20 |planète SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
0123
Coronavirus : en Chine, une surveillance renforcée
Face au SARSCoV2, Pékin utilise le big data aux côtés des moyens de contrôle hérités de la période maoïste
Le nombre
de cas bondit
en Corée du Sud
Des membres de l’Eglise de Jésus du Nouveau
Monde ont été infectés par le coronavirus
shanghaï correspondance
S
hengnan est rassurée :
grâce à un codebarres de
santé, elle peut mainte
nant prouver qu’elle n’a
pas été en contact avec des person
nes risquant de porter le coronavi
rus. Cette Chinoise de 32 ans, qui
ne souhaite pas donner son nom
de famille, est originaire du Hubei
et habite à Shanghaï. Elle n’est pas
rentrée chez elle pour le Nouvel
An lunaire, le 25 janvier. Elle a an
nulé son billet au dernier mo
ment, le 23 janvier, le jour où Wu
han, a été mise en quarantaine.
Pourtant, la mention « Hubei »
sur sa carte d’identité fait de
Shengnan une pestiférée : quand,
avec son compagnon, elle a voulu
rendre visite à des amis dans une
autre résidence de Shanghaï, les
gardiens ont sursauté. « Je n’ai pas
pensé à mentir, j’ai dit que je venais
du Hubei mais que je n’étais pas
rentrée pour le Nouvel An. Mais les
trois hommes ont commencé à
nous hurler dessus pour qu’on
parte. Il y en a un qui s’est précipité
dans sa guérite pour mettre un
masque! », racontetelle.
Après cette expérience doulou
reuse, Shengnan s’est mise en
quête d’un moyen de prouver
qu’elle n’avait pas visité le Hubei
depuis longtemps. Elle a décou
vert le « jiankangma », ou code de
santé. C’est un programme déve
loppé par le numéro un chinois
du ecommerce Alibaba, sous la
direction du Conseil des affaires
d’Etat (gouvernement) qui croise
des données pour déterminer si
les personnes ont séjourné dans
des zones à risque ou voyagé à
proximité de personnes infec
tées. Obligatoire à Hangzhou, la
ville d’origine du groupe en
Chine, il est disponible volontai
rement dans d’autres villes.
A partir du 24 février, il devrait
être étendu à tout le pays, et ac
cessible à la fois sur WeChat, le ré
seau social dominant en Chine
développé par Tencent, et Alipay,
l’application de paiement mo
bile d’Alibaba – une rare collabo
ration entre les deux rivaux du
hightech chinois.
Shengnan a donc entré son
nom, son numéro de carte d’iden
tité et son numéro de téléphone.
« Avec ça, ils peuvent savoir où tu
es allé récemment. Pour moi, ça
s’est affiché vert, ça m’a beaucoup
rassurée. C’est très important
d’avoir une preuve officielle », té
moignetelle. Ceux dont le code
est jaune doivent se mettre en
quarantaine sept jours, et qua
torze jours pour un code rouge.
Patchwork d’initiatives locales
L’épidémie de coronavirus, qui a
infecté 75 567 personnes en Chine
et fait 2 239 victimes, a éclaté au
plus mauvais moment : juste
avant le plus grand mouvement
migratoire au monde, lorsque les
Chinois rentrent dans leurs fa
milles pour passer le Nouvel An lu
naire. Si les autorités ont réagi trop
tard pour contrôler les flux de po
pulation avant la fête, elles ont
d’abord cherché à limiter les dé
placements, en rallongeant les va
cances de dix jours au moins dans
la plupart des provinces de la côte
est. Pour permettre la reprise pro
gressive du travail, elles s’attellent
désormais à suivre à la trace les dé
placements des Chinois.
Pour cet objectif, l’état de sur
veillance renforcée ces dernières
années sous la présidence de Xi
Jinping est déployé à 100 %, dans
un patchwork d’initiatives locales
allant des applications dévelop
pées par les géants du hightech
aux volontaires des comités de
quartier remplissant des fiches.
A Shanghaï, les habitants de re
tour sont priés de remplir une lon
gue fiche en ligne, incluant leurs
données personnelles et leur iti
néraire détaillé. En arrivant à la
gare, des employés en combinai
son blanche et porteurs d’un mas
que vérifient que chaque voyageur
a reçu le SMS confirmant qu’il a
bien rempli la fiche. Une version
papier est également disponible.
A l’entrée des résidences, les gar
diens ou des volontaires des comi
tés de quartier en gilet et casquette
colorés prennent la température à
chaque allée et venue ; ceux qui
portent une valise, eux, doivent
remplir une fiche d’inscription dé
taillée. Difficile de savoir dans
quelle mesure ces informations
sont recoupées, mais les autorités
font des exemples de ceux qui
mentent : au Qinghai, une pro
vince du NordOuest, un homme
a été accusé d’avoir « délibérément
caché » un récent voyage à Wuhan
pour lui et son fils, « compromet
tant la sécurité du public ».
