8 u Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020
La comparaison a beaucoup cir-
culé sur les réseaux sociaux : avec
9 jours de décalage, la France
suivrait l’Italie en nombre de cas
de contamination au Covid-19 et de
décès afférents. Pour l’Espagne, ce
décalage serait de 10,5 jours et pour
la Suisse de 13 jours. La situation ita-
lienne, futur de la France? Selon les
derniers chiffres publiés, les courbes
des deux pays – en dehors de leur
point de départ – sont effectivement,
à 9 jours d’intervalle, quasi identiques.
Reprenant les données du ministère
de la Santé en France et du départe-
ment de la protection civile en Italie,
CheckNews a ainsi répété l’exercice
et a abouti à un résultat similaire :
la courbe française des personnes
contaminées apparaît comme un
décalque de l’italienne (voir infogra-
phie ci-contre).
Concernant les décès, la situation
était similaire avec l’Italie jusqu’à
mercredi, avant de connaître une in-
flexion jeudi soir : la France a annoncé
61 morts, soit 13 de plus que la veille,
alors que l’Italie en avait 79 neuf jours
plus tôt, avec une progression de
27 décès en vingt-quatre heures.
«Il n’est pas très surprenant que deux
pays qui ont toute une série de points
communs (nombre d’habitants,
climat) connaissent un nombre de cas
similaires face à un agent infectieux
qui a le même taux de reproduction» ,
estime Gilles Brücker, professeur de
santé publique.
Est-ce à dire que la France présentera,
dans 9 jours, un bilan semblable
à celui de l’Italie actuellement
(12 462 cas et 827 décès jeudi)?
Difficile de se prononcer sur la
persistance de cette similitude, pour
les cas de contamination comme
pour les décès.
«Cela va dépendre, entre autres, du
respect des mesures d’hygiène et de
la gestion des foyers épidémiques ,
estime William Dab, professeur
au Conservatoire national des arts et
métiers (Cnam) et directeur du labora-
toire de recherche Modélisation et
Surveillance des risques pour la sécu-
rité sanitaire. Mais les comportements
évoluent rapidement en France, avec
beaucoup plus de gens qui ne se ser-
rent plus la main, qui ne se font plus la
bise, ou qui se lavent plus souvent les
mains.» Résultat, selon lui, la France
pourrait connaître moins de morts,
dans une grosse semaine, que n’en
compte aujourd’hui l’Italie.
De nombreux commentateurs ont
aussi imputé la très forte mortalité ita-
lienne au fait que la population trans-
alpine est l’une des plus âgées du
monde. Alors que la létalité du virus
est beaucoup plus importante chez les
personnes âgées, l’Italie affiche en ef-
fet, en 2020, 31 % de plus de 65 ans,
contre 27,6 % en France, selon l’Insee.
Cette différence dans la pyramide des
âges permettra-t-elle à la France d’affi-
cher un bilan des décès inférieur?
La différenciation possible des cour-
bes, concernant les décès, pourrait
aussi venir de la réponse du système
de santé français. «La question du
nombre de lits en réanimation, de pla-
ces en soins intensifs, est un élément
qui aura un impact sur le taux de léta-
lité en France , assure Gilles Brücker.
Mais sommes-nous pour autant mieux
équipés que nos voisins ?»
Plus globalement, le devenir de la
courbe française dépendra des répon-
ses politiques annoncées. Mais quoi
qu’il en soit, «c’est comme toujours
a posteriori, une fois l’épidémie termi-
née, que l’on saura vraiment si telle ou
telle mesure a eu un impact ou pas» ,
prévient Gilles Brücker.
LUC PEILLON
Vos questions,
nos réponses
sur le coronavirus
ÉVÉNEMENT
«Si l’Italie a un taux de
mortalité qui est élevé,
c’est qu’ils testent moins.
En France, on dépiste plus
large, affirmait le ministre de
la Santé, Olivier Véran, lundi
sur BFM TV, réfutant l’affir-
mation de la journaliste qui
l’interrogeait selon laquelle
la France effectuait moins
de tests que son voisin
transalpin. Moins vous tes-
tez de malades, plus vous
passez à côté de patients qui
ne sont pas ou peu sympto-
matiques, et donc plus les
malades sévères vont repré-
senter une proportion im-
portante des gens que vous
avez dépistés.»
Force est d’abord de consta-
ter que la communication
des autorités françaises sur
le nombre de tests pratiqués
d a n s l ’ H ex a g o n e a é t é
confuse, si ce n’est opaque.
Les chiffres communiqués
par les autorités ont d’abord
beaucoup varié, sans au-
cune explication, avant de
disparaître tout bonnement
à partir du 6 mars. Le direc-
teur général de la santé, Jé-
rôme Salomon, se bornant
à déclarer quotidiennement
que la France réalisait «plus
de 1 000 tests par jour».
Même si le nombre de tests a
augmenté depuis, le volume
est sans commune mesure
avec les chiffres italiens. Au
10 mars, l’Italie avait fait plus
de 50 000 tests. Elle en an-
nonçait deux jours plus tard
plus de 85 000.
Sur quoi se base alors Olivier
Véran pour affirmer que
l’Italie testait moins que
la France? Le ministre évo-
quait en fait l’amplitude du
spectre des profils testés.
Avec cet argumentaire :
avec plus de 460 décès pour
9 172 cas diagnostiqués posi-
tifs au 10 mars, l’Italie pré-
sentait un taux de létalité
(nombre de décès rapporté
au nombre de cas positifs
connus) de 5 %. La France, au
soir du 9 mars, comptait
30 décès pour 1 412 cas posi-
tifs. Soit un taux de létalité
de 2,1 %. Non pas que le virus
soit plus méchant de l’autre
côté des Alpes. Mais l’Italie,
suggère Véran, concentre
ses tests sur les malades
graves (chez qui le taux de
décès sera logiquement plus
élevé). Au risque de passer
à côté de cas peu symptoma-
tiques. A l’inverse, se félici-
tait le ministre, la France
élargirait les diagnostics
à des personnes peu symp-
Est-il vrai que la France
teste davantage que l’Italie,
comme l’a affirmé le ministre
de la Santé, Olivier Véran?
La courbe des cas
en France suit-elle celle de
l’Italie avec 9 jours d’écart?
11
mars
11
mars
ITALIE
ITALIE
FRANCE
FRANCE
19
février
2
mars
11
mars
28
février
52 décès 48 décès
0
100
200
300
400
500
600
700
800
0
100
0
100
28
janvier
28
janvier
Evolution des décès en Italie et en France
Zoom sur le départ de la propagation
décès
CHRISTELLE PERRIN