Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

42 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020


de la peau métaphysique du
langage», suivent donc les
«avancées» de Foucault, Levi-
nas, Blanchot, Barthes, La-
can, Derrida, Gérard Granel
et Michel Deguy, et, criti-
quant le «réalisme spéculatif»
de Quentin Meillassoux et la
«plasticité du cerveau» de Ca-
therine Malabou, montre
«combien la philosophie est
orientée par le transcendan-
tal» et quelles voies vers
l’«imagination et le rêve» elle
ouvre à l’écriture. R.M.

CLAUDE DEBRU,
FRÉDÉRIC-PIERRE ISOZ
POURQUOI CROYONS-
NOUS? Odile Jacob,
228 pp., 23,90 €.

Parfois, «ne douter de rien»
aboutit à une certaine pré-
somption, sinon une forme
d’arrogance. «Douter de tout»
ôte à la vie, même quoti-
dienne, la possibilité de faire
confiance à qui que ce soit,
et à quoi que ce soit. «Tout
croire» conduit tout droit au
trou de la crédulité, et «ne
rien croire du tout» à celui,
aussi noir, du scepticisme ra-
dical. C’est que les rapports
entre le savoir et l’opinion,
l’incertitude, le doute et la
croyance, la certitude et la
foi, sont bien complexes.
Pourquoi ne suffit-il pas de
savoir? Pourquoi a-t-on be-
soin de croire – que ce soit
dans le domaine gnoséologie
(je crois que), moral (je crois
en toi) ou religieux (je crois
en Dieu)? Plus précisément :
«pour quelles raisons le fait de
croire a-t-il une importance
dans le psychisme humain»?
Claude Debru, philosophe
émérite de philosophie des
sciences à l’Ecole normale
supérieure, et Frédéric-Pierre
Isoz, psychanalyste, conju-
guent ici leurs efforts pour
éclairer la question de la
croyance, que nul, évidem-
ment, ne peut ignorer ni «le
plus sceptique des sceptiques»
ni «le plus fort des esprits
forts». R.M.

cide. L’histoire de Jim et de
Roy, du père et de son fils,
partis sur une île sauvage de
l’Alaska pour un voyage li-
mite provenait de cet ensem-
ble. C’est du même sujet qu’il
est question dans ces textes
que résume parfaitement Da-
vid Vann : «Les nouvelles re-
flètent l’entremêlement con-
fus de ma culpabilité, de ma
colère et de ma honte face au
suicide de mon père quand
j’avais treize ans». Le talent
de l’écrivain américain tient
en un style d’une pureté étin-
celante et dans la volonté de
dévoiler à tout prix où se ca-
che la violence. F.Rl

PHILOSOPHIE


MARC GOLDSCHMIT
SOUS LA PEAU DU
LANGAGE. L’AVENIR DE LA
PENSÉE DE L’ÉCRITURE
Kimé, 194 pp., 20 €.
A paraître le 20 mars.

La philosophie s’est toujours
intéressée au langage, bien
avant que celui-ci fasse l’objet
d’une étude spécifique et que
s’invente, avec De Saussure,
Jakobson et d’autres, la lin-
guistique. Mais au XXe siècle,
on a pu parler de linguistic
turn ou courant linguistique
(expression inventée par
Gustave Bergmann et popu-
larisée dans le champ de la
philosophie analytique par
Richard Rorty), pour indi-
quer – en considérant l’im-
pact de la pensée de Wittgen-
stein – que presque tout
devait mesurer son «sens»
aux sens multiples que pro-
duisait l’élucidation du lan-
gage et de l’écriture : la vérité,
la liberté, l’existence, l’éthi-
que, l’art, la politique, etc. Di-
recteur de programme au
Collège international de phi-
losophie, Marc Goldschmit
retrace ici la manière «dont
certains penseurs les plus pro-
fonds et les plus puissants du
XXe siècle, ont été hantés par
la pensée de l’écriture, en deçà

RÉCITS


ANNIE ERNAUX
HÔTEL CASANOVA ET
AUTRES TEXTES BREFS
Folio, 98 pp., 2 €.

La passion sexuelle, la littéra-
ture et l’engagement, le pas-
sage d’un monde «dominé»
au monde «dominant», expé-
rience fondatrice pour Annie
Ernaux : on retrouve ses thè-
mes familiers dans cet en-
semble de textes rares, nou-
velles, récits, points de vue,
il y a aussi un hommage à
Pierre Bourdieu. Ils s’éche-
lonnent de 1984 à 2006, et
avaient été rassemblés pour
le volume «Quarto» (2011).
La distance rend encore plus
frappante la prégnance du
thème au cœur de l’œuvre :
le passage du temps. On s’en
rend compte à travers les sé-
jours dans les ex-pays com-
munistes, les visites à la mère
vieillissante, le portrait de
Jeanne Calment, ou au dé-
tour d’une lecture du Bel Eté :
«Il ne se passe presque jamais
rien dans les textes de Pavese,
que du temps.» «Histoires»
met en scène l’écrivain en-
fant et une petite fille auprès
de qui elle exerce son imagi-
nation afin de la terroriser.
Chute : «J’ai raconté cet épi-
sode de mes dix ans pour
comprendre un peu pourquoi
j’avais envie d’écrire, mais
cela ne fait jamais qu’une his-
toire de plus.» Cl.D.

NOUVELLES


DAVID VANN
LE BLEU AU-DELÀ
Traduit de l’américain par
Laura Derajinski. Gallmeister
«Totem», 176 pp., 7,90 €.

