Le Monde - 22.02.2020

(John Hannent) #1

l’équipe de François Fillon. Penelope,
contre 5 200 euros net mensuels, lui aurait
aussi apporté « légitimité » et « notoriété ». Le
procès débute le 24 février, à Paris. Les réqui-
sitions seront prises le 11 mars, soit quatre
jours avant le premier tour des municipales.
Difficile d’imaginer plus mauvais timing. Tête
d’une liste sans étiquette mais où figurent des
militants LR, Joulaud « assume de faire cam-
pagne pendant le procès, raconte une journa-
liste locale. Ça ne le gêne pas, il a même
accepté un débat avec ses adversaires ». Il faut
dire que ces derniers retiennent leurs coups.
Pour l’heure, deux autres listes sont en lice.
L’une, de gauche, menée par une figure locale
de l’opposition, Rémi Mareau, n’est pas encore
tout à fait bouclée. « Bien sûr, j’ai des pensées
pas très sympathiques concernant Joulaud,
avoue en souriant l’intéressé. Mais on n’ira pas
sur le terrain des affaires, on va rester dignes. »
L’autre, également sans étiquette, mais où
figurent des socialistes, est conduite par
Nicolas Leudière, professeur de trompette et
ancien membre de la majorité. Il a démis-
sionné du conseil municipal en mars 2019, à la
surprise générale, en raison de « graves désac-
cords politiques ». Pourtant, durant cinq ans, il
avait voté tous les budgets. « Leudière n’aurait
jamais démissionné s’il n’y avait pas eu l’affaire
Fillon. Il y a vu une belle opportunité », explique
un membre de la droite sarthoise. Son équipe,
très organisée, se réunit dans un bar à vins et
ses membres arpentent la cité, le cou
réchauffé par une écharpe en polaire tur-
quoise affichant « Sablé 2020 ». « Ils vont for-
cément mordre sur l’électorat de droite histori-
quement acquis à Joulaud », s’inquiète un
membre de la majorité sortante.


Preuve que les temps changent : lors des
précédents scrutins, en 2008 et 2014, le lieu-
tenant de Fillon ne se donnait même pas la
peine de faire campagne. Il était élu dès le
premier tour, et il n’y avait plus qu’à aller fêter
la victoire au Pub Élysée, sur la place de
la mairie. « Pour la première fois, ce n’est pas
joué d’avance, et il va falloir que Joulaud serre
des mains », ricane Rémi Mareau.
Assumer un rôle public n’a jamais rien eu
d’évident pour ce grand timide, embarrassé
par une carcasse de 1,92 mètre. Beaucoup se
souviennent de son premier discours de
député, en 2002, devant 2 000 salariés du
groupe volailler LDC, installé dans la ville. Il
était si ému que l’on voyait de loin ses notes
trembler. « Il n’était pas fait pour ça, c’est un
homme de dossiers », résume un membre
de l’opposition. Dix-huit ans plus tard, ses
administrés le voient, le soir, à l’heure où les
rues de Sablé sentent le feu de cheminée,
sauter dans sa voiture et rentrer chez lui,
dans une maison de Gastines, sur la route
de Laval. Alors que ses rivaux font des réu-
nions d’appartement, Joulaud, lui, envoie un
questionnaire dans les boîtes à lettres.
« Cette fois, il a douze ans de bilan à
défendre, et Sablé a perdu de sa lumière »,
estime une colistière de Leudière. La froma-
gerie Bel, les viandes Charal et le volailler
LDC font vivre des familles d’ouvriers, mais
la ville a perdu l’aspect cossu qui pouvait
attirer les cadres au pouvoir d’achat confor-
table. Ils préfèrent désormais s’installer au
Mans ou à Angers. « Même des cadres et
des élus de la municipalité n’habitent pas à
Sablé », débine un opposant.
Nul ne sait vraiment pourquoi Marc Joulaud
rempile. Toutefois, quand il a proposé de
concourir à un troisième mandat, aucun
membre de la majorité n’y a vu d’objection.
Joulaud peut compter sur des soutiens indé-
fectibles. On en croise à la sortie du cimetière
de Sablé, pour la commémoration du décès
du député-maire historique de la ville, mentor
de Fillon, Joël Le Theule, disparu en
décembre 1 980. « Depuis l’affaire, ils sont
moins nombreux, une trentaine », observe un

ancien. Si Marc Joulaud laisse dire que, dans
l’affaire Fillon, il a été « le dindon de la farce »,
il sait ce qu’il doit à son mentor, à qui il reste
très fidèle. On le dit « docile », « loyal », « sans
ego ». Joulaud n’a jamais vraiment fréquenté
Beaucé, le manoir des Fillon, à Solesmes.
« En ce moment, ils se parlent surtout par
SMS », confie un proche. Gérard Davet et
Fabrice Lhomme, journalistes au Monde,
auteurs d’Apocalypse Now (Fayard, 2020),
François Fillon aurait récemment écrit à
Joulaud : « Je m’en veux de vous avoir mis
dans cette situation. » Reste que la femme
de Joulaud, Arabelle, est remontée contre
Fillon. Lors d’un repas de fin de jeûne du
ramadan, en 2018, l’un des organisateurs
avait pensé la faire asseoir près de l’ancien
premier ministre, avant de renoncer, refroidi
par l’air courroucé de la « première dame »
de Sablé. Un proche de Joulaud résume,
mordant : « Marc n’a jamais été un ami pour
Fillon, c’est un obligé. »
Qu’importe. Le fief sarthois de Fillon est
incroyablement légitimiste. D’ailleurs, à
quelques encablures de là, Penelope Fillon
figure de nouveau sur la liste du maire
sortant de Solesmes, Pascal Lelièvre. Elle
aussi fuit la presse. Le jour de la présen tation
de la liste, une photo de groupe prise
quelques jours plus tôt a été distribuée
aux journalistes locaux, qui en furent
pour leurs frais : connue pour traîner au
supermarché du coin en pantacourt et
veste informe, elle y apparaît rayonnante,
ses longs cheveux blancs lâchés.
Dans Le Maine libre et Les Nouvelles-L’Écho
fléchois, Marc Joulaud a expliqué qu’il serait
en mesure d’exercer un troisième mandat,
quoi qu’il arrive. Le jugement, mis en délibéré,
pourrait ne pas être rendu avant l’été : « Ce qui
est important pour moi, c’est qu’il n’y ait pas
d’inéligibilité. Si le jugement ne me convient
pas, je ferai appel. La procédure repartira pour
un ou deux ans. Il pourra ensuite y avoir cassa-
tion... » Pour assurer ses arrières, celui qui
n’a jamais occupé d’autre poste que celui de
doublure lumière de François Fillon a tout de
même suivi un bilan de compétences. 

“Ce qui est important pour moi, c’est


qu’il n’y ait pas d’inéligibilité. Si le


jugement ne me convient pas, je ferai


appel. La procédure repartira pour


un ou deux ans.” Marc Joulaud à la presse locale


Marc Joulaud
et François Fillon
en décembre 2019
au cimetière
de Sablé, lors
de l’hommage à
Joël Le Theule,
maire historique
de la ville et mentor
de Fillon.

LA SEMAINE

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Patrick Siccoli/Sipa
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