D’autres outils n’ont rien de nou
veau. Les Chinois doivent présen
ter leur carte d’identité pour ache
ter des billets de train, d’avion, ou
des cartes SIM, les informations
atterrissant dans les fichiers de la
police. La reconnaissance faciale,
en revanche, déployée massive
ment ces dernières années grâce à
un réseau de plus de 400 millions
de caméras de surveillance en
Chine, selon IHS Markit, une en
treprise d’analyse de marché, est
peu utile quand la population est
obligée de porter des masques
dans les lieux publics.
Les contrôles les plus efficaces
restent humains : dans la plupart
des villages de la moitié est de la
Chine, des barrages ont été mis en
place, gardés par les chefs locaux,
la police et les comités villageois.
Eux ne laissent passer personne
d’extérieur. Dans les zones les plus
touchées, ils ne laissent pas non
plus leurs propres habitants sortir.
Dans les villes, ce sont les comi
tés de quartier qui assurent, avec
les gardiens des résidences, la
traçabilité des mouvements de
chacun. Ces organisations de
proximité gèrent des services
aux habitants dans les zones de
quarantaine les plus strictes,
comme à Wuhan, où ils se char
gent de la distribution de nourri
ture ou de l’organisation du
transport des malades ou du per
sonnel soignant grâce à un ré
seau de volontaires.
« Les comités de quartier ont été
créés juste après la prise de pou
voir des communistes en 1949
pour encadrer la société urbaine.
Ils font partie d’un dispositif de
contrôle et de surveillance de la
population. Leurs missions vont
de l’aide sociale à l’animation des
quartiers, en passant par le recen
sement et la médiation », explique
Judith Audin, chercheuse au Cen
tre d’études français sur la Chine
contemporaine à Hongkong, et
auteure d’une thèse sur les comi
tés de résidents à Pékin.
Mais leur rôle est aussi celui d’in
formateurs de proximité, en lien
étroit avec la police : « Les comités
de résidents se trouvaient en pre
mière ligne lors des crises politi
ques, dans le repérage et la dénon
ciation des ennemis du régime, à la
suite des manifestations sur la
place Tiananmen en 1989, ou du
mouvement sectaire du Falungong
en 1999 », ajoute la chercheuse.
A Hangzhou, le déploiement
massif des codebarres de santé
ne plaît pas à tout le monde. La
ville a déjà attribué 7,25 millions
de « codes de santé », dont 316 000
de couleur rouge et 200 000 jau
nes, d’après la presse officielle.
M. Liu (il ne donne que son nom
de famille), un habitant de la ville,
montre son code vert plusieurs
fois par jour, pour rentrer dans sa
résidence ou son entreprise. Mais
il n’aime pas mettre son destin
entre les mains d’une entreprise
privée, qui n’a pas révélé le fonc
tionnement de son algorithme.
« On ne devrait pas laisser des en
treprises privées gérer ce genre
d’informations personnelles, esti
metil. Alibaba et Tencent de
vraient livrer leur application au
gouvernement. »
Employé d’une entreprise
d’agroalimentaire, M. Liu s’in
quiète des conséquences. « Le code
de couleur est très largement uti
lisé, mais que se passetil s’il y a des
erreurs? Il n’y a pas de recours. Le
“big data” ne devrait pas marcher
comme ça. » Sur Weibo, site de mi
croblogage chinois, beaucoup se
demandent pourquoi ils ont ob
tenu un code rouge, sans avoir vi
sité de lieux à risque.
simon leplâtre
Contrôle
de sécurité
à l’entrée
d’une allée
de Pékin,
le 20 février.
GREG BAKER/AFP
« Que se passe-t-il
s’il y a des erreurs?
Il n’y a pas de
recours », s’inquiète
M. Liu, un habitant
de Hangzhou
tokyo correspondance régionale
U
ne secte sudcoréenne
est devenue l’un des pre
miers foyers de corona
virus SARSCoV2 hors de Chine,
derrière le paquebot Diamond
Princess. Près de 82 membres d’un
mouvement puissant et contro
versé, l’Eglise de Jésus Shin
cheonji (« nouveau monde »), ont
été contaminés dans la ville de
Daegu et dans la province du
Gyeongsang du Nord. La situa
tion inquiète d’autant plus le gou
vernement qu’il s’agit des pre
miers cas de transmissions loca
les, non liées à des déplacements
à l’étranger. Le nombre de cas
dans le pays a bondi de 125 en seu
lement trois jours, pour atteindre
156 cas vendredi 21 février. Une
première mort a été signalée.
Daegu, 2,5 millions d’habitants,
et ses environs ont été placés
vendredi sous le statut de « zone
d’administration spéciale », per
mettant un renforcement des
moyens médicaux et de con
trôle. Le gouvernement est sous
pression pour éviter une crise si
milaire à celle de l’épidémie de
MERS, le syndrome respiratoire
du MoyenOrient, qui avait fait
36 mor ts en Corée du Sud
en 2015.
