Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

10 u Libération Samedi 22 et Dimanche^23 Février 2020


assez classique, relativise Matthieu Brasse,
responsable local du PS et engagé avec la tête
de liste écologiste, Alexis Deck. Beaucoup
de candidats chez nous ne sont pas non plus
encartés, et il y en aura aussi sur la liste
d’Edouard Philippe.» Lecoq tient à mettre en
avant ses «citoyens». Ce lundi, ils sont quatre
à l’accompagner : Axel se présente comme
«écoaventurier», Grégoire se dit «autono-
miste», Daniel «artiste quincaillier» et Cyril,
enseignant et responsable d’une association
sportive. «On n’est pas des communistes dégui-
sés», assure ce dernier.

«Reste à Paris !»
Leur discours porte surtout sur l’écologie.
Ce que revendique Jean-Paul Lecoq : «Je suis
le coco-écolo! Pendant longtemps, au parti,
j’étais le seul antinucléaire.» Et le commu-
niste d’égrener sa «centrale à bois», l’interdic-
tion des phytosanitaires dans son ancienne
municipalité, sa proposition de gratuité
des transports ­publics ou encore son amour
des arbres : «Je suis un peu comme Idéfix, je
pleure quand on retire un arbre.» Ses concur-
rents «écolos-socialos» pointent, au con-
traire, son «manque de clarté» sur les sujets
locaux qui concernent la lutte contre le ré-
chauffement climatique. La centrale à char-
bon du Havre doit fermer en 2021? Eux sont
d’accord. Lecoq répond qu’il a le souci de la

«transformer» pour prendre en compte les
«réalités ­sociales».
Malgré lui, le député de Seine-Maritime est
devenu un enjeu national pour ses camarades
de l’Assemblée. Jean-Luc Mélenchon, Fran-
çois Ruffin, Eric Coquerel, Clémentine Autain
ou encore le patron du PCF, Fabien Roussel,
lui ont tous proposé de «monter» au Havre
­filer un coup de main. Sa réponse : «Tu veux
m’aider? Eh bien, reste à Paris !» «Si les stars
viennent, le comité citoyen, lui, n’existe pas»,
justifie-t-il. Ça ne l’empêche pas de tirer à
boulets rouges sur un Premier ministre
«en campagne accélérée avec gyrophares» :
«Qu’a-t-il fait pour Le Havre depuis qu’il est
Premier ministre? On met plus de temps à
faire Paris-Le Havre que Paris-Bordeaux!
Et quand il était maire, il nous expliquait
qu’il ne fallait surtout pas faire le canal Seine-
Nord. A Paris, il décide l’inverse !»
Lecoq assure qu’il peut renverser la maison
Philippe, pourtant solide puisqu’elle rassem-
ble encore toutes les familles de la droite
­havraise. En partant divisée, la gauche est,
elle, quasi certaine d’arriver derrière au soir
du premier tour. «Une seule liste aurait donné
une vraie dynamique dès le premier tour»,
­regrette le communiste. En avoir deux qui
­talonnent celle du Premier ministre pourrait
aussi s’avérer bien utile pour le second si
­chacun à gauche y met du sien.•

Par
Lilian Alemagna
Envoyé spécial au Havre
Photo Boby

Reportage


Au Havre,


le communiste


qui veut jeter


Philippe


­par-dessus port


A la tête d’une liste sans étiquette, qui


comprend de «simples citoyens», le PCF


Jean-Paul Lecoq espère battre le Premier


ministre et ancien maire grâce à une forte


mobilisation sur le terrain pour séduire


l’électorat populaire.


