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PLANÈTE
DIMANCHE 1ER LUNDI 2 MARS 2020
0123
A
vis de gros temps sur les hô
pitaux français. Après l’an
nonce, vendredi 28 février,
de dixneuf nouveaux cas de
contamination par le coro
navirus, et le passage en
stade 2 (sur 3) de l’épidémie, les établisse
ments de santé se préparent à faire face à
une arrivée importante de nouveaux mala
des. « On rentre dans le dur, prévient Xavier
Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat, l’un
des trois centres de référence en Ilede
France. Tous les ans, la grippe saisonnière fait
un peu tanguer le navire des hôpitaux. Là, ça
ne va pas tanguer, ça va être la tempête. On
est en face d’une épidémie qui va affecter tout
le système et va imposer très vite une réorga
nisation totale de la prise en charge. »
Cette crise sanitaire survient dans un
contexte particulier pour l’hôpital public. Il y
a quelques semaines, plusieurs centaines de
chefs de service avaient démissionné de
leurs fonctions d’encadrement pour dénon
cer le manque de lits et d’effectifs. Selon eux,
c’est un système hospitalier « fragilisé par
des années d’économies déraisonnables et
inadaptées » qui s’apprête à affronter la tem
pête. La surchauffe touche d’ores et déjà cer
tains services, comme la régulation du Cen
tre 15 ou l’infectiologie. Depuis la flambée de
nouvelles contaminations en Italie, ces ser
vices sont confrontés à des sollicitations in
cessantes. « On est complètement débordés,
le temps de répondre à un appel, il y en a dix
autres en attente, raconte Alexandre Bleib
treu, infectiologue à la PitiéSalpêtrière, un
autre hôpital de référence francilien. Alors
que nous ne devrions être contactés que par le
SAMUCentre 15, des gens appellent directe
ment parce qu’ils veulent passer le test pour
être rassurés. Certains se présentent même en
personne. » Dans certains hôpitaux, comme
au CHU de Tours, des pics à près de 90 appels
par jour sont enregistrés.
« UN BAZAR INCROYABLE »
A l’hôpital SaintLouis, à Paris, l’infectiologue
Matthieu Lafaurie s’inquiète de ce climat « an
xiogène ». « On est dans l’irrationnel, ditil. Bi
chat et la Pitié sont débordés et nous deman
dent de l’aide alors qu’il n’y a à ce jour pas ou
peu de patients hospitalisés. Comment allons
nous faire quand au cœur de la pandémie nous
aurons beaucoup plus de personnes à hospita
liser avec pas assez de personnel de façon chro
nique? C’est un bazar incroyable pour un nom
bre de cas recensés encore faible. » Dans les ser
vices d’urgences déjà soumis à une forte fré
quentation, on redoute cet afflux de patients.
Aux urgences de Valence, où il manquera
dans quelques jours près de la moitié de l’ef
fectif médical, en raison de départs de méde
cins, Hélène Balagué s’apprête, avec ses collè
gues urgentistes, à devoir gérer une « double
crise » : « On a déjà des délais d’attente mons
trueux. En rajoutant le coronavirus, ça va être
la catastrophe », redoutetelle. Dans un hôpi
tal périphérique des Pays de la Loire, une infir
mière membre du Collectif InterUrgences se
demande ce qui se passera si des patients
« pas régulés par le 15 se présentent au contact
des autres pour les admissions ». « On sera tous
en quarantaine? Et nos familles? Et la conti
nuité du service? Nous avons déjà de gros pro
blèmes d’effectifs. » Jeudi 27 février, les autori
tés sanitaires ont pris la décision spectacu
laire de confiner près de 200 membres du
personnel soignant des hôpitaux de Creil et
Compiègne, dans l’Oise, et de fermer une
unité de réanimation, après un risque de
contact avec une personne infectée.
« Le risque de contamination des hôpitaux
est un des sujets qui nous préoccupe le plus »,
a reconnu vendredi Aurélien Rousseau, le di
recteur de l’agence régionale de santé (ARS)
d’IledeFrance lors d’une conférence de
presse commune avec le préfet de police de
Paris, Didier Lallement, la maire de Paris,
Anne Hidalgo, et le préfet de région, Michel
Cadot. « Il n’y a pas de risque zéro : ce qu’on a vu
à Creil, on peut le voir partout ailleurs », atil
mis en garde.
