Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

4 u Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020


nos patients fragiles, par exemple en
Ehpad.» SOS Médecins Grenoble a
décidé de mettre en place, dans l’ur-
gence, un système basique de télé-
médecine pour les patients présen-
tant des symptômes grippaux.

Nice
«Si on n’est pas là,
le CHU ne tourne pas»
Ce vendredi à la cafétéria du CHU
de Nice, Sofia, aide-soignante, a
beau se creuser la tête, elle ne
trouve pas de mode de garde pour
ses enfants. Lundi, leur école sera
fermée : «Ils étaient les seuls à être
contents. A 11 et 16 ans, je peux les
laisser seuls un jour ou deux. Pas da-
vantage.» Pas question qu’ils soient
livrés à eux-mêmes pendant plu-
sieurs semaines. Leur père réside
loin. Les grands-parents sont ab-
sents. Sofia ne peut compter que sur
elle-même. Dilemme, elle ne veut
pas stopper le travail : «C’est un cas
de conscience. Si on n’est pas là,
le CHU ne tourne pas. Dans ces cir-
constances, on se doit d’être pré-
sents.»
Pour que ces «cas de conscience» ne
durent pas, le ministre de l’Educa-
tion a annoncé l’instauration d’un
service minimum d’accueil pour les
enfants des personnels soignants. A
Nice, la crèche du CHU restera ou-
verte. En attendant l’application des
mesures, les idées fusent à l’heure
du café. Radiologue, lectrice d’ima-
ges, Barbara envisage le télétravail.
Sa collègue Catherine verrait bien
les étudiants, les futurs professeurs
et même son «mari de plus de 65 ans
à la retraite» jouer les baby-sitters.
Pour détendre l’ambiance, Rachid,
assistant médical, propose de «ven-
dre les enfants sur Vinted». La der-

«Depuis une semaine, l’inquiétude
monte grandement», témoigne
pourtant René-Pierre Jullien-Palle-
tier, de SOS Médecins Grenoble, aux
premières loges comme ses 21 collè-
gues qui multiplient les «consulta-
tions induites : derrière un symp-
tôme bénin, le motif est souvent de se
rassurer sur le coronavirus».
Parmi les grippés, dont le nombre
est heureusement en baisse, le gé-
néraliste décrit une «absence de pa-
nique» : «Pour eux, le coronavirus
reste une maladie d’importation.» Il
a saisi le 15 à cinq reprises : «A cha-
que fois, l’infectiologue a décidé de ne
pas tester le patient : les tests, oné-
reux et rares, sont réservés à ceux qui
cochent toutes les cases : toux, fièvre,
contact avéré avec un cas de Covid-
ou retour d’une zone d’épidémie.» Il
s’interroge : «Nous sommes censés
contenir l’épidémie mais on ne prend
pas en compte les séjours dans les
zones comme l’Oise, Mulhouse ou la
Haute-Savoie.» Il s’avoue aussi «dé-
muni sur le plan clinique pour le
diagnostic. Nous n’avons pas grand-
chose pour différencier le corona -
virus d’une grippe classique». Et
SOS Médecins Grenoble manque de
matériel : «Chaque praticien a droit
à une boîte de masques, mais nous
n’en trouvons plus.».
Lui avait un stock de masques hau-
te-sécurité, mais il les économise :
«J’en utilise un, en plus des gants et
des lunettes, à chaque visite à domi-
cile sur symptômes grippaux, mais
en consultation au siège, je garde
plusieurs heures le même, sans le
toucher ni boire donc. C’est inconfor-
table mais ces masques sont pré-
cieux...» Il confesse un certain
stress : «Nous avons peur d’être vec-
teurs pour nos proches, comme pour