Plus d’un demimillion de ci
toyens ont signé une pétition exi
geant la fermeture du pays aux
voyageurs en provenance de
Chine, comme l’a fait Singapour.
Mais Séoul craint de froisser son
puissant voisin alors que l’arrêt
des livraisons de pièces détachées
du fait de la crise sanitaire en
Chine a déjà conduit à la suspen
sion depuis le 7 février de la pro
duction du géant automobile
Hyundai sur le sol coréen.
Le Centre coréen des maladies
contagieuses a pour l’heure exclu
de déclarer à Daegu des mesures
de confinement semblables à cel
les en place à Wuhan, foyer de la
maladie en Chine. Mais toutes les
personnes suspectes seront désor
mais testées, même si elles n’ont
aucun lien avec des cas existants
ou si elles n’ont pas voyagé à
l’étranger. La capacité quotidienne
de tests sera portée de 5 000 à
10 000 avant la fin du mois.
Le maire de la ville, Kwon
Youngjin, a demandé à la popula
tion de limiter les sorties, évo
quant « une crise sans précédent ».
Un appel très suivi, les rues res
tant désertes, les crèches fermées
et la rentrée scolaire prévue début
mars repoussée. Deux soldats
ayant séjourné dans la ville ayant
été contaminés, le ministère de la
défense a ordonné le maintien de
l’ensemble des militaires de la ré
gion dans leur cantonnement. A
Séoul, les rassemblements de
masse ont été interdits.
« Super-propagateur »
Le virus aurait été transmis pen
dant des offices par une femme de
61 ans. Elle pourrait représenter
un cas de « superpropagateur »,
une personne infectée pouvant
transmettre le virus à un grand
nombre de personnes, alors que
l’indice de contagiosité du SARS
CoV2 se situerait entre 1,5 et 3,5.
Hospitalisée après un accident
début février, la femme aurait re
fusé à trois reprises d’être testée au
nouveau virus, malgré l’insistance
des médecins. Comme elle n’avait
eu aucun antécédent de contact
avec une personne malade ou ve
nue de Chine, ces derniers ne pou
vaient la forcer. Elle a dissimulé ses
activités religieuses, conformé
ment aux exigences de la secte, et
assisté à au moins deux offices.
L’historique de ses déplace
ments montre son passage par des
grands magasins, dont un à Séoul,
qui ont choisi de ne pas ouvrir
jeudi. La patiente se serait rendue
dans un hôpital du Gyeongsang
du Nord, où des cas ont été décou
verts et où la première mort, un
homme de 65 ans, a été déplorée. a
secte Sehincheonji a suspendu
tous les rassemblements prévus,
les remplaçant par des offices en li
gne. Le Centre coréen des maladies
contagieuses a demandé à 1 001 fi
dèles ayant été potentiellement en
contact avec cette patiente de res
ter isolés chez eux.
philippe mesmer
LE CONTEXTE
MODE DE CALCUL
Les autorités sanitaires chinoises
ont de nouveau modifié leur
définition des cas de la maladie
Covid-19. Initialement, seuls
étaient dénombrés les cas
confirmés par examen de labo-
ratoire. Le 13 février, la Commis-
sion nationale de la santé
décidait d’y ajouter les cas dia-
gnostiqués sur des seuls critères
cliniques et radiologiques, fai-
sant aussitôt grimper le nombre
de contaminations. Puis, à
compter du 17 février, elles reve-
naient à la définition initiale,
sauf pour la province du Hubei
(80 % des infections au SARS-
CoV-2). Finalement, les cas
simplement suspects sont
retranchés du nombre de cas
confirmés lorsque les tests
de laboratoire sont négatifs.
Quarantaine chaotique en Ukraine
L’évacuation de 72 personnes de Wuhan (Chine) vers l’Ukraine
a été fortement perturbée, jeudi 20 février. A Novi Sanjary, dans
le centre du pays, des habitants ont violemment manifesté leur
opposition à l’arrivée de 45 Ukrainiens et 27 étrangers (en majo-
rité originaires d’Amérique latine), en bloquant la route des bus
et en affrontant la police qui cherchait à les déloger. Les évacués
ont finalement pu rejoindre le centre dans lequel ils seront
hébergés et confinés quatorze jours. En signe de solidarité,
la ministre de la santé ukrainienne, Zoryana Skaletska, a an-
noncé dans la soirée qu’elle rejoignait les évacués. Choquée
par « la panique et le rejet » manifestés par les résidents,
elle a fait savoir qu’elle se plaçait elle-même en quarantaine.
Chaque
dimanche
16H-17H
Aurélie
Luneau
L’esprit
d’ouver-
ture.
En partenariat
avec
DE CAUSE
ÀEFFETS.
©RadioFrance/Ch.Abramowitz
Le magazine de
l’environnement