Face à l’arrivée quasi certaine d’un nombre
important de patients touchés par le corona
virus, les autorités sanitaires mettent les hô
pitaux en ordre de bataille. A la PitiéSalpê
trière, quatorze lits d’hospitalisation ont par
exemple été réservés uniquement aux mala
des atteints par le coronavirus, certains pa
tients ayant été pour cela transférés vers
d’autres unités. Dans les hôpitaux labellisés,
des circuits dédiés de diagnostic et de prise en
charge autonomes et éloignés des urgences,
tout comme des cellules de crise, ont été mis
en place. A l’hôpital d’Arras, le chef de pôle des
urgences, PierreLuc Maerten, explique à La
Voix du Nord avoir « dédié une partie de l’hôpi
tal à cette activité coronavirus pour éviter que
les patients se croisent ».
« ON VOIT LA VAGUE ARRIVER »
Des hôpitaux de « deuxième ligne » sont par
ailleurs désignés dans chaque région. « Nous
demandons à la totalité des hôpitaux, notam
ment ceux de proximité, de se préparer à aug
menter leurs capacités afin de recevoir les pa
tients si jamais les capacités des CHU étaient
dépassées », a annoncé, mardi 25 février, Mi
chel Laforcade, le directeur de l’ARS Nouvelle
Aquitaine. En IledeFrance, les établisse
ments de Pontoise, Melun, Versailles et de
CorbeilEssonnes « sont en préparation et se
ront activés en fonction de l’évolution de la si
tuation », a fait savoir vendredi l’ARS.
Au sein même des hôpitaux, les soignants
se préparent à cet afflux de patients. « On se
tient prêts collectivement », explique Jean
François Alexandra, praticien en médecine
interne à Bichat. Son service ne sera pas direc
tement concerné mais pourra servir à déles
ter les patients « non coronavirus » du service
d’infectiologie. Objectif de cette « deuxième
ligne » interne à l’hôpital : « Faire le maximum
pour se tenir prêt à pallier le surcroît d’activité
des services en première ligne. »
Au CHU de Tours, Louis Bernard, le chef du
service des maladies infectieuses, anticipe
déjà le scénario des prochaines semaines.
« On voit la vague arriver, on s’y prépare et on
prépare aussi les étapes d’après. A un moment,
en situation épidémique, nos dixsept lits
d’hospitalisation ne suffiront peutêtre pas, le
but sera alors de laisser le maximum de cas en
dehors de l’hôpital. Quand on sera en dépasse
ment des structures d’accueil, l’isolement se
fera à la maison. » Ces prochaines semaines et
ces prochains mois, met en garde Xavier Les
cure, à Bichat, « il faudra maintenir la qualité
de la prise en charge de tout ce qui ne sera pas
du coronavirus. Ce sera la vraie difficulté ».
françois béguin
« ON EST DANS
L’IRRATIONNEL.
BICHAT ET LA PITIÉ
SONT DÉBORDÉS
ALORS QU’IL N’Y
A PAS OU PEU
D’HOSPITALISÉS.
COMMENT ALLONS
NOUS FAIRE AU CŒUR
DE LA PANDÉMIE ? »
MATTHIEU LAFAURIE
infectiologue à l’hôpital
Saint-Louis, à Paris
Coronavirus :
les hôpitaux
se préparent
à la « tempête »
L’épidémie de Covid19 survient en pleine
crise du système hospitalier public.
La surchauffe touche d’ores et déjà
certains services, comme la régulation
du Centre 15 ou l’infectiologie
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
les hôpitaux de creil et de Compiègne sont sous
pression. Depuis la mort, dans la nuit du 25 au 26 fé
vrier, d’un enseignant de 60 ans, et du placement en
réanimation d’un civil de 55 ans travaillant sur la
base aérienne militaire de Creil, les deux établisse
ments de l’Oise font face à une crise sanitaire excep
tionnelle. Et l’alerte a monté d’un écran, vendredi
28 février, avec six nouveaux cas, portant désormais
à 18 le nombre d’habitants de l’Oise contaminés par
le coronavirus.
Le plan blanc a été déclenché dans les deux hôpi
taux où ont séjourné ces joursci au moins quatre
patients contaminés. Une centaine d’agents hospi
taliers de l’hôpital de Creil sont confinés chez eux
jusqu’au 10 mars par mesure de précaution. Ils doi
vent prendre leur température deux fois par jour et
se manifester auprès du 15 en cas de symptômes.
