Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5


A


compter de ce lundi, les crèches, écoles
et universités ferment «jusqu’à nouvel
ordre», une mesure inédite dans l’his-
toire. «Les élèves ne vont pas être en vacances
[...], ils n’interrompent pas leur parcours édu-
catif», répétait vendredi le Premier ministre,
déclarant que tout était en place pour assurer
«la continuité pédagogique» à distance. Ce co-
ronavirus plonge l’Education nationale dans
un test grandeur nature de l’école numérique.
Avec toutes les questions que cela pose.

Qu’a mis en place le ministère?
Cette «continuité» repose essentiellement sur
le Cned (Centre national d’enseignement à dis-
tance) et sa plateforme numérique «Ma classe
à la maison». Elle peut accueillir jusqu’à 15 mil-
lions de connexions simultanées. La première
partie de la plateforme comporte quatre semai-
nes de cours, de la grande section à la termi-
nale. Pour chaque jour, un planning de plu-
sieurs heures, fractionné en séances. Exemple
pour un ado de quatrième : la comparaison de
nombres rationnels en maths, la découverte du
théâtre en français et l’esclavage en histoire. En
primaire, des activités en ligne permettront
aux élèves de réviser les familles de mots, par
exemple. Des livres numériques sont prêts à
être téléchargés. Avec la possibilité de les im-
primer, car le ministre l’a répété vendredi : il ne

s’agit pas non plus que les enfants passent leur
journée devant un écran...

Quelles autres options sont utilisées
par les profs?
420 000 élèves sont déjà coincés à la maison de-
puis une semaine dans les départements les
plus touchés (l’Oise, le Haut-Rhin, la Corse et
l’Hérault). Dans les faits, les enseignants se sont
surtout tournés vers les ENT (espaces numéri-
ques de travail), déjà utilisés dans la vie nor-
male pour être en lien avec les familles. Elèves
et enseignants de collèges et lycées continuent
donc d’échanger par ce biais. En primaire, c’est
plus compliqué, les ENT sont encore très peu
utilisés. Autre option : «Ma classe virtuelle», qui
permet aux enseignants de faire cours par visio-
conférence. Nicolas, enseignant dans l’Oise, a
testé, ça marche plutôt bien : «On retravaille sur
les documents que l’on a mis à disposition des en-
fants, ils peuvent poser des questions. Ainsi, les
enfants comprennent vite l’importance de faire
les exercices.» En revanche, conseil aux collè-
gues qui s’apprêtent à se lancer : débrancher les
webcams, «sinon les enfants jouent avec».

Quels problèmes pose cette nouvelle
organisation?
Beaucoup s’inquiètent des inégalités induites
par cette soudaine délégation de la charge sco-
laire à la famille. «Certaines n’ont pas les capa-
cités d’accompagner leurs enfants ou n’ont pas
d’ordinateurs, d’accès à Internet. D’autres doi-
vent gérer télétravail, devoirs et garde des en-
fants. C’est compliqué», résume la présidente
de la Fédération des conseils de parents d’élè-
ves (FCPE) du Haut-Rhin. Le ministère de

l’Education s’est engagé à mettre tout en œuvre
pour qu’aucun élève ne soit pénalisé. Les pa-
rents peuvent ainsi se rendre dans les écoles
pour récupérer les exercices en format papier
si besoin, ou se faire prêter un ordinateur. «Les
établissements restent ouverts aux adultes»,
rappelle le ministère. Les professeurs peuvent
y aller pour préparer leurs cours. Ou pour les
conseils de classe qui continuent de se tenir.

Des écoles seront-elles ouvertes pour
les enfants du personnel soignant?
C’était la priorité des priorités vendredi, rue de
Grenelle : lors de son allocution, jeudi, Macron
a annoncé un service de garde pour que les per-
sonnes «indispensables à la gestion de la crise
sanitaire puissent continuer à travailler». La
liste des métiers concernés a été établie. Y figu-
reraient notamment les infirmiers, médecins,
pharmaciens, aides-soignants, personnels des
établissements médico-sociaux. Chaque recto-
rat doit identifier quelques écoles – de préfé-
rence proches des hôpitaux – pour accueillir ces
élèves, par petits groupes. Des professeurs, sur
la base du volontariat, leur feront classe. Ce dis-
positif sera activé dès lundi.

Bac et examens seront-ils maintenus?
Le ministre de l’Education marchait sur des
œufs, vendredi matin sur France Inter, certai-
nement échaudé par son expérience de la veille


  • il avait maintenu toute la journée que les éco-
    les ne fermeraient pas. Vendredi midi, le Pre-
    mier ministre était, lui, plus affirmatif, bien que
    prudent : «On devrait pouvoir les maintenir.»
    MARLÈNE THOMAS
    et MARIE PIQUEMAL


Education : la «continuité


pédagogique» en pratique


Plusieurs dispositifs sont
proposés aux familles afin de
poursuivre les apprentissages
à distance. Avec leurs
avantages... et inconvénients.

matologue Florence voudrait «ins-
taurer un tour de garde entre les pa-
rents»
de sa résidence : «Quand j’ai
appris la fermeture des écoles, je ne
me suis jamais dit que je n’irai pas
travailler. [...] Ce n’est pas possible
que tout le monde s’en aille.»


Briançon, Hautes-Alpes
«Je vais bien»
Gérard Fromm, maire-candidat
de Briançon, terminera lundi sa
mise en quarantaine après ses con-
tacts avec une personne contami-
née : «Je vais parfaitement bien! Le
plus difficile, cela aura été de ne pas
sortir, de ne rencontrer personne en
direct... et de ne pas faire un petit
tour de ski»,
relativise-t-il, détendu.
Une trentaine d’habitants du sec-
teur de Briançon, dont plusieurs
agents du commissariat, sont pour-
tant à l’isolement. Pas moins de
11 cas de Covid-19 ont été diagnosti-
qués. Tous seraient en voie de gué-
rison, précise le maire, mais l’alerte
est très sérieuse. C’est le pasteur
évangéliste de la ville, également
directeur des pompes funèbres lo-
cales, qui est à l’origine de cette va-
gue, après son retour du fameux
rassemblement de Mulhouse.
Pour autant, «s’il y a de l’anxiété
dans la population, je ne suis pas du
tout alarmiste. Il faut rester pragma-
tique. Nous mettons en action tous
les éléments qui vont permettre de ré-
pondre à la maladie»,
insiste-t-il, ci-
tant le travail de la cellule de crise de
l’hôpital de Briançon et les précau-
tions d’hygiène mises en place pour
le scrutin de dimanche. Lui-même
votera par procuration, dans un cli-
mat d’inquiétude qui grandit de jour
en jour dans la cité des Hautes-Al-
pes. Comme partout en France.•


Une élève italienne suit ses cours à domicile, le 10 mars à Turin. PHOTO BACKGRID UK. BESTIMAGE
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