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33Lucas se rendit compte que son discours d’ethnologue commen-
çait à lasser l’auditoire. Il écourta :— Bref! On l’a dit, le mouvement de protestation s’essouffle. Je
dois reconnaître en tant que journaliste d’investigation que c’est le
premier dossier que je vois aussi rigoureusement verrouillé. Dans
ce type d’enquête, on arrive toujours à dénicher un témoignage qui
peut faire basculer le château de cartes. Là, pas une faille! Pas un
haut fonctionnaire frustré en mal de confidences! Personne avec un
problème de conscience!
Je suis désolé mais je pense que nous devons admettre que notre
tentative de changer le cours des choses a échoué.Ces propos jetèrent un froid glacial sur l’assistance. Alain n’était
pas surpris quoique très désappointé. Les réactions des étudiants
l’avaient pourtant rasséréné, mais il fallait croire qu’il s’était trompé.
Plus personne n’avait de suggestion. Le débat était clos dans la
tristesse et la rage. On sentait bien que c’était le début d’une fin. Les
conversations prirent la suite... « Et la nave va... »Alain, un verre à la main près du buffet, regardait l’assistance. Ils
leur savaient gré de l’avoir suivi. Ce n’était pas évident
au départ. Mais dans le fond, combien avaient vraiment pris des
risques personnels dans cette histoire? Aucun! Ils soutenaient une
cause noble mais aucun d’entre eux ne s’était affiché à la télévision
ou n’avait écrit dans un journal de grande diffusion.
Finalement, il avait été le seul à « aller au charbon », avec Lucas
qui de son côté avait participé à quelques émissions en Belgique
après la parution de ses premiers articles.Le Cohadec s’approcha— Que vas-tu faire maintenant? Tu vas abandonner le combat?Quelqu’un évoqua Internet :
— Et du côté de la toile? Comment les choses évoluent?Kuiper, qui était resté silencieux jusque-là, se manifesta :
— Je surveille l’évolution internationale depuis des semaines : Les
réseaux sont encore très actifs sur ce thème, surtout en Allemagne, et
en Suisse. Internet reste un espace d’échanges mais comme tous les
internautes savent que c’est surveillé, une autocensure prudente s’est
instaurée et rien de vraiment subversif ne peut en venir.
Dans les pays nordiques, quelques organes de presse continuent
de faire pression sur les gouvernants pour connaître la vérité. Les
pouvoirs de ces pays opposent depuis le début une fin de non-recevoir
malgré quelques réactions de leurs populations sous forme de
manifestations durement réprimées en juin. En Belgique, comme ici
en France, la réponse officielle est un mur de silence.
Du côté Russe ça ne bouge pas beaucoup. En Asie, la presse
chinoise a peu relayé l’affaire. Seuls quelques journaux ont commenté
une « controverse scientifique » en Europe, sans plus. Certes, les
réseaux sociaux fonctionnent mais la population reste indifférente.
Les chinois, dont la notion d’individu n’a rien à voir avec la
mentalité occidentale, sont habitués à la mise sous surveillance des
comportements par vidéo et intelligence artificielle. Toute personne
dont les propos ou les actions sont considérés comme « susceptible
d’altérer l’équilibre de la société » est repérée. Elle perd son emploi,
son accès aux remboursements des soins et aux aides sociales et ses
enfants ne peuvent plus entrer dans les écoles ou les universités.Donc il est tout à fait naturel pour les habitants de Pékin ou Shang-Haï
de réguler a démographie par ces moyens.