pertes et la morosité, les commer-
çants de la commune ont lancé il y
a une dizaine de jours une opération
de com dans la presse locale (et une
petite vidéo sur les réseaux) avec ce
slogan, inscrit sur des cartons tenus
par des élèves désœuvrés : «Le bon-
heur aussi est contagieux.» Le but :
«Montrer qu’il n’y a pas plus de ris-
ques à venir consommer dans le
cœur de ville que d’aller dans les cen-
tres commerciaux», explique Yves
Le Moing, coordinateur de l’associa-
tion des commerçants d’Auray.
A Brec’h, autre commune du clus-
ter, la maison de retraite La Sagesse,
qui compte 64 résidents âgés de 66
à 104 ans, a dû revoir tout son fonc-
tionnement. Et compenser tant bien
que mal la suspension des visites et
des ateliers pour combattre l’en-
nemi principal : l’oisiveté des pen-
sionnaires. «Alors que nous sommes
d’ordinaire très ouverts sur l’exté-
rieur, nous avons dû annuler toutes
les animations, indique Prisca Mo-
reau, la directrice. Mais le plus an-
xiogène pour les résidents, c’est de ne
plus avoir de visites, surtout pour les
couples dont l’un des conjoints est
resté à son domicile. Et aussi d’être
confrontés aux informations des
chaînes d’infos.» Pour tromper l’en-
nui, quiz musical ou confection de
crêpes ont pris le relais, tandis
qu’une partie des résidents a pris en
charge la préparation des repas.

Grenoble
«Je suis démuni
pour le diagnostic»
Changement de cap. Plongée dans
l’Isère, avec 16 personnes infectées
par le Covid-19 jeudi, chiffre en ac-
célération très nette : 12 nouveaux
cas ont été confirmés en 48 heures.

Lamorlaye... Même pas de grappes
d’ados qui glandent sur le parking
du Lidl. Confinés quoi. Les copains
et la famille de l’extérieur du cluster
téléphonent ou envoient des mails :
«Ça va? T’as besoin de rien ?» Dans
une des grandes surfaces de la ville,
une caissière n’en revient pas du
peu de clients un jour de semaine :
«Les gens ont fait d’énormes chariots
lundi matin : des pâtes, du riz, des
œufs. Parfois jusqu’à 1 000 euros»,
raconte la jeune femme, contente
d’avoir ses légumes de son potager
mais impatiente d’avoir des
poules. Pendant ce confinement qui
s’étire, certains commencent
à s’énerver grave sur les réseaux so-
ciaux au sujet de l’ «Oise-bashing»,
en criant : «On n’est pas des lépreux.»
Comme le résume l’une des phar-
maciennes de la ville : «C’est bien
plombant tout ça.»

Auray, Morbihan
«Le bonheur aussi
est contagieux»
Autre cluster, celui d’Auray, qui re-
groupe une dizaine de communes et
recense une cinquantaine de cas
d’infections. Même désolation de-
puis le 2 mars : écoles et services pu-
blics fermés, réunions publiques,
activités sportives et culturelles an-
nulées, rues quasi-désertes, vie au
ralenti. A la mairie de Crac’h, après
une semaine de confinement à leur
domicile, les agents ont cependant
retrouvé la semaine dernière leurs
bureaux pour préparer le premier
tour des municipales (lire page 3) :
«Il a fallu prévoir un point d’eau
à proximité des trois bureaux de vote
pour que les électeurs se lavent les
mains à l’entrée et à la sortie, répar-
tir ces bureaux pour respecter les
distances prévues par la directive
ministérielle, dessiner des marqua-
ges et des cheminements au sol pour
éviter que les gens se croisent et limi-
ter le nombre de tables de dépouille-
ment et de scrutateurs», détaille Clé-
mentine Bouvet, directrice générale
des services.
Dans le village, les commerçants
n’ont pas baissé le rideau. Au Bistrot
des halles, en plein cœur d’Auray,
Emilie Robin, 35 ans, avoue sa fati-
gue : «Moins on travaille, plus on ré-
fléchit , et nerveusement c’est dur. On
vit au jour le jour, dans le flou
complet. Ceux qui n’ont pas la télé
viennent au bar pour voir les infos.
Beaucoup de parents, restés à la
maison pour garder les enfants, n’en
peuvent plus et viennent aussi
prendre un café ou déjeuner. Pour
prendre l’air.» Pour endiguer les

