Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1
RENDEZ-VOUS
LE MONDE·SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 4 MARS 2020 | 7

Il faut protéger la confidentialité 


des patients dans la recherche médicale


TRIBUNE - Des professionnels de la santé publique s’alarment après la décision d’un tribunal
d’accorder à un laboratoire l’accès à des données personnelles permettant d’identifier des patients

C’


est avec stupéfaction que
nous apprenons qu’un juge­
ment du tribunal de com­
merce de Paris, en date du 16 décem­
bre 2019, accorde aux laboratoires
Genevrier l’accès à des données per­
sonnelles de milliers de patients,
recueillies au cours d’une recherche
pharmaco­épidémiologique sur les
traitements de l’arthrose, dont l’utili­
sation d’un de leurs produits. Ces
données informatisées comportent
des informations médicales et person­
nelles sur chacun d’eux ; la Commis­
sion nationale de l’informatique et des
libertés (CNIL) indique que ces don­
nées permettent une « ré­identifica­
tion » des patients y ayant participé.
C’est­à­dire que, même si les docu­
ments demandés par la firme pharma­
ceutique ne comportent pas toujours
les noms et prénoms des patients de
l’étude, il est possible de faire des
recoupements qui permettraient de
les identifier. Chacun peut compren­
dre qu’avec les initiales, l’âge, le sexe et
des informations permettant de devi­
ner le lieu de résidence des malades, il
est possible de retrouver qui est qui
dans des villes de petite taille ; et
d’établir, avec ces informations et
quelques autres contenues dans tout
questionnaire médical, des liens avec
des bases de données faciles d’accès,
avec une haute probabilité de chaî­
nage individuel.
Comme le révèle Le Monde dans son
numéro du 26 février, on apprend préci­
sément que la firme en question a rejeté
les données qui lui ont déjà été fournies
en invoquant qu’elles ne permettaient
pas l’identification des patients.

Ce jugement est d’autant plus cho­
quant que, comme la CNIL et plus de
80 associations de patients le souli­
gnent, ces volontaires se sont vu assu­
rer, avant de participer à l’étude, que
seuls des chercheurs et des représen­
tants des autorités de santé pourraient
avoir accès à leurs données. Dans la
note d’information qui a été remise
aux personnes acceptant de participer
à l’étude Pegase, il était explicitement
écrit que « tous les renseignements que
vous fournirez resteront strictement
confidentiels. Les informations acqui­
ses durant cette étude demeureront
anonymes ; seuls les chercheurs et éven­
tuellement les représentants des auto­
rités pourront y avoir accès ».
Ainsi, comme le précise la CNIL dans
un courrier daté du 27 janvier, « le pé­
rimètre de l’autorisation délivrée ne
permettait pas aux laboratoires Gene­
vrier d’accéder à des données à carac­
tère personnel ».

Confiance
Si ces patients ont offert aux cher­
cheurs des informations sur leur état
de santé, parfois très sensibles – révé­
lant chez l’un une maladie psychiatri­
que, chez l’autre un cancer, ou encore
une infection par le VIH, ou toute
autre maladie –, ce n’était pas pour
qu’elles soient divulguées et permet­
tent de les identifier personnellement
en dehors des conditions strictes d’en­
cadrement de la recherche autorisée
par la CNIL. Cela est le but précis de la
dénomination des responsables du
traitement des données, dont la CNIL
indique clairement que les laboratoi­
res Genevrier ne font pas partie. Et elle

rappelle que seul est possible « un
transfert des données totalement ano­
nymes aux firmes pharmaceutiques
qui ont souscrit au programme ».
Au­delà de ce cas particulier, la livrai­
son à quiconque de données identi­
fiantes de patients participant à des
études médicales sans leur consente­
ment individuel représenterait un
précédent extrêmement grave pour la
recherche médicale. La confiance que
les patients accordent aux chercheurs
en serait ébranlée, ce qui est suscepti­
ble de provoquer des conséquences
nuisibles sur la motivation à partici­
per à des études scientifiques.
A l’heure où le règlement général
sur la protection des données ren­
force la protection de la confidentia­
lité des données personnelles dans la
société, il serait curieux que soit
remise en cause une pratique qui, en
recherche médicale, prévaut depuis
longtemps, bien avant cette étude, et
qui n’a fait que se renforcer depuis
lors, notamment, comme le souligne
également la CNIL, par la réglementa­
tion d’avril 2014.

