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33— Bien sûr Claudine mais nous assistons, que tu le veuilles ou
non, à une sorte de standardisation des comportements qui tend à
faire disparaître les individus « hors normes », je suis bien placée
pour le dire avec Cédric. Pourtant, ce sont ceux et celles comme mon
fils qui nous obligent à ne pas se fier à des certitudes trompeuses.
Garder à l’esprit que « l’anomalie » est toujours possible, même de
la part de la nature, me paraît essentiel. Vouloir gommer toutes les
failles, c’est une erreur majeure. Je te parle en mère et en biologiste.Alain revint dans la conversation avant son ami :— C’est malheureusement une tendance irréversible. Je lisais
récemment un article sur les réseaux neuronaux. Ils « raisonnent »
en dehors de contextes émotionnels, moraux ou instinctifs. Leur
utilisation généralisée nous amène inéluctablement à formater nos
modes de penser.
Il y a tout de même, je dirais heureusement, une ombre au tableau :
Les arbitrages réalisés par ces structures informatiques sont tellement
complexes qu’ils sont impossibles à justifier. C’est-à-dire que l’on
est incapable de retrouver « le chemin conditionnel et conclusif »
qui a abouti à la réponse. Contrairement à un algorithme codé par
un chercheur, cette approche rend le fonctionnement du Deep-
Learning complètement opaque. Un développeur ne peut pas voir
comment l’ordinateur a abouti à la réponse. Et je ne vous parle pas
des problèmes juridiques, suite, par exemple, à un traitement médical
erroné basé sur les résultats de ce type de réseaux.Philippe avait littéralement « terminé » son assiette, essuyant
jusqu’à la dernière trace de foie gras avec du pain. Il n’avait rien
perdu de ce que venait de dire son « frère » :— Vous, les médecins, vous prétendez toujours avoir droit à
l’erreur! Pourquoi les ordinateurs n’y auraient pas droit non plus?— Tu as peut-être raison. Je pense que ça vient de l’éducation.
Aucune génération ne connaît les mêmes programmes scolaires!
Chaque ministre de l’enseignement laisse son nom à une réforme
comme un chat qui pisse pour marquer son territoire. Et chaque fois
le niveau général baisse. On dirait qu’ils le font exprès!Suzanne pensait avoir une explication :
— Ces « réformes » sont conçues pour que « l’apprenant » soit
adapté au « marché » du travail! Je ne suis pas tout à fait d’accord
avec Al. Il y en a qui ont de l’envergure, mais c’est pour mieux
dominer les autres.— C’est vrai, on voit vite les jeunes loups dans le secteur bancaire.
Ils veulent en quelques années tout maîtriser. Jusqu’à quarante ans ils
croient qu’ils gèrent leurs vies en fonction de ce qu’ils ont décidé
mais en fait ils ne maîtrisent rien. La vérité est qu’ils sont conduits
sur un chemin prévu et aucune de leurs propres volontés n’y changent
rien. J’y suis passé et ce n’est qu’en prenant de l’âge que l’on s’en
rend compte.Alain se détendait un peu :
— Tu vois mon Phi-Phi. C’est pour ça que je t’aime. De temps en
temps, tu as de la lucidité! Pas celle du banquier! Celle de l’homme!Le garçon amenait les entrées : Un succulent foie gras, ce qui
réduit immédiatement au silence les deux compères pendant que
leurs femmes continuaient leur dialogue :— Je persiste à penser qu’il y a des individus qui sont conscients
du conditionnement mais ils ne peuvent tout simplement rien faire
contre.