Des renforts d’infectiologues et de virologues sont
arrivés jeudi à Creil afin de mener des investigations
auprès des personnels en quarantaine. Jusqu’ici,
aucun cas de contamination n’a été constaté.
L’enseignant décédé a été pris en charge pendant
six jours à Creil sans être diagnostiqué comme por
teur du coronavirus. Tous les personnels qui ont pu
être en contact avec lui sont concernés : une tren
taine d’infirmières, une vingtaine d’aidessoi
gnants, une quinzaine de médecins, des brancar
diers, des manipulateurs radio ou encore le person
nel de ménage. « Nous sommes en difficulté pour
faire notre travail au quotidien alors comment assu
rer la prise en charge des personnes qui seront conta
minées ?, s’interroge Corinne Delys, secrétaire géné
rale de la CGT à l’hôpital de Creil. Nous ne manquons
pas seulement de masques, nous manquons de bras. »
Les services d’urgences étaient en grève illimitée de
puis le 31 janvier pour réclamer davantage de
moyens. Aujourd’hui, l’établissement demande une
mise à disposition de la réserve sanitaire qui permet
de mobiliser des professionnels de santé. En raison
du confinement des trois quarts des effectifs, le ser
vice de réanimation de Creil a été fermé pour une
durée de quatorze jours. « Les patients qui étaient
hospitalisés dans ce service ont tous été transférés
jeudi 27 février dans plusieurs hôpitaux des Hautsde
France et d’IledeFrance », indique l’Agence régio
nale de santé (ARS) des HautsdeFrance.
Effectifs tendus
« Des renforts ont été sollicités pour étayer le service
d’accueil des urgences », indique l’ARS. Le SMUR de
Senlis, qui avait pris en charge le patient décédé, est
également frappé par les confinements. Une situa
tion qui inquiète la représentant syndicale. Les servi
ces non touchés par les confinements tournent au
ralenti. Les deux tiers des consultations ont été an
nulées depuis mercredi. « Des patients ne voulaient
pas venir faire leurs séances de chimiothérapie de
peur d’être exposés », témoigne Mme Delys, qui tra
vaille en oncologie. Au centre hospitalier intercom
munal de Compiègne, où trois patients touchés par
le coronavirus – dont le civil de 55 ans travaillant à la
base aérienne, transféré au CHU d’Amiens – ont
transité par les urgences, plus d’une centaine de soi
gnants sont également confinés à leur domicile, in
dique Sabrina HotteBeurdeley, secrétaire de la CGT
dans l’établissement. Une cellule de crise a été mise
en place, pilotée par la directrice de l’établissement,
regroupant médecins, personnels, CHSCT...
A la différence de Creil, aucun service n’a pour
l’heure été fermé mais « les admissions sont tempo
rairement suspendues dans les services de réanima
tion et d’endocrinologie par manque de personnels
soignants », précise l’ARS, qui ajoute qu’« une estima
tion des besoins a été réalisée pour assurer le fonc
tionnement normal de ces deux services afin de dé
ployer des professionnels d’autres établissements ».
Les patients qui y sont hospitalisés continuent
d’être normalement pris en charge, même si l’ac
cueil de personnes peutêtre touchées par le Co
vid19 commence à peser sur tous les services, les ef
fectifs étant déjà tendus. En revanche, des interven
tions chirurgicales ont été reportées au 4 mars.
« Patients et habitants sont inquiets », résume pour
sa part Philippe Marini, le maire (LR) de Compiègne
et président du conseil de surveillance du centre
hospitalier de CompiègneNoyon. Il lance « un SOS »
pour que « les personnes qui ont besoin de soins, font
un AVC... puissent être prises en charge en urgence et
en réanimation ». « Le ministère de la santé ne prend
pas la mesure de la situation, l’établissement hospita
lier se bat avec ses moyens, sa bonne volonté mais
doit recevoir des moyens extérieurs », interpelle
M.Marini. Quelques heures avant la venue du minis
tre Olivier Véran à CrépyenValois, où la première
victime française du Covid19 était professeur,
Bruno Fortier, le maire (sans étiquette) de la com
mune de 15 000 habitants, ainsi que l’une de ses
conseillères présentant des symptômes de contami
nation s’étaient mis à l’isolement à leur domicile en
attendant de connaître le résultat des tests.
stéphane mandard
et pascale santi
Plus de 200 soignants confinés à Creil et à Compiègne