La transparence sur ces données
n’est pas en cause puisque les cher­
cheurs qui les ont collectées ont pro­
posé depuis longtemps aux autorités
de santé de leur remettre la base de
données, ce que la CNIL permettrait.
Si des questions sur l’intégrité de ces
données persistaient, il existe des mé­
thodes bien connues pour en vérifier
la qualité. Une expertise ou même un
jury d’honneur indépendant pourrait
facilement répondre aux questions
que se pose le laboratoire sans le
moins du monde entacher la confi­
dentialité promise aux patients.
Aucune raison médicale ne justifie­
rait en tout cas une telle violation des
droits des malades, à propos de don­
nées sur un produit par ailleurs jugé
sans intérêt de santé publique selon la
Haute Autorité de santé.

CARTE


BLANCHE


Par SYLVIE  CHOKRON


Q


uel bel homme! — Beau? Lui? Vrai­
ment, je ne vois pas du tout ce que
tu lui trouves! » Cet échange, vous
l’avez peut­être vous­même déjà
eu ou entendu de nombreuses fois dans
votre vie. Evaluer la beauté d’un visage ou
de tout autre stimulus visuel est une tâche
que nous accomplissons régulièrement,
quasi automatiquement, sans nous poser
de questions et surtout sans imaginer le
nombre d’aires cérébrales et de processus
cognitifs qui se cachent derrière ce juge­
ment implacable.
Les recherches en neuro­esthétique ont
établi que plusieurs régions cérébrales sont
impliquées pour évaluer l’attractivité d’un
visage. Tout d’abord les cortex occipitaux et
temporaux s’activent pour traiter les aspects
purement perceptifs du visage. L’informa­
tion est ensuite transmise au gyrus fusi­
forme en vue de sa reconnaissance. Une
lésion de cette aire entraîne ainsi un trouble
que l’on nomme « prosopagnosie » et qui se
traduit par une incapacité à reconnaître les
visages connus, même familiers. Etonnam­
ment, à l’état normal, le gyrus fusiforme
répond plus rapidement aux visages jugés
attractifs, suggérant que notre jugement
esthétique influence de manière très pré­
coce la perception des visages.
Mais comment décide­t­on qu’un visage
est plaisant? Parmi les nombreux facteurs
entrant en jeu, comme l’âge ou la symétrie,
l’attractivité pourrait être influencée, à
notre insu, par les hormones sexuelles, à
savoir le niveau de testostérone pour les
hommes et d’œstrogènes pour les femmes.
En effet, si ces hormones modifient physi­
quement notre aspect au cours du temps,
elles influencent aussi la façon dont notre
cerveau juge l’apparence d’autrui.

Nos cousines les perruches
James R. Roney, de l’université de Californie,
a ainsi montré des photographies de visages
masculins à vingt­neuf jeunes femmes qui
devaient évaluer différents paramètres :
l’intérêt de chaque homme pour la pater­
nité, son degré de masculinité, son attracti­
vité physique et sa gentillesse. Les femmes
devaient également indiquer si l’attractivité
de chaque visage leur suggérait plutôt une
relation éphémère ou une relation plus
longue pouvant aller jusqu’au mariage. Les
jugements étaient ensuite comparés aux
données objectives recueillies chez les sujets
photographiés, qui s’étaient prêtés à un pré­
lèvement salivaire pour mesurer leur niveau
de testostérone et à un questionnaire éva­
luant leur désir d’enfant.
Les résultats sont édifiants. Ils montrent
que le jugement perceptif des femmes re­
flète exactement le niveau réel de testosté­
rone des hommes et leur intérêt objectif
pour la paternité. De plus, si les hommes ju­
gés les plus masculins étaient ceux dont le
niveau de testostérone était objectivement
le plus élevé, ils étaient aussi associés à une
relation sans lendemain, ce qui n’était pas le
cas pour ceux présentant un niveau de tes­
tostérone plus bas, systématiquement asso­
ciés à des relations à plus long terme.
Si nous jugeons ainsi les personnes au
premier coup d’œil, il peut néanmoins
s’avérer utile de prendre d’autres para­
mètres en considération avant de décider
de s’engager dans une relation. En particu­
lier, comme le suggérait Darwin, privilégier
l’intelligence de son partenaire s’avère
déterminant en matière d’évolution! Une
étude de Jiani Chen, de l’université de Pékin,
récemment publiée dans la prestigieuse
revue Science, nous démontre ainsi que des
perruches peuvent subitement s’intéresser
à des mâles qu’elles ne jugeaient pas si
attractifs au premier abord, si elles décou­
vrent que ceux­ci sont capables de résoudre
un problème... A l’heure où certaines émis­
sions de télé­réalité nous prédisent qu’il est
possible de choisir de se marier au premier
regard, nous ferions peut­être bien d’obser­
ver nos cousines les perruches et d’en pren­
dre de la graine.

