Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1
ACTUALITÉ
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 4 MARS 2020 | 3

Un lien entre des fongicides et Alzheimer ?


TOXICOLOGIE - L’exposition de souris-modèles de la maladie neurodégénérative à de très faibles
doses d’un cocktail de pesticides a accéléré la manifestation de marqueurs de la démence

U


n mélange de trois pesti­
cides (cyprodinil, mépa­
nipyrim, et pyrimétha­
nil), utilisés pour lutter contre les
moisissures, est susceptible de fa­
voriser la progression de la mala­
die d’Alzheimer. C’est la conclu­
sion d’une étude internationale
coordonnée par des chercheurs
français et publiée en février par
Environmental Health Perspecti­
ves, la plus prestigieuse revue
scientifique consacrée à la santé
environnementale.
Conduits sur des rongeurs, ces
travaux sont les premiers du
genre. Ils mettent notamment en
évidence une accumulation ac­
crue de plaques amyloïdes – le
marqueur dominant de la mala­
die d’Alzheimer – dans le cerveau
d’animaux chroniquement expo­
sés à ces produits. Et ce, en dépit
de niveaux d’exposition plu­
sieurs centaines à plusieurs mil­
liers de fois inférieurs aux doses
journalières admissibles (DJA)


  • garantissant théoriquement
    l’absence d’effets pour le consom­
    mateur. En France, près de 50 pro­
    duits phytosanitaires à base de
    l’une des trois substances testées
    sont aujourd’hui autorisés.


Imagerie par fluorescence
« Dans un premier temps, nous
avons mis en évidence, sur des tis­
sus cérébraux de “souris Alzhei­
mer”, l’affinité de ces trois fongici­
des avec les agrégats de peptides
qui forment les plaques amyloïdes,
explique la biologiste Véronique
Perrier, chercheuse au laboratoire
Mécanismes moléculaires dans
les démences neurodégénérati­
ves (Inserm, université de Mont­
pellier, Ecole pratique des hautes
études) et coordinatrice de ces tra­
vaux. Par imagerie, nous avons pu
observer in vitro que ces produits
se concentraient précisément au
niveau de ces agrégats. »
Les chercheurs ont ensuite
mené plusieurs types d’observa­
tions sur des souris transgéni­
ques, modifiées pour développer
spontanément les marqueurs de
la maladie, ainsi que sur des sou­
ris sauvages (c’est­à­dire non
transgéniques) de même souche.
Les rongeurs ont été suivis pen­
dant neuf mois, chaque catégorie
étant divisée en deux groupes


  • certains n’étant pas exposés au


cocktail des trois substances, les
autres y étant exposés par l’eau de
boisson, dès leur sevrage, à raison
de 0,1 μg par litre (μg/l) de chaque
produit (0,3 μg/l au total). Selon
les calculs des auteurs, cela cor­
respond à un niveau d’exposition
environ 1 500 fois inférieur à la
DJA du cyprodinil, 1 000 fois infé­
rieur à celle du mépanipyrim et
de l’ordre de 10 000 fois inférieur
à celle du pyriméthanil.
Sur les souris­modèles de la ma­
ladie d’Alzheimer, l’exposition
chronique à de telles doses de ce
cocktail conduit, au bout de neuf
mois, à une plus grande quantité
de plaques amyloïdes accumulées
dans le cerveau, par comparaison
avec les mêmes souris non expo­
sées. « Cela induit une augmenta­
tion substantielle du nombre de
plaques amyloïdes, écrivent les
auteurs, de l’ordre de 26 % dans
l’hippocampe et 53 % dans le cortex
des souris [­modèles de la mala­
die]. » La surface des plaques aug­
mente aussi : elle est supérieure
de 42 % dans l’hippocampe et de
quelque 80 % dans le cortex des
souris­modèles exposées, par rap­
port à celles qui ne l’ont pas été.
Par une technique d’imagerie
par fluorescence, les auteurs sont
également parvenus à observer,

sur des animaux vivants suivis
dans le temps, la progression des
plaques amyloïdes dans le cer­
veau après trois, six et neuf mois
d’exposition. L’excès de plaques,
observent les auteurs, se forme
principalement entre les sixième
et neuvième mois de l’expérience.

