Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020 u 43


LIBRAIRIE ÉPHÉMÈRE


Joseph Mitchell,


reporter-clinicien


Par YANN DIENER Psychanalyste


A


près avoir d’abord envi-
sagé des études de méde-
cine en Caroline du Nord,
Joseph Mitchell vient
s’installer à New York en 1929, avec l’am-
bition de devenir journaliste politique.
Il débute comme localier de nuit au He-
rald Tribune
– il couvre les crimes et les
accidents. Mais il se fait vite remarquer
avec ses portraits des habitants des bas-
fonds de Manhattan. Des portraits aussi
fouillés qu’épurés, qui confinent au cas
clinique : Mitchell saisit le trait qui dis-
tingue chaque personnage tout en le re-
liant aux autres. Après avoir travaillé
pour d’autres journaux, le jeune chroni-
queur est recruté dès 1933 par le fonda-
teur du New Yorker. Les lecteurs devien-
nent vite accros à ses articles consacrés
à une figure du marché aux poissons de
Fulton Street, Old M. Flood. Mitchell
contribue à faire décoller les ventes du
New Yorker et à installer le style du jour-
nal, et ses textes restent aujourd’hui une
référence absolue pour beaucoup d’écri-
vains américains.
Après avoir publié en 2017 une biogra-
phie de Joseph Mitchell et un recueil de
ses articles, le Fond du port , les Editions
du sous-sol publient la première traduc-
tion française de Old M. Flood , ainsi
qu’un nouveau recueil, intitulé Arrêtez
de me casser les oreilles.
Mitchell définit
ainsi sa méthode : «Je voulais que ces
chroniques soient proches de la vérité
plutôt que fidèles à des faits avérés.»


M. Flood est un personnage composite,
le résultat d’un travail de condensation,
comme il s’en produit dans les rêves, qui
peuvent réunir plusieurs visages en un
seul : «M. Flood n’est pas quelqu’un de
précis mais un composite de plusieurs
hommes d’un certain âge qui travaillent
ou passent le temps, ou ont travaillé ou
passé le temps au marché aux poissons de
Fulton Street.»
Dans les entretiens qu’il mène pour
écrire d’autres portraits qu’on peut lire
dans Arrêtez de me casser les oreilles ,
Mitchell s’ennuie à mourir avec les fem-
mes de la haute société, les capitaines
d’industrie, les écrivains célèbres, les mi-
nistres du Culte, les explorateurs, les ac-
teurs de cinéma, ainsi que toutes les ac-
trices de moins de 35 ans. Le reporter-
clinicien soutient que pour ce qui est de
la conversation, «les représentants les
plus intéressants de l’espèce humaine
sont les anthropologues, les paysans, les
prostituées, les psychiatres, et aussi quel-
ques barmen».
En finissant d’écrire cet article je me
rends compte qu’il est assez cocasse
qu’un psychanalyste soit amené à formu-
ler cette phrase, «Arrêtez de me casser les
oreilles.» •

JOSEPH MITCHELL ARRÊTEZ DE ME
CASSER LES OREILLES et OLD
M. FLOOD Traduit de l’anglais (Etats-
Unis) par Lazare Bitoun. Editions du
sous-sol, 280 pp., 22 € et 128 pp., 16€. Joseph Mitchell. PHOTO DR

ÉVOLUTION TITRE AUTEUR ÉDITEUR SORTIE VENTES
1 (1) Le Pays des autres Leïla Slimani Gallimard 05/03/2020 100
2 (2) Miroir de nos peines Pierre Lemaitre Albin Michel 02/01/2020 13
3 (7) Dans les geôles de Sibérie Yoann Barbereau Stock 12/02/2020 12
4 (4) Municipales. Banlieue naufragée Didier Daeninckx Gallimard 13/02/2020 11
5 (3) Sacrées Sorcières Pénélope Bagieu Gallimard 29/01/2020 9
6 (6) Génération offensée Caroline Fourest Grasset 26/02/2020 8
7 (0) Chanson bretonne J.M.G. Le Clézio Gallimard 12/03/2020 8
8 (15) Sorcières : la puissance invaincue
des femmes

Mona Chollet Zones 13/09/2018 7
9 (10) Le Consentement Vanessa Springora Grasset 02/01/2020 7
10 (8) La Panthère des neiges Sylvain Tesson Gallimard 10/10/2019 7

VENTES


Classement datalib
des meilleures ventes
de livres
(semaine
du 6/03 au 12/03/2020)


