Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

10 u Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020


plusieurs centaines de morts comme à
Brescia, malgré un système de santé qui est
bon. «Nous vivons un moment étrange.»

«Désert». A Turin, Barbara Micheloni ac-
quiesce. Cette consultante indépendante pour
le ministère du Travail évoque «l’anxiété» qui
a saisi la capitale du Piémont dimanche, après
l’instauration du confinement par le chef du
gouvernement Giuseppe Conte. «En l’espace
de vingt-quatre heures, les bars, les restos se
sont fermés. Maintenant, c’est le vide, le désert.
La police veille. On peut sortir dans les rues au-
tour de chez nous, mais sinon, pour aller plus
loin, il faut un laissez-passer. Il n’y a plus de
contact, ce n’est pas simple pour nous.» Quand
Barbara fait ses courses, elle respecte le mètre
de distance avec les autres clients et les ven-
deurs. «Il y a la peur d’être porteur du virus
sans le savoir. Et cette inquiétude de ne pas
prendre assez de précaution. Parfois, je crois
déceler des symptômes, avoir des difficultés de
respiration. Puis je ris, car il est plus probable
que je meure du smog à Turin.»
Le matin, elle descend faire quelques pas
dans la cour de l’immeuble avec sa mère âgée
de 83 ans. L’après-midi, c’est au tour de son
voisin d’occuper l’espace fermé pour une par-
tie de football avec sa fille. Nul ne sait quand
cette «curieuse vie» prendra fin.
ARNAUD VAULERIN

courses, j’ai vu des rues vides. Dorénavant, on
croise une majorité d’habitants avec des mas-
ques. On sait qu’on prend des risques en sor-
tant. Le confinement est la démarche à suivre.
On aurait dû commencer plus tôt.»
Seuls les pharmacies, les marchands de jour-
naux et les magasins et marchés alimentaires
sont ouverts. Les gens s’approvisionnent
sur Internet, mais il faut compter au moins
deux à trois semaines pour récupérer les
aliments. Quand il n’y a pas classe en ligne,
les deux filles de Francesca et Roberto jouent,
préparent des tortellinis. «On lit plus, on dé-
couvre des CD que l’on n’avait jamais eu le
temps d’écouter. On mange plus. On va peut-
être tous finir obèse, dit Francesca. Ce climat
surprend, il y a de l’inquiétude, mais ce n’est
pas pesant pour nous.»
Bologne ne compte que 100 cas positifs pour
une population de 400 000 habitants. Rien
à voir avec la situation dramatique en
Lombardie où la contamination explose, avec

gnante, se prépare à faire cours à ses élèves
via les applications G Suite et Edmodo.
«Nous sommes à la maison depuis trois semai-
nes, raconte Francesca Bernardi au téléphone.
Pour l’instant ça tient. On ne sera peut-être
pas atteints par le coronavirus, mais on risque
de s’entretuer», dédramatise l’enseignante.
Vendredi matin, la famille se préparait égale-
ment à une répétition générale avant le hap-
pening de 18 heures. Les Italiens devaient ou-
vrir leur fenêtre pour jouer d’un instrument.
Chez les Bernardi-Valacca, ce fut piano et gui-
tare. Un moyen de braver l’enfermement le
jour où plusieurs villes de la péninsule ont
bouclé parcs et jardins publics.

Zone rouge. A part Roberto, qui travaille
trois jours par semaine au bureau, le reste de
la famille vit à la maison. Depuis lundi, tout
le pays est en zone rouge. «Quand tu vas cou-
rir, la police t’arrête et te demande de rentrer
chez toi. Les rares fois où je suis sortie faire des

L’


appartement est devenu une ruche.
A chacun son espace. A l’heure du
confinement généralisé en Italie,
Francesca, Roberto, Lucia et Maria se sont ré-
parti les pièces dans leur appartement de
Bologne, en Emilie-Romagne. Le père, ingé-
nieur en mécanique, parle moteur et essence
au téléphone depuis son atelier de fortune
installé dans la cuisine. L’une des deux filles
révise son anglais dans sa chambre, l’autre
tente une expérience de microbiologie dans
le salon quand Francesca, la mère ensei-

L


e Royaume-Uni fait cava-
lier seul. A l’inverse de
l’immense majorité des
pays, le gou vernement britanni-
que a décidé de ne pas instaurer
de mesures drastiques de confi-
nement. Pas de fermetures d’éco-
les ou d’univer sités, d’interdic-
tions de rassemblements de
masse (sauf en Ecosse). Vendredi
encore, quelque 75 000 visiteurs
se sont rués au Cheltenham Festi-
val, l’un des événements les plus
courus de la saison hippique au
Royaume-Uni.

