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33en face, avait disparu. Les passants se pressaient. Il était presque
22 heures. Beaucoup rentraient chez eux. L’époque ne permettait plus
de flâner dans les rues pour profiter des soirées de la belle saison. Il
commençait à faire chaud dans le restaurant mal ventilé.
L’incontournable verre de Bordeaux lui montait à la tête et
accentuait les bouffées de sommeil qu’il sentait par moments. Sa
parole devenait moins claire mais il continua alors qu’on leur amenait
le café :— Réfléchis! Une bombinette électromagnétique et pfuit !! Plus
d’électricité 500 km à la ronde !! Plus de lumière, plus d’archives,
plus d’identité, retour à la bougie!Philippe, qui était plutôt de nature optimiste, ne partageait pas
l’analyse de son ami et commençait à le trouver un peu lassant. La
nuit s’était installée, et il pensait à rentrer.— Tu devrais aller te reposer. Je vais retourner chez moi, nous
reparlerons de tout ça un autre jour, tu veux bien? C’est moi qui
t’invite ce soir.Il se leva et malgré les dénégations de son ami, régla avec son
mobile sur le terminal placé à cet effet au comptoir.Ils partirent chacun de leur côté après une affectueuse accolade
qu’Alain, comme à chaque fois, trouvait trop démonstrative en public.tension artérielle, de leur rythme cardiaque et de leur glycémie,
inscrits sur fond de ciel bleu! Ils n’entendent plus les oiseaux! Leur
cerveau est coupé en tranche par la musique « techno » qui rythme la
foulée! C’est ça l’homme du XXIe siècle, des êtres formatés? Chaplin
avait déjà tout compris dans Les temps modernes!— « Tu ne changeras jamais mon ami » réagit Philippe. Ce que tu
peux être intransigeant! Naïf et intransigeant! Déjà quand on avait 20
ans, rappelle-toi nos discussions, je te reprochais d’être trop absolu! Ils
peuvent aussi écouter du Brahms en courant! Qu’est-ce que tu en sais?
Nos parents aussi s’entraînaient avec des écouteurs sur les oreilles !!— Oui mais leur vie n’était encore « matricée » comme la nôtre
aujourd’hui!— C’était au tour de Philippe de ne pas comprendre : « matricée »?— Oui « matricée » insista Alain : Nous n’avons presque plus de
monnaie papier, les chéquiers ont été supprimés. Tous les paiements se
font par les cartes bancaires et les mobiles dont la fonction téléphone
n’est que secondaire. Tu es tracé : Tes déplacements, tes dépenses,
tes préférences culturelles. Tout se fait par Internet. Ta vie est dans
le « Cloud » gérée par la toile. Ta compta, tes archives perso, tes
photos flottent dans un monde numérique impalpable. La réalité est
que nous sommes dans le « cloud » !!! c’est-à-dire « où »? Dans « le
nuage », entre deux satellites et des gros ordinateurs dont tu ne sais
rien, absolument rien!— Tu peux encore garder tes photos dans ton ordi perso et tu as
toujours ta collection de disques vinyles et tes CD chez toi.Alain apercevait le soir déclinant sur le boulevard Montmartre.
Il y avait longtemps que la queue à l’entrée du musée Grévin, juste