Le 4 mars à l’hôpital d’Auray (Morbihan), qui a interdit les visites. PHOTO PQR. OUEST FRANCE. MAXPPP

ÉVÉNEMENT


En tout cas, pa-
rents ou pas, partout dans l’Hexa-
gone, les Français vivent désormais
à l’heure du Covid-19. Soumis aux
mêmes règles, moulinées en bou-
cle : ne pas se serrer la main, ne pas
s’embrasser, tousser dans son
coude... Partout, tous les jours, ils
encaissent une nouvelle dose de cas
de coronavirus et le nombre de
morts qui s’ensuit, l’œil rivé sur les
compteurs italiens. La vie freine
(surtout dans les clusters) et dans le
même temps s’emballe. Hôpitaux
sur le qui-vive, 15 débordé d’appels,
pharmacies dévalisées en solution
hydroalcoolique, razzias dans les
supermarchés... Angoisse? Pani-
que? Psychose? A chacun son rap-
port à la maladie. Mais le pays déjà
a muté. Tour d’un Hexagone sous le
coup d’une épidémie sévère.


Paris
«Comme si j’avais
la peste bubonique»
Alors que les rassemblements de
plus de 100 personnes sont désor-
mais interdits depuis l’annonce,
vendredi, du Premier ministre, Pa-
risiens et Franciliens continuent de
prendre les transports en commun.
Paradoxe? Oui, travail oblige. Le
Président l’a dit, pas question pour
l’heure de tout bloquer. Dans le mé-
tro, certains effleurent la barre en
inox du bout des doigts ; les plus té-
méraires l’empoignent encore allè-
grement. Sur leurs smartphones,
certains consultent les derniers
messages sanitaires de leur em-
ployeur sur l’épidémie. «Parfois, je
prends le RER B qui arrive directe-
ment de Roissy avec pas mal de gens
avec un masque. C’est surtout ça qui
me rappelle le coronavirus. En tout
cas, on n’oublie plus d’être propre en
ce moment»,
ironise Kerina, direc-
trice de crèche de 34 ans qui vit en
banlieue et qui multiplie les lavages
de main.
Arrêt à Châtelet, traversée – entre
autres – par la ligne 1 qui relie la Dé-
fense au bois de Vincennes et con-
voie 750 000 passagers par jour. Cer-
tains pensent déjà au stade 3 de
l’épidémie. «Ça fait presque deux se-
maines que je me prépare à rester
chez moi. Je m’habitue à ne plus voir
de gens et à télétravailler»,
explique
un homme sur le quai. Léa, commu-
nicante, est malade depuis une se-
maine mais continue de circuler :
«J’ai une bronchite. Hier, une femme
s’est assise sur le strapontin juste
à côté de moi. D’un coup, j’ai été prise
d’une quinte de toux. Elle a fait de-
mi-tour, comme si j’avais la peste bu-
bonique, et remonté son col roulé.»


Lamorlaye, Oise
«Ça va? T’as besoin
de rien ?»
Direction Lamorlaye, où l’on vit
avec le spectre d’une catastrophe
attendue ou redoutée. Etablisse-
ments scolaires déjà fermés, pas de
réunions, pas de ciné-club... Per-
sonne ne traîne en ville, on pratique
pas mal le drive et la vente en ligne.
Jacqueline, 75 ans, interdite de club
de belote, râle qu’elle n’ose plus sor-
tir bavasser avec les copines en ville.
Une amie qui devait aller enterrer
son beau-frère dans l’Essonne a dû
demander l’autorisation de venir de


Suite de la page 3


«Je vais


parfaitement bien!


Le plus difficile,


ça aura été de ne
pas sortir,

de ne rencontrer


personne... et de ne


pas faire un petit


tour de ski.»
Gérard Fromm maire-
candidat de Briançon

FRANCE

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