Rebond. La stratégie observée,
que de plus en plus qualifient
aussi de «pari dangereux», est de
viser la «herd immunity», l’immu-
nité collective. Le principe est, en
apparence, simple. En étant vac-
ciné ou en tombant malade, puis
en guérissant, les gens dévelop-
pent une immunité qui bloque la
propagation du virus, protège les
plus vulné rables et empêche une
épidémie. Patrick Vallance, con-
seiller scientifique pour l’Angle-
terre, a expliqué qu’il faudrait
que 60 % de la population britan-
nique soit atteinte par le Covid-

pour développer une telle immu-
nité. «Ce que nous ne souhaitons
pas, c’est arriver à ce que tout le
monde l’attrape au même moment
et que les services du National
Health Service (NHS) soient dé-
bordés et ne puissent pas répondre
à l’urgence. C’est ce que nous appe-
lons l’aplatissement de la courbe»,
de l’épidémie, a-t-il expliqué dans
une série d’interviews vendredi
matin. Il justifie en parallèle l’ab-
sence de mesures restrictives par
le risque d’un éventuel rebond de
la maladie. «Si vous supprimez
très fortement quelque chose,
quand vous relâchez ces mesures,
le risque est de subir un rebond, au
mauvais moment», a-t-il expliqué.
Le service de santé pub lique bri-
tannique est déjà sous très forte
pression et le taux de lits en soins
intensifs par habitants est l’un des
plus bas d’Europe. Il y en a envi-
ron 4 000, dont les quatre cin-
quièmes sont occupés.
L’approche du gouvernement de
Boris Johnson est pourtant de
plus en plus critiquée, par les
scienti fiques, les médecins ou en-
core l’ancien ministre de la Santé
Jeremy Hunt. Notamment parce
que ce virus est nouveau, que
l’épidémie est déjà largement dé-
clarée et que les pays qui sem-
blent avoir réussi à la freiner ou la
bloquer, comme la Corée du Sud,
y sont parvenus grâce à des me-
sures très rigoureuses. Pour le
moment, le gouvernement re-

commande uniquement aux per-
sonnes âgées et à risque d’éviter
les déplacements et à quiconque
présentant des signes de refroi-
dissement ou une toux de se con-
finer pendant sept jours. En gros,
comme souvent au Royaume-
Uni, les décisions sont laissées
entre les mains de l’individu et
l’Etat reste en retrait. De plus en
plus de mesures individuelles
sont effectivement prises. Tous
les matchs de football ont ainsi
été suspendus par les autorités
sportives, de plus en plus de mai-
sons de retraite ont interdit les vi-
sites et l’Ecosse a interdit les ras-
semblements de masse.

«Hystérie». En juillet 2007,
quelques mois avant d’être élu
maire de Londres, Boris Johnson
avait confié que son héros était le
maire Larry Vaughn dans les
Dents de la mer de Steven Spiel-
berg, celui qui refuse de suivre
les consignes de la police et garde
la plage ouverte pour protéger la
saison touristique. «Un poisson
gigantesque dévore tous ses admi-
nistrés et il décide de garder la
plage ouverte. OK, dans ce cas
précis, il avait tort, mais en théo-
rie, il avait héroïquement raison
de ne pas céder à l’hystérie», avait
dit Boris Johnson à un parterre
d’hommes d’affaires.
SONIA DELESALLE-
STOLPER
Correspondante à Londres

Londres mise sur
le développement
massif de résistances
immunitaires
dans la population.
Un choix risqué.

Au Royaume-Uni,


la roulette russe de


«l’immunité collective»


ÉVÉNEMENT


En Italie, la difficile adaptation


au confinement


Cours en ligne, lecture,
cuisine... Malgré l’anxiété,
les habitants de la
péninsule prennent leur mal
en patience, conscients
des risques encourus à ne pas
suivre les directives.

MONDE

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