« Grande prudence »
La formation de plaques amyloï­
des n’est pas le seul marqueur de
la maladie aggravé par le cocktail
testé par les chercheurs. Ces der­
niers soulignent la présence ac­
crue, dans le cerveau des souris­
modèles d’Alzheimer exposées,
de dépôts vasculaires évocateurs
de l’angiopathie amyloïde céré­
brale, maladie connue pour pro­
voquer des hémorragies cérébra­
les chez les personnes touchées
par Alzheimer. Des protéines mar­
queurs d’inflammation cérébrale


  • autre signe caractéristique de la
    maladie d’Alzheimer – sont égale­
    ment plus fortement présentes
    dans le cerveau des souris­modè­
    les exposées par rapport à celles
    qui n’ont pas subi le traitement.
    Toutefois, dans les conditions
    expérimentales choisies, les
    auteurs ne peuvent conclure à un
    lien causal entre les trois substan­
    ces et le déclenchement stricto


sensu de la maladie. En effet, les
souris sauvages – sans prédisposi­
tions à la démence introduites
dans leur génome – ne présentent
pas d’accumulation de plaques
amyloïdes, qu’elles soient expo­
sées ou non au traitement. « Ce
sont des résultats à considérer avec
la prudence dont les auteurs eux­
mêmes font preuve dans leurs
conclusions, estime Erwan Bézard,
directeur de l’Institut des maladies
neurodégénératives de Bordeaux
(CNRS, université de Bordeaux).
Celles­ci ne mettent en évidence
qu’un effet aggravant de signes
préexistants. »
« Il s’agit d’une étude de grande
qualité, bien plus sérieuse que ce
qui est fait habituellement en toxi­
cologie classique, et qui s’inscrit
dans un contexte d’inquiétude sur
les effets à long terme de certains
produits phytosanitaires, ajoute le
neurobiologiste, qui n’a pas parti­
cipé à ces travaux. Ce genre d’étude
est d’autant plus important qu’il
n’existe pas d’obligation réglemen­
taire exigeant de détecter de tels
effets a priori avant la mise sur le
marché de nouveaux produits, et
que la mise en place d’études épidé­
miologiques en population a poste­
riori est très complexe. »
stéphane foucart

Comparatif, après neuf mois d’expérience, entre les souris-modèles non exposées au cocktail des trois pesticides (à gauche) et celles
exposées (à droite) : on constate une quantité plus importante de plaques amyloïdes (en rouge). PIERRE-ANDRÉ LAFON & VÉRONIQUE PERRIER

Cherche yeux pour traquer trous noirs


ASTRONOMIE - Un projet de science participative invite les internautes à aider au traitement


des données observées par le radiotélescope européen Lofar


S


i étonnant que cela puisse
paraître, les astronomes
ont besoin de vos yeux.
Voici pourquoi. Tout part de Lofar
(Low Frequency Array), un radio­
télescope européen composé de
quelque 100 000 antennes répar­
ties un peu partout sur le conti­
nent autour d’un cœur de sta­
tions situé aux Pays­Bas. Ce
réseau constitue un instrument
virtuel géant d’environ 1 500 km
de diamètre, qui observe toute
une variété de phénomènes
astronomiques dans la gamme
des ondes radio. Parmi ceux­ci, on
trouve les jets immenses de parti­
cules qu’émettent les trous noirs
supermassifs trônant au centre
des galaxies.
Les astronomes ont un double
problème. Le premier tient au
fait que, si leur instrument
détecte bien les effets de ces
jets, il ne voit pas les galaxies
qui les ont engendrés. Il faut

donc comparer « à la main » les
cartes galactiques avec les obser­
vations de Lofar. Or, ce dernier
est trop performant, et c’est là le
second tourment des chercheurs.
Comme l’explique Cyril Tasse,
astrophysicien à l’Observatoire
de Paris, « énormément d’infor­
mations entrent dans cet instru­
ment qui est à la fois doté d’une
haute résolution et d’un grand
champ. Notre problème, c’est que
nous avons vraiment beaucoup
d’objets. Lofar a couvert 20 % du
ciel et détecté 4 millions de sour­
ces, dont 150 000 sont complexes.
Mais, pour les traiter, nous ne
sommes que 200 astronomes
avec peu de temps. »

Fraction de ciel
D’où l’idée de faire appel au
public, dans un projet de science
participative baptisé « Lofar
Radio Galaxy Zoo ». Sur des ima­
ges où sont superposées les me­

sures de Lofar et une photogra­
phie de la même fraction de ciel,
les internautes sont invités à
analyser la forme des jets et à
pointer la galaxie qui leur semble
en être l’origine. Et aussi à signa­
ler ce qui leur semble des erreurs
d’imagerie. « C’est un travail que
l’œil humain sait bien faire, as­
sure Cyril Tasse. Notre objectif
est de faire passer chacune des
150 000 sources complexes de­
vant cinq observateurs différents.
Si tout le monde voit la même
chose, on pourra considérer
comme peu vraisemblable l’hypo­
thèse que cinq personnes se trom­
pent. » Vendredi 28 février, trois
jours seulement après la mise en
ligne de l’outil, près de 1 500 « as­
tronomes­assistants » s’étaient
pris au jeu, qui avaient procédé à
plus de 80 000 traitements, soit
plus de 10 % du total.
« Nous allons aussi utiliser le
Galaxy Zoo pour entraîner des

réseaux neuronaux », ajoute Cyril
Tasse. Si l’intelligence artifi­
cielle n’est pas encore aussi per­
formante que nos mirettes pour
ce travail, il est indispensable
qu’elle le devienne rapidement.
Dans quelques années en effet
verra le jour un projet de radioté­
lescope bien plus performant
que Lofar, le Square Kilometre
Array, aussi connu sous son acro­
nyme de SKA. « Avec SKA, le pro­
blème du traitement des données
va exploser, car 10 000 fois plus
d’informations entreront dans le
système », anticipe Cyril Tasse. A
moins d’embaucher des millions
d’internautes, l’astronomie ne
pourra se passer de l’intelligence
artificielle...
pierre barthélémy

