Le Monde - 22.02.2020

(John Hannent) #1
À 75 ANS ET 9 000 BÉBÉS ÉPROUVETTES AU COMPTEUR,
le professeur Janos Konc s’apprête à vivre une consécration pro-
fessionnelle. D’ici mars, ce ponte hongrois de la procréation
médicalement assistée (PMA) va inaugurer les locaux du nouvel
Institut national de la reproduction humaine dans un des princi-
paux hôpitaux de Budapest, le Szent Janos. « Nous allons avoir
2 4 00 m² de locaux. Quand j’ai commencé en 1991, on n’en avait
que 90 », se réjouit le médecin, qui a revêtu sa blouse blanche
pour montrer le chantier en cours dans un des pavillons de cet
hôpital délabré. Le gouvernement hongrois a investi 1,2 milliard
de forints (3,5 millions d’euros) pour doubler l’activité des
équipes du professeur Konc. Et favoriser ce qui est devenu une
priorité nationale : les bébés. En déclin démographique ininter-
rompu depuis 1981, la Hongrie multiplie depuis des années les
mesures natalistes, dans le but d’essayer d’inverser la tendance.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2010, le premier ministre natio-
naliste Viktor Orban a encore renforcé cette tendance en annon-
çant l’instauration d’une exonération totale d’impôts pour les
mères de famille de plus de quatre enfants ou de prêts hypera-
vantageux pour les parents... En décembre dernier, cette poli-
tique a franchi un palier supplémentaire avec l’annonce d’une
mesure spectaculaire : la nationalisation de presque toutes les
cliniques de fertilité du pays.
À la surprise générale, un décret adopté le 19 décembre 2019
précisait ainsi que six cliniques privées du pays étaient
nationalisées sur-le-champ en raison de « l’exercice d’activités

EN HONGRIE, ORBAN VEUT DES BÉBÉS


À TOUT PRIX.


Texte Jean-Baptiste CHASTAND


d’importance stratégique nationale ». Dans la foulée, le gouver-
nement annonçait que les traitements, déjà quasiment gratuits
jusqu’à cinq tentatives, seraient désormais totalement couverts
par la Sécurité sociale à partir du 1er février. En plaçant cette
décision dans la lignée de sa politique visant à refuser tout
recours à l’immigration, Viktor Orban a expliqué lors de sa confé-
rence de presse annuelle, le 9 janvier, que « si nous voulons
des enfants hongrois plutôt que des immigrés, la seule solution
est de dépenser autant que possible pour soutenir les familles ».
Si le coût précis de ces nationalisations est resté secret, le gou-
vernement a prévu d’investir en tout 31 millions d’euros pour
financer ses mesures en faveur de la procréation médicalement
assistée. « Cette affaire a une importance stratégique, parce qu’il
faut plus de naissances! », résume Janos Konc. Depuis 2010, le
taux de fertilité est passé de 1,25 à 1,55 enfant par femme dans
le pays, mais le nombre de naissances est encore loin de com-
penser celui des décès, sans parler des Hongrois partis chercher
du travail en Europe de l’Ouest. « Or, les Hongroises font des
enfants de plus en plus tard, et ont donc moins de chances d’y
arriver de façon naturelle », renchérit à ses côtés Péter Takacs,
directeur de l’hôpital Szent Janos. Les deux hommes pensent
qu’il est possible de faire au moins doubler le nombre d’enfants
nés avec assistance, estimé actuellement à environ 4 000 par
an. « Il y a un déficit démographique annuel de 40 000 per-
sonnes. Nous ne pouvons pas le compenser entièrement, mais
en rattraper une partie », rêve le professeur Konc.
Alors que la loi légalisant la PMA pour les femmes célibataires
vient d’être votée en première lecture en octobre 2019 en
France, la Hongrie l’autorise depuis 2005, et ce jusqu’à 45 ans.
Et à l’hôpital Szent Janos, on plaide désormais pour une politique
publique et gratuite de congélation des ovules afin de permettre
aux femmes d’enfanter plus tard. Même si Orban défend sur tous
les tons l’identité chrétienne de la Hongrie, les réticences de
l’Église sur ce sujet, notamment sur le contrôle des embryons,
semblent totalement écartées.
Temporaire, la nationalisation doit prendre fin en décembre
2022, sans que le décret précise ce qu’il adviendra ensuite des
entreprises. Selon Péter Takacs, les instituts anciennement pri-
vés seront ensuite totalement intégrés dans le système public.
« Nous allons avoir un réseau harmonisé qui va couvrir tout le
pays », se félicite-t-il. « Il y avait plusieurs mois ou même années
d’attente pour les traitements financés par la Sécurité sociale.
Cette décision devrait permettre d’éviter ces listes d’attente »,
avance aussi Attila Vereczkey, le directeur d’une des dernières
cliniques encore privées du pays, qui pratique des PMA non
remboursées mais accessibles rapidement. À 3 0 00 ou 4 000
euros par cycle, il promet « un niveau de réussite élevé, grâce
à des technologies de pointe », pour poursuivre son activité face
à cette nouvelle concurrence d’État.
Les femmes hongroises, elles, sont averties que les portes de
la procréation assistée leur sont désormais grandes ouvertes.
« La Hongrie a toujours eu des préoccupations natalistes très
fortes, et cette nationalisation peut avoir des avantages pour
les patientes, mais dans le contexte populiste actuel, j’ai peur que
cela se transforme en pression sociale sur les femmes », s’in-
quiète Judit Sandor, professeure de bioéthique et de droit à l’uni-
versité d’Europe centrale, à Budapest, en critiquant « un débat
abordé seulement sous le prisme de la démographie ». Sur les
réseaux sociaux, des femmes ont ainsi déjà dénoncé une pres-
sion sur « leur utérus ». Mais les promoteurs de cette politique
écartent ces reproches : « La politique du gouvernement ne pré-
voit pas de pénaliser les femmes qui ne veulent pas faire d’enfant.
Il s’agit juste d’avantager celles qui en veulent et qui hésitent pour
des raisons économiques », justifie Péter Takacs. 

En janvier 2019,
dans une
maternité de
Budapest. Le
premier ministre
Viktor Orban
espère accroître
le recours
à la PMA en
nationalisant
les cliniques
spécialisées.


Pour contrer le vieillissement de la population sans


recourir à l’immigration, le premier ministre Viktor


Orban vient de nationaliser provisoirement plusieurs


cliniques spécialisées dans la PMA.


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LA SEMAINE

Akos Stiller/The New York Times/REDUX-REA
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