l’accélération
de l’apparition des marqueurs
de la maladie sur des
souris­modèles exposées
à un cocktail de fongicides
PA G E 3

Entretien


La recherche sur les 


coronavirus minée par 


les aléas budgétaires


Directeur de recherche CNRS
à l’université Aix­Marseille,
Bruno Canard replace la pandé­
mie dans un contexte politique
PA G E 8
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