Les lois 


de l’attraction



William Dab, professeur du Conserva-
toire national des arts et métiers et
ancien directeur général de la santé ;
Olivier Amédée-Manesme,
professeur à l’université Paris-Descartes,
directeur de Paris biotech santé ;
Alexis Descatha, professeur
à l’université d’Angers, chef de service
du centre antipoison ;
Marcel Goldberg, professeur émérite
à l’université Paris-Descartes ;
Frédéric Rouillon, professeur émérite
à l’université Paris-Descartes ;
Philippe Gabriel Steg, professeur
à l’université Paris-Diderot,
chef de service à l’hôpital Bichat

IL SERAIT CURIEUX
QUE SOIT REMISE
EN CAUSE
UNE PRATIQUE
QUI PRÉVAUT DEPUIS
LONGTEMPS
ET N’A FAIT QUE
SE RENFORCER

LA PEINTURE QUI FAIT BAISSER LA TEMPÉRATURE


Transformer l’énergie du Soleil... en
froid! La start­up israélienne SolCold,
cofondée par l’ingénieur Yaron Shen­
hav et l’expert en physique nucléaire et
professeur à la Hebrew University de
Jérusalem Guy Ron, travaille sur le pro­
totype d’une peinture double couche


  • dont certains principes ont été breve­
    tés en 2018 et en 2019 – qui, une fois
    apposée sur une surface, la refroidit
    fortement si elle est exposée au Soleil.
    « Le froid est habituellement créé en
    utilisant des réactions thermodynami­
    ques », explique Yaron Shenhav. « Ici,


nous nous basons sur les propriétés de
la physique quantique en créant une
réaction au niveau des atomes. » « Tou­
tes les parties du système fonctionnent
et nous devons désormais les combiner
pour des tests grandeur nature sur des
voitures, conteneurs ou toits d’immeu­

ble. » La start­up fait partie des 80 fina­
listes de la compétition Hello Tomor­
row Global Challenge, programmée
les 12 et 13 mars au Centquatre­Paris.
Les concepteurs annoncent une com­
mercialisation pour début 2021.
laure belot

Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à [email protected]

INFOGRAPHIE : PHILIPPE DA SILVA SOURCE : SOLCOLD

La première couche de peinture , qui agit tel un filtre
multibande, laisse passer certaines longueurs d’onde
de la lumière du soleil. La seconde, constituée
de « nanostructures de morphologies spécifiques »,
va réagir au niveau atomique avec les photons
de certaines parties du spectre lumineux.

Lumière du soleil

Première couche

Seconde couche

Baisse de la température

Photon

Atome

UNE PEINTURE MULTICOUCHE POUR AGIR AU NIVEAU ATOMIQUE

Selon les projections des concepteurs, si la peinture
est apposée sur le toit d’une voiture en plein soleil,
« l’habitacle du véhicule pourrait aeindre
25 à 30 degrés, contre 60 degrés dans un véhicule
non protégé », annonce le scientifique.

DES DOMAINES D’APPLICATION VARIÉS

1

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« Lorsqu’un photon d’un spectre spécifique aeint un atome,
cela provoque au niveau de celui-ci une excitation,
puis une libération d’énergie qui se combine avec l’énergie
du photon », explique le scientifique. Par effet cumulatif,
sur un nombre multiple d’atomes, « la matière elle-même
commence, en masse, à perdre sa propre énergie
et voit sa température baisser ».

La start-up vise les secteurs

du bâtiment

de l’automobile

du transport
de marchandises
par conteneurs.

Sylvie Chokron, directrice de recherches
au CNRS, Laboratoire de psychologie
de la perception, université Paris-Descartes
et Fondation ophtalmologique Rothschild
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