Dossier Apoptose

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Au fond de lui il savait pourtant que pour briser le silence, il

fallait passer par les médias. Rien qu’y penser provoquait en lui une

contraction de tous ses muscles. Il sentait son corps se crisper dans

un frisson glacial. Il ne se sentait pas assez solide pour affronter ce

monde de mensonges et d’hypocrisie. Lorsqu’on vit dans la vérité,

on n’a pas les armes qu’il faut pour contrer la mauvaise foi, surtout si

c’est organisé par une oligarchie puissante.

Suzanne insistait :

— Il te l’a dit : tu ne seras pas seul. Il a l’air d’avoir pas mal

« d’entre-gens » ce journaliste. Il n’est pas n’importe qui! Certains

de ses livres ont fait du bruit! Il a dénoncé bien des scandales et il a

gagné tous les procès faits contre lui.

— Si j’accepte, je serai sur le devant de la scène, seul. Les médias

vont m’assaillir sans répit!

Elle cessa d’argumenter. Il était inutile d’insister. Après tout, ce

n’était pas elle qui irait devant les micros. Elle comprenait sa réticence

et ce qu’il disait était juste. Mais elle aurait voulu lui communiquer

la rancœur et la rage qu’elle ressentait contre les forces perverses qui

étaient en train de bouleverser leurs vies et bientôt celles de millions

de personnes.

Ils étaient silencieux depuis plusieurs minutes lorsqu’un bruit de

pas et l’odeur de cigarette devancèrent le retour de Kuiper. Celui-ci

se rassit dans son fauteuil. Il dégageait des émanations de vieux

papier, de tabac et d’encre à stylos. Son regard vif se planta dans

celui d’Alain.

— Alors, Professeur?

baignaient la pièce. Tout paraissait mort. Les livres, les objets, les

vieux périodiques, même les trois personnages immobiles semblaient

figés dans un arrêt du temps. Comme si la pièce et tout ce qu’elle

contenait était accablée par ce qu’elle venait d’entendre.

L’écrivain rompit la pause :

— Docteur, vous voici au moment du choix! Vous êtes maintenant

au courant de ce qui se trame. Vous pouvez laisser tomber, vous recaser

ailleurs pour continuer votre carrière en oubliant tout ça, si vous le

pouvez. Je comprendrai! Mais sachez que sans vous, l’action que

nous allons mener, car nous allons la déclencher, risque d’être

vaine. Par contre si vous nous appuyez, cela peut être déterminant

dans le rapport de force qui nous attend. Je vous laisse réfléchir, je

vais fumer une cigarette dehors, je sais que vous n’êtes pas fumeur.

Ce fut Suzanne qui brisa le silence.

— Chéri, il faut se décider maintenant. Il a raison. Tu galères

depuis des mois. Il faut se rendre à l’évidence, c’est terminé pour toi

en France, ta seule chance de retrouver un poste intéressant, c’est à

l’étranger.

— Oui, Suzy, mais si je m’aventure dans cette bagarre, je n’ai plus

aucun espoir de pouvoir reprendre mes travaux. Aucun organisme ne

me prendra. Tu connais le milieu! Je serai « grillé »!

— Pas forcément! Quelques centres voudront récupérer ton

expérience.

— Tu ne te rends pas compte! Tu l’as entendu! La presse, la télé!

ils vont me laminer!