municipales


«E


douard Philippe fait sa campagne
dans les salles en costard, nous, on
est dans la tempête !» S’il fait mine
d’en avoir marre que les journalistes viennent
le voir pour lui parler du Premier ministre,
Jean-Paul Lecoq travaille volontiers la com-
paraison. Lui, le député communiste, «sur le
terrain havrais» cinq jours par semaine, qui
n’hésite pas, comme ce lundi après-midi de
février, à braver les bourrasques pour soutenir
les usagers d’un jardin ouvrier menacé d’ex-
propriation par le conservatoire du littoral.
Pendant ce temps, l’autre, chef du gouverne-
ment revenu se présenter dans la ville où il a
été maire de 2010 à 2017 (réélu au premier
tour en 2014) avant d’être appelé par Macron,
est à Matignon et ne vient faire campagne
au Havre que les vendredis et samedis – il
était toutefois présent jeudi pour la présenta-
tion de sa liste (lire ci-contre).
Jean-Paul Lecoq a une chance infime de faire
chavirer le Premier ministre au Havre. D’au-
tant plus que, s’il réunit sur sa liste des com-
munistes, des insoumis, des Génération·s et
«surtout», insiste-t-il, de «simples citoyens»,
il n’a pas su se mettre d’accord avec les écolos
et les socialistes, partis de leur côté. Mais ce
père de famille de 61 ans y croit : «Il y a un
mois, à l’Assemblée, Philippe m’a dit : “T’as
quand même tes chances.”» C’était avant la dé-
claration de candidature du Premier ministre.
Les deux hommes se connaissent bien. Maire
(de 1995 à 2017) de Gonfreville-l’Orcher, une
commune ouvrière limitrophe de 9 000 habi-
tants, il a été le vice-président de Philippe
à l’agglomération. Il communique avec lui
par SMS. «On n’est pas potes, mais quand j’ai
besoin de lui parler d’un sujet sur Le Havre, il
peut m’inviter au zinc prendre un café. On se
dit les choses en toute franchise», assure Lecoq.

Bataille parlementaire
Cet ancien électricien, fils d’un chaudronnier
et d’une mère ouvrière chez Renault, espère
boucler en mars sa reconquête du Havre :
en 2017, il a repris au PS la circonscription du
sud de la ville, implantant à nouveau le sigle
PCF dans une cité historique pour les com-
munistes mais perdue en 1995. Le tombeur
d’alors s’appelle Antoine Rufenacht. Le chira-
quien transmettra les commandes de la ville
en 2010 à... Edouard Philippe. Le bastion du
Premier ministre apparaît imprenable. Mais
le contexte politique et social est porteur pour
la gauche qu’incarne Lecoq : des mois de
­mobilisation syndicale contre la réforme des
retraites avec une CGT encore très forte ici,
notamment chez les dockers, et une bataille
parlementaire qui a débuté lundi dans l’hémi-
cycle de l’Assemblée natio-
nale, où Lecoq compte bien
se montrer.
«Rufenacht a dit à Philippe :
“Pour garder Le Havre, il ne
faut pas réveiller les élec-
teurs de Lecoq.” Mais c’est
Lecoq lui-même qui va les ré-
veiller !» plaisante le député.
Au volant de sa C4, il se fait
plus sérieux : «Vous voyez la cité
là-haut, c’est à peine 17 % de par-
ticipation. En centre-ville, c’est 64 %.»
Manière de dire que s’il veut battre le Premier
ministre et son «électorat bourgeois», il faut
faire voter les quartiers populaires. Pour
­y arriver, le communiste laboure depuis juillet
des secteurs où l’abstention bat des records.
«Avec malheureusement, parfois, des réunions
où on a les garçons d’un côté et les filles de l’au-
tre. Les filles nous disent que c’est la condition
pour qu’elles aient une parole libre.»

Ce jour-là, pas de problème de parole dans le
quartier Dollemard, dans le nord de la ville,
à 500 mètres des falaises. Une sortie d’école,
un supermarché Aldi, une visite surprise, à
côté du stade Youri-Gagarine, d’un Ehpad
avec des salariées remontées contre leurs con-
ditions de travail, puis une auprès de pom-
piers en grève qui vident leur sac car, disent-
ils, ils «crèvent la bouche ouverte» et sont pris
pour «des clochards». «Vous êtes de quel
parti ?» l’interroge l’un d’entre eux
avant toute discussion. Il répond
«communiste» avant d’expli-
quer que 60 % de ses colistiers
seront des «citoyens». Sur
son camion de campagne et
ses tracts, pas d’étiquette
­politique. Pas de rouge. Seul le
slogan «Prenez le pouvoir» rap-
pelle la campagne des commu-
nistes à la présidentielle de 2012
avec Jean-Luc Mélenchon.
Lecoq, qui a eu une courte période maoïste
avant que son père ne le convainque, au lycée,
de rejoindre le canal historique des commu-
nistes, assure avoir pris en 2018 une «leçon»
démocratique avec les gilets jaunes. Il a donc
mis en place un «comité citoyen» qui a rédigé
son programme avec les responsables locaux
des partis. «J’entends l’engagement ­citoyen.
Mais franchement, pour des municipales, c’est

Seine

10 km

SEINE
MARITIME

Rouen

SOMME

OISE

EURE

Manche

Le Havre
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