Jean-Marie Gustave Le Clézio arrive dans le top ten, sep-
tième place direct, avec Chanson bretonne, suivi de l’Enfant
et la Guerre,
sous-titré Deux Contes. A 79 ans, le Prix Nobel
propose un voyage sans nostalgie dans la Bretagne de son
enfance, celle des fêtes du petit village finistérien de Sainte-
Marine, non loin du fracas de la guerre. Y fait-il vraiment
«si peu cas de la Bretagne d’aujourd’hui et de demain»,
comme le regrette le quotidien de l’Ouest le Télégramme
de Brest
? C’est un autre type de chanson qui a propulsé


Leïla Slimani au Goncourt dès le premier tour en 2016. Son
dernier opus la ramène au roman, avec une fresque fami-
liale franco-marocaine, le Pays des autres, qui tient la dra-
gée haute dans le classement. Le confinement dû au coro-
navirus va sans doute libérer du temps pour la lecture. On
voit des incitations à acheter dans nos librairies favorites
de quoi lire pendant quatorze jours. Des titres retrouvent
une nouvelle jeunesse, c’est le cas de la Peste (1947) d’Albert
Camus, aux ventes spectaculaires en Italie. F.Rl

Source : Datalib et l’Adelc, d’après un
panel de 274 librairies indépendantes
de premier niveau. Classement des
nouveautés relevé (hors poche, scolaire,
guides, jeux, etc.) sur un total
de 108 330 titres différents. Entre
parenthèses, le rang tenu par le livre
la semaine précédente. En gras, les
ventes du livre rapportées, en base 100,
à celles du leader. Exemple : les ventes
de Miroir de nos peines représentent
13 % de celles du Pays des autres.

Jérôme Garcin quitte le
jury du prix Renaudot.
Il s’en explique sur le site
de BibliObs : «Je ne pars
pas seulement en raison de
l’affaire Springora (après
tout, même si j’ai refusé de
voter pour Matzneff, je n’ai
pas pour autant quitté le
jury après sa consécra-
tion), mais aussi pour les
vices de forme qu’elle a ré-
vélés, notamment la re-
cherche des “coups”, au dé-
triment de la littérature,
et l’aberrante constitution
d’un jury à 90 %
masculin.»

Un juré


en moins


Une femme de rêve de Do-
minique Sylvain (Viviane
Hamy) a le prix Claude
Chabrol et Sœur d’Abel
Quentin (Editions de l’Ob-
servatoire) le prix Pre-
mière. Les prix Libr’à
nous, décernés par un
groupement de libraires
francophones, récompen-
sent Ici n’est plus ici de
Tommy Orange (Albin Mi-
chel), Dans l’ombre du bra-
sier d’Hervé Le Corre (Ri-
vages), les Furtifs d’Alain
Damasio (la Volte), et De
pierre et d’os de Bérengère
Cournut (le Tripode).

Prix de


saison


Mireille Dumas et Denis
Demonpion signent Des
ordures et des hommes
(Buchet Chastel) à la Li-
brairie des Abbesses ce sa-
medi à 16 heures (30, rue
Yvonne-Le-Tac 75018).
Serge Toubiana présente
l’Amie américaine (Stock)
chez Michèle Ignazi mardi
à 19 heures (17, rue de Jouy
75004). Emanuele Coccia
s’entretient avec Donatien
Grau à propos de Méta-
morphoses (Rivages) mer-
credi à 18 heures aux Ca-
hiers de Colette (23 /25, rue
Rambuteau 75004).

Rendez-


vous


CAMILLE
FROIDEVAUX-
METTERIE

LA RÉVOLUTION
DU FÉMININ
Préface inédite.
Folio «essais»,
528 pp., 9,70 €.


«Avec saint Augustin, l’image du corps
est renouvelée, une attention particulière
étant donnée à tous les processus physio-
logiques qui caractérisent l’acte sexuel
(érection, éjaculation, orgasme).
La femme n’est plus cette tentatrice qui
entraîne l’homme sur la pente de la sen-
sualité : l’un comme l’autre peuvent suc-
comber à la faiblesse de la chair.»

GABRIELLE FERRIÈRES
JEAN CAVAILLÈS.
UN PHILOSOPHE DANS
LA GUERRE (1903-1944)
Préface de Jacques
Bouveresse, postface de
Gaston Bachelard.
Félin poche,
294 pp., 11 €.

«C’est sur un banc de la faculté de lettres au
mois de mars 1941, que Jean rédigea, en
compagnie d’Emmanuel d’Astier de la
Vigerie, le premier tract de Libération. Ces
tracts [...] devinrent peu à peu des journaux
de format réduit, écrits, polycopiés, distri-
bués par des jeunes enthousiastes et mys-
térieux qui s’abordaient en murmurant
“sous le pont Mirabeau coule le Seine”.»
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