Retrouvez tous les détails
du projet sur :
Zooniverse.org/projects/
chrismrp/radio­galaxy­zoo­lofar

E S PA C E
Un second prototype de la fusée
Starship explose lors d’un test au sol
Un prototype de la fusée Starship de la
société américaine SpaceX a explosé lors
d’un test de pressurisation, dans la nuit
du 28 au 29 février. Des vidéos prises à
distance du pas de tir de Boca Chica (Texas)
montrent une première déflagration de
l’étage inférieur de la fusée, qui propulse le
compartiment supérieur dans les airs, avant
qu’il n’explose à son tour en touchant le sol.
C’est la deuxième fois qu’un tel test conduit
à la destruction d’un prototype de cette fu­
sée géante, destinée à des missions habitées
vers la Lune et Mars. En novembre, Starship
Mark 1 avait connu le même sort. SpaceX,
généralement très actif sur les réseaux
sociaux pour partager les progrès de ses
différents lanceurs, n’a pas commenté cette
destruction, avant lundi 2 mars, lorsque
son fondateur, Elon Musk, a choisi l’ironie,
postant sur Twitter une vidéo de l’incident
montrant la carcasse du lanceur avec ce
commentaire : « Où est le ruban adhésif
quand on en a besoin? »

Premier arrimage en orbite
de deux satellites commerciaux
Le 25 février à 8 h 15, le satellite MEV­1 (pour
« véhicule d’extension de mission ») de
Northrop Grumman s’est saisi du satellite de
télécommunications Intelsat 901 à une alti­
tude de 36 000 km. C’est la première fois
qu’un rendez­vous de cette nature intervient
entre deux satellites commerciaux. L’objectif
était de montrer qu’il serait possible de pro­
longer la durée de vie de satellites géosta­
tionnaires en leur offrant des capacités sup­
plémentaires de repositionnement. MEV­1,
lancé il y a quatre mois et demi depuis Baïko­
nour, s’est patiemment rapproché de sa cible,
agrippant sa tuyère, faute de dispositif spéci­
fique d’arrimage. Il va désormais la replacer
sur une autre orbite commerciale, pour pro­
longer sa mission de cinq ans. MEV­1 pourra
ensuite s’accrocher à un autre satellite pour
le faire bénéficier d’un supplément de vie de
plusieurs années. (PHOTO : NORTHROP GRUMMAN/AP)

B I O L O G I E
Une bactérie championne de natation
Magnetococcus marinus, une bactérie
vivant dans les sédiments et capable
de s’orienter le long du champ magnétique
terrestre, est une nageuse étonnante. Ce
microbe d’un micromètre de long avance
en spirale de 1,7 micromètre de diamètre à
la vitesse de 500 micromètres par seconde,
comme l’a observé une équipe franco­
allemande (CEA, CNRS, Institut Max­Planck
et universités d’Aix­Marseille et de Göttin­
gen). Les chercheurs ont également percé le
secret de ce déplacement grâce à de l’image­
rie et des simulations numériques. Deux
paires de flagelles agissent de concert
mais pas en parallèle. L’une pousse par ses
oscillations tandis que l’autre tire. De quoi,
peut­être, imaginer de nouveaux modes
de propulsion pour des robots miniatures.
> K. Bente et al., « Elife », 28 janvier

453 000
C’est le nombre de morts des suites de consom-
mation d’opioïdes aux Etats-Unis depuis le
début du siècle, revu à la hausse par une équipe
de l’université de Rochester (New York) et pu-
blié le 27 février dans la revue Addiction. Les
chercheurs ont découvert que, dans de nom-
breux cas d’overdose, les certificats de décès ne
spécifiaient pas la drogue responsable. Ils ont
établi un modèle associant les victimes des
opiacés à certaines de leurs données personnel-
les, puis ils ont regardé parmi les overdoses de
nature inconnue celles qui répondaient à ces
critères. Leur conclusion : l’estimation actuelle
doit être relevée de 28 %, et jusqu’à 50 % dans
certains Etats. Entre 1999 et 2016, il manquerait,
au total, 99 160 cas au nombre jusqu’ici retenu
des victimes américaines de ces antidouleurs.

T É L E S C O P E


b

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