46 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020
Koulibiak
Choux devant!
La journaliste et écrivaine russe Guélia Pevzner met le légume «roi
de l’hiver» à l’honneur, dans des recettes chargées d’histoire soviétique.
L
e chou, on ne l’aime pas,
on le vénère. Sentinelle
vaillante des frimas qui
supporte les pires bas-
sesses du thermomètre et mérite ses
différentes appellations : «Roi d’hi-
ver», «Pointu d’hiver», «Vaugirard
d’hiver»... On le débusque au fin
fond des jardins, pommé et un peu
paumé parmi les rares végétaux
survivant aux intempéries. Hon-
neur et respect au chou que l’on far-
cit au moins une fois les mois gris,
le temps d’une épopée aux four-
neaux que partagent les maisons les
plus humbles comme la table de
l’aubergiste étoilé Guy Savoy en son
hôtel de la Monnaie à Paris.
Gloire donc au chou, pour qui on
userait nos semelles jusqu’à la tro-
gne. Quitte à pousser jusqu’à Ir-
koutsk, en Sibérie, pour goûter le
chou fermenté de Guélia Pevzner,
journaliste à RFI et écrivaine d’ori-
gine russe, qui vient de commettre
aux éditions de l’Epure un délicieux
opuscule sur le chou blanc (1). Du
coleslaw d’Anchorage à la garbure
de Laàs dans le Béarn en passant
par les lahanodolmades (feuilles de
chou farcies) d’Athènes, voici un
tour du monde culinaire qui impose
une évidence : la Terre est ronde
comme un chou sans qui il n’y au-
rait point eu de salut dans la ga-
melle de l’humanité. Pour preuve
que l’essentiel est dans les brassica-
cées (la famille des choux), Guélia
Pevzner, formée aux humanités sur
les bancs de l’école soviétique, rap-
porte cette anecdote : «L’empereur
Dioclétien, renonçant au pouvoir,
s’est rendu dans son domaine du Sa-
lone (Croatie moderne), où il a com-
mencé à cultiver du chou. Quand
les Romains sont venus lui deman-
der de redevenir empereur pour
régler des difficultés politiques, il a
refusé, arguant : “Si seulement vous
voyiez quel beau chou j’ai récolté,
vous ne me dérangeriez pas avec vos
bêtises.”»«Pâtisserie charcutière». On
s’est invité dans la cuisine de Guélia
Pevzner afin d’effeuiller notre pas-
sion pour le chou avec la confection
d’un plat qui nous a toujours fait rê-
ver, comme une image d’Epinal ou
plutôt comme une icône gastrono-
mique russe : le koulibiak. D’aucuns
vous diront un peu pompeusement
qu’il s’agit d’une «pâtisserie charcu-
tière» , un peu plus prosaïquement
d’une tourte. Sachant que, comme
souvent aux fourneaux, ce qui est
caché dans la pâte attire d’autant
plus de convoitise et de gourman-
dise. Il peut y avoir dans le kouli-
biak autant d’ingrédients que dePar
JACKY DURAND
Photos CYRIL
ZANNETTACCI. VUDes œufs, du chou blanc et une pâte suivant la recette de la cuisinière de Khrouchtchev : c’est «le koulibiak du quotidien».