Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

14 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 22 et Dimanche^23 Février 2020


La centrale nucléaire de

V


endredi, chacun était à son
poste comme à l’accoutu-
mée dans la salle de com-
mande tapissée de voyants multico-
lores de la centrale de Fessenheim
(Haut-Rhin) : chef d’exploitation,
opérateurs de conduite, ingénieurs
de sûreté... Mais l’ambiance
était pesante. A mille lieues de celle
du 7 mars 1977, jour de liesse pour le
programme nucléaire français qui
vit les techniciens d’EDF enclen-
cher la «divergence» du réacteur
numéro 1. Le premier d’une série de
58 unités. A 20 h 30 vendredi,
l’équipe de quart devait baisser
­progressivement la puissance du
­réacteur de 900 MW, jusqu’à son ar-
rêt prévu à 2 heures du matin, ce sa-
medi. Une opération «de routine»
consistant à faire cesser la réaction
en chaîne en insérant des «grappes
de contrôle» dans le cœur du
­réacteur.

Mais cette fois, ce n’était pas pour
une simple pause liée à une opéra-
tion de maintenance : il s’agissait
d’arrêter définitivement le réac-
teur numéro 1. Le 30 juin, ce sera au
tour du réacteur numéro 2 de partir
à la retraite. Fessenheim cessera
toute production, sans retour en ar-
rière possible. Un long feuilleton
s’achève : près de dix ans après la
promesse de Hollande, la plus
­ancienne des centrales françaises,
inaugurée sous Giscard, fermera
donc sous le règne de Macron.
Une journée de deuil pour Fessen-
heim. Il y a bien sûr la tristesse des
équipes qui veillaient jour et nuit au
fonctionnement de cette machine
nucléaire de 32 tonnes. L’inquié-
tude des 700 salariés qui devront
migrer vers une autre centrale EDF
pour garder leur boulot. Et la peur
des lendemains sans industrie pour
les 2 500 habitants de la commune
(lire page 16). Tous les environs
­vivaient de ce site nucléaire
de 106 hectares, installé au bord du
grand canal ­d’Alsace qui a fait tra-
vailler jusqu’à 2 000 personnes et

représentait une manne fiscale
de 14 millions d’euros par an pour
les collectivités locales.
Mais c’est la maison EDF qui vit sans
doute le plus ce moment comme un
jour de cendres. «On a avalé la pilule
de la décision politique, mais vous
dire que l’on arrête de gaîté de cœur
une centrale très rentable qui aurait
pu continuer à produire de l’électri-
cité décarbonée pendant des années
serait vous mentir», grimace un ca-
dre d’EDF sous couvert de l’anony-
mat. Pour la famille nucléaire,
qui voit l’atome comme la solution
au réchauffement climatique, arrê-
ter Fessenheim est une absurdité :
prévu pour fonctionner qua-
rante ans, «un réacteur bien entre-
tenu peut tourner cinquante voire
soixante ans», martèle-t-on chez
l’électricien. Et pour remplacer les
1 800 MW de Fessenheim, il faudrait
planter 3 000 éoliennes... et obtenir
une énergie intermittente et non
«pilotable» ­contrairement à l’atome,
taclent les partisans du nucléaire.
Dimanche dernier sur Europe 1, le
PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy,

ne disait pas autre chose en vantant
cette «électricité décarbonée qui
n’émet que très peu de gaz à effet de
serre» et en rappelant que Fessen-
heim avait affiché en 2019 «parmi
les meilleurs résultats sur les qua-
rante ans de sa durée de vie» en ma-
tière de sûreté. EDF aura tout fait
pour repousser la fermeture, initia-
lement prévue pour 2016.

saut dans l’inconnu
A l’inverse, ce jour était évidem-
ment très attendu par les antinuclé-
aires qui avaient fait de la fermeture
de Fessenheim un symbole. «Cette
centrale est grabataire, elle est dan-
gereuse, cela fait longtemps qu’elle
aurait dû fermer», répète le prési-
dent de Stop Fessenheim, André
Hatz, un opposant historique. Lui et
ses amis n’en ont pas fini avec Fes-
senheim. La centrale ne fermera pas
tout de suite. Une fois le réacteur 1
arrêté, le combustible hautement
radioactif sera déchargé pour être
refroidi pendant trois ans dans la
piscine attenante. Et la même opé-
ration se répétera pour le numéro 2.

Par
Jean-Christophe
Féraud
Photos Denis Allard

Dépôt du dossier
de déclassement

Dépôt du dossier
de démantèlement

Fin de la production Décret de démantèlement Déclassement

Déclaration de
mise à l’arrêt
dénitif

Produ-


ction


Démantèlement


Préparation au


démantèlement


2020 2025 2040


Réhabilitation

Démolition bâtiments

Assainissement des structures

Démantèlement électromécanique

Source : EDF

L’évacuation des deux cœurs vers le
centre de retraitement de La Hague
(Manche) n’interviendra pas
avant 2023. Le «dossier de démantè-
lement» sera lui déposé dans les
deux ans, mais son instruction par
l’ASN, le gendarme du nucléaire,
durera au moins jusqu’à 2025.
Le démantèlement proprement
dit des réacteurs, opéré par des
­robots à l’épreuve des radiations
qui vont découper cuve, tuyauteries
et pièces d’acier – des tonnes et
des tonnes de matériel ­irradié – du-
rera ensuite quinze ans, au mini-
mum, jusqu’au supposé ­ «retour à
l’herbe». Actuellement, douze vieux
réacteurs expérimentaux (dont Su-
perphénix) sont en cours de déman-
tèlement... certains depuis cin-
quante ans. EDF espère toutefois
que ses équipes auront fini de dé-
sosser le petit réacteur de 300 MW
de Chooz (Ardennes) en 2022.
Son démantèlement a commencé
début 2000. Suite page 16

NUCLÉAIRE


Fessenheim radiée


Le réacteur numéro 1 de la plus ancienne centrale de France,


sise dans le Haut-Rhin, devait être arrêté dans la nuit de vendredi


à samedi. Si l’atome a la vie dure, l’acte marque le début


de la transition vers les énergies nouvelles.


france

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