Le Monde - 22.02.2020

(John Hannent) #1
“EST-CE QU’IL Y EN A QUI
VIENNENT POUR LA PREMIÈRE FOIS ?”
L’enregistrement d’ « On n’est pas cou-
ché » n’a pas encore commencé.
Laurent Ruquier fait son entrée dans le
studio Gabriel (8e arrondissement pari-
sien). Dans le public, une personne sur
trois lève la main, ce qui paraît le réjouir.
Sur les bancs du public, un noyau dur
de fans, présents toutes les semaines ou
presque, qui pour certains le suivent
aussi dans les locaux de RTL pour « Les
Grosses Têtes ». Parmi eux, un employé
du Ritz qui l’accompagnait déjà à
l’époque où il travaillait à Europe 1,
allant jusqu’à prendre des jours de
repos pour assister aux enregistrements
des « Grosses Têtes » en province.
D’autres aiment être assis au milieu
d’un public, peu importe lequel tant
que c’est à la télé. « Un jour, je suis allé à
l’enregistrement d’une émission de Paris
Première au Grand Point Virgule et à
“Deux heures de rires et d’émotions” de
France Télévisions au Paradis latin dans
la même journée », explique un homme
qui fait « tout mais pas la radio. »
Pour assister à l’enregistrement d’« On
n’est pas couché », le public passe par
des sites spécialisés comme Weclap ou
l’agence Cassandra. Certaines sociétés
offrent des places de spectacle, des
bons d’achat, voire rémunèrent des
figurants. « On n’est pas couché »,
comme « Touche pas à mon poste »
d’Hanouna, remplit facilement les
places du public. Les talk-shows et les
jeux peuvent avoir plus de mal à faire le
plein, surtout s’ils sont enregistrés au-
delà du périph. Pendant les grèves,
certaines émissions, en plus des places
de théâtre, proposaient des bons
d’achat à ceux qui avaient le moyen
d’arriver jusqu’aux studios de produc-
tion en banlieue. « Pour une valeur de
80  euros », disaient les messages
envoyés aux personnes susceptibles de
venir. D’autres invitations, comme celle
de C8 pour le nouveau talk-show d’Éric
Naulleau, précisent même qu’un sand-
wich est prévu.

À QUOI ON LES RECONNAÎT
On reconnaît les gens du public à ce
qu’ils n’ont pas mis de carreaux et de

rayures (qui passent mal à l’écran),
comme le précisait l’invitation, ils n’ont
pas tous « osé les couleurs vives »
comme recommandé, et n’ont pas tous
interprété de la même façon la mention
« tenue de soirée » – après tout, on peut
aussi passer la soirée en polaire.
On reconnaît les habitués du public à ce
qu’ils arrivent très en avance. Il s’agit de
décrocher les meilleures places, les pre-
miers rangs. Arriver très tôt donne une
chance en plus mais ne garantit rien :
les placeurs de l’émission tranchent. Au
dernier rang d’« On n’est pas couché »,
on est avec les vieux, les retardataires et
les ingérables, dont trois mamies qui
commentent l’émission à voix haute
comme si elles étaient dans leur
canapé, oubliant que ceux dont elles
parlent sont à quelques mètres. « Ohhh,
ça c’est vrai... », « Giesbert, faut toujours
qu’il ramène tout à lui... »
On reconnaît ceux des premiers rangs
à ce qu’ils sont présentables et se
tiennent bien. Dans certaines émis-
sions, comme celle de Stéphane Bern
sur RTL, le studio est si petit qu’on ne
peut pas prendre le risque de placer
n’importe qui à un mètre de la table de
l’animateur.
On les reconnaît à ce qu’ils acceptent
de voyager dans le temps sans bron-
cher. Quand Ruquier demande à ses
invités ce qu’ils ont fait pour la Saint-
Valentin parce que l’émission sera dif-
fusée le 15 février, les gens du public
sont d’accord pour oublier, eux aussi,
qu’on est le 13.
Et bien sûr, on les reconnaît aux
applaudissements parfaitement fidèles
aux consignes du chauffeur de salle.

COMMENT ILS PARLENT
« Angot, elle se tenait mieux chez
Ruquier que face à Fillon. » « Depuis
qu’il n’a plus ses chroniqueurs, c’est plus
brouillon. » « La semaine dernière, y
avait un migrant dans les invités, mais
un vrai migrant! » « “Quotidien”, j’y vais
plusieurs fois par semaine, j’habite à
côté. » « Le mardi 25 y a une émission
“années 1970”, je suis déjà inscrit. » « Le
soir de l’émission avec la fille de
Gainsbourg, on a fini à minuit et demi. »
« C’est pas parce qu’on est assis derrière

qu’on n’a pas le droit à la bouteille
d’eau. » « Moi, dans ma béchamel, je
mets une Vache qui rit pour le goût. »
« La seule fois où je suis allée aux
“Enfants de la télé”, Arthur n’était pas
là. » « Certains disent que Léa Salamé
pourrait remplacer Ruquier. Je ne suis
pas misogyne, mais Ruquier avec son
homosexualité ça fait quand même plus
showbiz. »

LEURS PONCIFS
Ils ont beau être à quelques mètres
seulement de l’animateur et de ses
équipes, ils n’ont pas plus d’informa-
tions que les autres. Alors les rumeurs
vont bon train. Il paraîtrait que les
audiences de la nouvelle formule de
l’émission sont en baisse. Que
Delphine Ernotte, la patronne de
France Télévisions, n’est pas fan de
Ruquier. De toute façon, ils en sont
sûrs : Ruquier n’a pas besoin de France
Télévisions. En tout cas, ce n’est pas le
moment de louper un enre gistrement.

LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES
« On n’est pas couché » peut-il conti-
nuer sans chroniqueurs? « On n’est pas
couché » pourrait-il continuer sans
Ruquier?

LEUR GRAAL
Avoir droit à la même place chaque
semaine, comme cette dame systémati-
quement placée à la gauche de l’entrée
des invités d’« On n’est pas couché ».
Atteindre le statut de Michèle, ancienne
fonctionnaire retraitée qui, à force de
suivre Ruquier partout, est désormais
la seule à ne pas avoir besoin de s’ins-
crire pour venir aux « Grosses Têtes ».
Une consigne donnée par l’animateur
producteur.

LA FAUTE DE GOÛT
Penser que votre ancienneté vous
donne le droit de critiquer l’animateur
ou d’être désagréable avec les autres
gens du public. Une ancienne specta-
trice des « Grosses têtes » qui, jouant
les doyennes, avait critiqué Ruquier
quand il y avait remplacé Philippe
Bouvard, n’a plus le droit d’assister à
ses enregistrements. 

ENTRE-SOI


Texte Guillemette FAURE

FIDÈLES DANS LE POSTE.
AVEC LES INCONDITIONNELS DE LAURENT RUQUIER, POUR L’ENREGISTREMENT DE SON ÉMISSION
“ON N’EST PAS COUCHÉ” AU STUDIO GABRIEL, LE 13 FÉVRIER.
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