Dossier Apoptose

(Vadim Doro1J7ucA) #1

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Elle leur coupa la parole pour continuer :
— Le couple consacre les deux tiers du temps à générer des
revenus pour une incessante course au bien-être matériel. Pas de
poses pour parler ensemble. Les Week-End? On se dépêche d’aller à
la mer, au ski, on revient vite le dimanche soir. Le suivi des devoirs
scolaires des enfants, pas le temps. Les plus aisés leur payent des
leçons particulières et se déchargent de leurs fonctions éducatives
avec bonne conscience. Moi, je dis : il faut choisir. L’argent ou
d’autres valeurs : l’éducation, la culture, le débat.

Alain voyait la société différemment :
— Il y a longtemps que la cellule familiale au sens traditionnel
n’existe plus. Avant l’ère informatique, les parents accompagnaient
leurs enfants dans l’apprentissage du monde. Ils débattaient de tout
avec leurs ados, leurs personnalités se confrontaient, les caractères
se formaient. Maintenant, ce sont les copains, les réseaux sociaux,
Internet, les radios pour ado, la télé qui forment nos jeunes. C’est
plus important pour les gamins d’avoir 300 « amis » connectés
qu’un seul comme nous étions à leur âge, Phi-Phi et moi. En fait
c’est la société qui « éduque » et formate! L’individu devient l’objet
au service du système « actant ». Autrefois, c’étaient l’inverse : les
individus, sujets actifs façonnaient la société objet.

— Je ne suis pas d’accord avec toi dit Philippe entre deux bouchées.
Nous avons bien réussi à éduquer les nôtres, sans télévision!

— Oui, mais ils ont 24 et 27 ans. Je parle des ados d’aujourd’hui.
— Bah! Tu es toujours aussi pessimiste, tu ne changeras jamais!
Claudine à raison! Si on le veut on peut s’organiser.

— Vous avez réussi parce que tu gagnes bien ta vie et que ta
femme pouvait travailler à mi-temps mais pense aux couples qui
bossent tous les deux toute la semaine!

Alain se régalait également mais il était d’un naturel plus réservé.
Pendant que ses amis savouraient, il balayait du regard la salle
dont les murs blancs étaient décorés de filets à crevettes, rames et
autres éléments maritimes dont un énorme Lambi, coquillage des
mers chaudes peut-être en rapport avec les anciennes navigations
du patron.

Depuis l’endroit où il était, Alain apercevait le port à sec. La mer
s’était retirée, abandonnant à la terre les bateaux englués, immobiles,
comme si on leur avait ôté la vie. Dans six heures elle reviendrait
et les ferait danser à nouveau. Chaque retour de marée était une
renaissance.

Les riverains vivaient, respiraient, avec la mer. Les pécheurs,
les ostréiculteurs, suivaient son rythme lunaire. Elle façonnait les
hommes de ce pays. Tous imprégnés par les éléments, ils savaient
au profond d’eux-mêmes que la vérité est dans l’harmonie avec
l’univers. Alain, dont toute l’énergie était consacrée à travailler sur
la vie microscopique, jusqu’aux nano-molécules, ressentait cela
Intensément : Infime et infini se rejoignent, la nature est un tout.

Vouloir toucher à l’horloge interne de l’être humain pour changer
l’ordre des choses est une folie! pensait-il, insensible au brouhaha de
la salle.

Ses pensées l’avaient totalement extrait de la conversation. Il fut
surpris par la question.

— Et toi, Alain, qu’est-ce que tu en penses?
— Euh... Ce que je pense de quoi?
— Du travail des femmes!
— Du travail des femmes?
— Oui, Claudine pense qu’il n’y a plus de foyer familial.
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