ELLES S’Y ÉTAIENT LONGTEMPS REFUSÉ, utilisant l’argu-
ment de la liberté d’expression. Mais voilà que les plateformes tech-
nologiques commencent à exercer un début de contrôle sur les conte-
nus qu’elles diffusent. Ainsi du géant du commerce en ligne Amazon
qui, selon The New York Times, vient de faire un peu de ménage dans
les articles ou publications à connotation nazie présents sur sa plate-
forme. La mégalibrairie, qui contrôle les deux tiers du marché du livre
imprimé et numérique, a retiré de la vente deux ouvrages de l’ancien
leader du Ku Klux Klan David Duke, et des titres du fondateur du parti
nazi américain en 1959 George Lincoln Rockwell – un geste qui lui
était demandé depuis longtemps. La plateforme a aussi banni des
titres antisémites comme The Ruling Elite: The Zionist Seizure of World
Power et A History of Central Banking and the Enslavement of
Mankind. Le retrait de la vente s’est fait sur plusieurs mois, sans publi-
cité ni annonce. Il a été remarqué par certains des vendeurs qui pro-
posent leurs collections sur la plateforme.
L’entreprise de Jeff Bezos a également fait disparaître les croix
gammées d’un livre (The Man in the High Castle: Creating the
AMAZON MET
LES NAZIS À L’INDEX.
Texte Corine LESNES
Alt World) racontant la réalisation de la série qu’elle produit et
diffuse sur sa plateforme Prime. Cette fiction, sortie en 2015
et adaptée d’un roman de Philip K. Dick publié en 1962, se
déroule dans un monde où un Troisième Reich victorieux
aurait partagé le territoire des États-Unis avec son allié japo-
nais, installé le national- socialisme en Amérique, et déployé
des svastikas en plein Times Square. Au moment du lance-
ment, la campagne publicitaire – des croix gammées dans le
subway new-yorkais – avait fait scandale. La production avait
dû retirer les affiches.
Quatre ans plus tard, la défense du free speech (liberté d’ex-
pression) a laissé place à la prise de conscience des responsa-
bilités des plateformes et surtout du poids des réseaux
sociaux dans le discours public. Après la quatrième et dernière
saison, en novembre, l’équipe de The Man in the High Castle a
pris soin de détruire tous les accessoires utilisés. Les svastikas
ont été découpés au cutter et brûlés, a révélé en novembre sur
son compte Twitter l’actrice de la série Chelah Horsdal qui
joue l’épouse – infidèle – d’un SS américain.
Amazon n’est pas toujours aussi sourcilleuse. En
juillet 2018, deux associations américaines, l’Ac-
tion Center on Race and the Economy et le
Partnership for Working Families, avaient
dénoncé la mise sur le marché de produits à
connotation nazie, raciste ou suprémaciste. Outre
les livres, leur rapport (Delivering Hate) faisait la
liste d’objets disparates disponibles sur la plate-
forme : bijoux en forme de croix gammée, cas-
quettes, porte-clefs... pas seulement nazis mais
sur toute la gamme de la haine. Exemple : un body
pour bébé décoré de croix en flammes, symbo-
lique attachée au Ku Klux Klan. Amazon facilite-
rait « la célébration d’idéologies qui encouragent
la haine et la violence », accusait le rapport.
Dans la foulée, un parlementaire démocrate
du Minnesota, Keith Ellison, avait écrit à Jeff
Bezos pour protester contre le fait qu’une demi-
douzaine de groupuscules identifiés comme hate
groups par le Southern Poverty Law Center (SPLC), qui fait
autorité dans la surveillance des suprémacistes, soient tou-
jours en mesure de diffuser leurs produits sur Amazon et que
la plateforme en profite financièrement (à concurrence de
40 %, selon le rapport). Immédiatement, la direction du géant
de Seattle avait retiré les contenus litigieux et réitéré sa poli-
tique : « Rien qui encourage ou glorifie la haine, la violence, l’in-
tolérance ou l’exploitation d’un groupe ou d’individus selon des
critères basés sur les caractéristiques protégées suivantes : la
race, l’origine ethnique, le sexe, l’orientation sexuelle, la reli-
gion ou le handicap. »
Mais avec un tel volume d’articles échangés tous les jours,
il est difficile pour la compagnie de Jeff Bezos de tout contrô-
ler. Au moment de l’épidémie de rougeole, en 2019, Amazon a
aussi retiré du catalogue vidéos trois documentaires complo-
tistes sur la vaccination, dont le film à succès Va x xed. Là aussi,
c’est un élu, le représentant démocrate de Californie Adam
Schiff, qui s’était ému de voir des contenus posant « un risque
direct pour la santé publique » accessibles tant sur Amazon
que sur YouTube. La plateforme vidéo, considérée comme
l’épicentre des contenus à caractère offensif, a répondu qu’elle
arrêterait non pas de diffuser les théories complotistes mais
de verser des revenus publicitaires à ceux qui incitent à la
méfiance antivaccins.
La plateforme de commerce en ligne vient de retirer
de son site plusieurs œuvres dont le contenu incite
à l’intolérance ou à la violence. Et même retouché
une de ses productions. Mais son immense marché
en ligne laisse encore de la place à la haine.
Image tirée de
The Man in the
High Castle,
produit par
Amazon.
Dans un livre
racontant la
réalisation de la
série, les croix
gammées ont
été effacées...
LA SEMAINE
Prod DB/Amazon Studios/Electric Shepherd Productions/Scott Free Productions