Il y a dix ans paraissait le
sombre et tragique Sukkwan
Island, prix Médicis étranger,
que réédite Gallmeister en
même temps que ce recueil
de nouvelles inédites intitulé
en anglais Legend of a Sui-

tous les malentendus qu’il a
suscités et fait au contraire
l’éloge de l’ambition «im-
mense» de son auteur, fau-
ché au combat le 22 septem-
bre 1914. Et dit, si beau et
si vrai que «la mer n’y est
nulle part, et pourtant sa ru-
meur s’entend secrètement
partout [...]. F.Rl

YISHAÏ SARID
LE MONSTRE
DE LA MÉMOIRE
Traduit de l’hébreu par
Laurence Sendrowicz.
Actes Sud, 160 pp., 18,50 €.

Voilà un texte fort, parfois à
la limite du soutenable mais
important. Pour gagner sa
vie, un historien israélien
devient spécialiste de la
Shoah, accompagnant des
groupes de lycéens dans
leurs visites des camps de la
mort organisées par Israël
dans le cadre de «voyages de
la mémoire». Les premiers
temps, il donne le meilleur
de lui-même, conscient de
porter une responsabilité,
narrant de façon précise et
clinique chaque étape de la
tragédie. Puis son ton se
raidit. Il se sent de plus en
plus seul, il doute de son uti-
lité face à des jeunes davan-
tage occupés par leurs jeux
vidéo que par le macabre
décompte des morts. Un
jour l’un d’eux lui assène
froidement : «Je pense que,
pour survivre, nous devons,
nous aussi, être un peu
des nazis. [...] Que si on est
trop gentil, on n’a aucune
chance.» L’homme réalise
alors que la banalisation de
l’horreur empêche de trans-
mettre le monstre de la mé-
moire, et il perd pied avec la
réalité. Avocat et écrivain
israélien, Yishaï Sarid avait
remporté en 2011 le grand
prix de Littérature policière
avec le formidable Poète
de Gaza. A.S.

térieur comme à l’extérieur
de leur modeste maison. La
peur ne les quitte pas, même
lorsqu’ils s’endorment. L’an-
goisse monte d’un cran lors-
qu’ils sont en voiture, dans la
Golf blanche du père : il ac-
célère en jouissant de la ter-
reur provoquée sur les siens
par la vitesse. Ce père est al-
lemand, il parle dans sa
langue natale, mais la plu-
part du temps, ne dit rien.
Muet comme une tombe,
le narrateur ne révèle cette
situation à personne. Une
avocate explique à sa mère,
qui souhaite divorcer, que
les violences conjugales et
la maltraitance sur enfants
sont très compliquées à
prouver lorsqu’il n’y a ni
coups de poing, ni côtes cas-
sées. Il faut du temps, et un
bon dossier. V.B.-L.

ALAIN-FOURNIER
LE GRAND MEAULNES
suivi de CHOIX
DE LETTRES,
DE DOCUMENTS
ET D’ESQUISSES
Edition établie
par Philippe Berthier.
La Pléiade, 640 pp., 42 €
jusqu’au 31 août.

Le Grand Meaulnes, unique
roman d’Alain-Fournier, en-
tre dans la Pléiade, avec un
appareil de lettres qui racon-
tent sa passion pour Yvonne
et la genèse du livre. L’occa-
sion de relire un texte ren-
voyé à l’adolescence et aux
premiers émois de la pu-
berté, tout en dégageant un
parfum nostalgique de salle
de classe IIIe République.
Célébré pour sa première
partie chimérique, il fut
souvent jugé moins bon
dans sa seconde, celle de
la chute. «En somme, le
Grand Meaulnes ne réussi-
rait pas à rendre captivant
ce qui par essence ne saurait
l’être : l’histoire d’une décep-
tion ou d’une déflation», écrit
Philippe Berthier, qui liste

ROMANS


ALEXANDRA
SCHWARTZBROD

LES LUMIÈRES DE TEL-AVIV
Rivages «noir», 286 pp., 20 €.


Dans un futur indéterminé,
«le Grand Israël» obsédé d’or-
thodoxie religieuse a chassé
les Palestiniens et fait al-
liance avec les Russes. Du
moins, à Jérusalem. A Tel-
Aviv, la résistance s’organise
dans le strict respect des
croyances de chacun. Le mur
élevé entre les deux villes
n’empêche pas les trans -
fuges. Deux adolescents pa-
lestiniens, un ultraorthodoxe
qui veut alerter sur un projet
de «drones tueurs», sa femme
qui ne supporte plus l’ab-
sence de liberté, et l’ex-com-
missaire Eli Bishara vivent en
alternance leurs aventures.
L’auteure, directrice-adjointe
de la rédaction de Libération,
clôt sa trilogie inspirée par
Israël. Cl.D.


CHARLES
SITZENSTUHL

LA GOLF BLANCHE
Gallimard, 216 pp., 18 €.


Au début des années 2000,
à élestat, en Alsace, deux en-
fants et leur mère vivent un
enfer. Le narrateur, certaine-
ment le double de l’auteur de
ce premier roman, consigne
calmement et tristement les
hurlements de son père, les
menaces qu’il profère, qui
empêchent ses victimes de
relâcher leur vigilance, à l’in-


SUR LIBÉRATION.FR


La semaine littéraire Lisez un peu de poésie le lundi, par exemple
un poème de Claire Malroux tiré de Météo Miroir (le Bruit du temps) ; vivez
science-fiction le mardi avec Bienvenue à Sturkeyville de Bob Leman (traduit
de l’anglais par Nathalie Serval, Scylla) ; feuilletez les Pages jeunes le mer-
credi, avec Romance , un roman d’Arnaud Cathrine (Robert Laffont «R») ;
le jeudi, c’est polar : le Triomphe des ténèbres et la Nuit du mal d’Eric Giaco-
metti et Jacques Ravenne (Lattès) ; vendredi, recommandations de Libération
et coups de cœur des libraires sur le site Onlalu.

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