Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

Libération Samedi 22 et Dimanche 23 Février 2020 u 15


N


on, «Emmanuel Macron n’a pas le nu-
cléaire honteux», assure-t-on à l’Ely-
sée. Durement critiqué par ceux qui
jugent absurde que la France décide de se
passer de 1 800 mégawatts d’énergie décarbo-
née en pleine urgence climatique, le chef de
l’Etat tient à faire savoir qu’il reste attaché à
l’atome. Il pourra paraître paradoxal qu’il re-
vienne à ce président de culture plutôt pronu-
cléaire d’honorer la promesse faite aux écolo-
gistes en 2012 par François Hollande.
Fermer Fessenheim? Pour Macron, c’est aussi
un geste diplomatique. Collée à la frontière,

Fessenheim, sur grand canal d’Alsace jeudi, à la veille de l’arrêt du réacteur numéro 1.


bout du cauchemar du chantier de l’EPR de
Flamanville.
S’agissant de Fessenheim, l’Elysée voit son ar-
rêt comme un premier pas vers l’objectif de
réduction de 71 % à 50 % de la part du nuclé-
aire dans la production d’énergie en 2035. La-
borieusement arrachée par les écologistes,
cette réduction est assumée : «Le Président est
­convaincu qu’il faut augmenter la part du re-
nouvelable», assure un proche.
Mais au-delà de Fessenheim, si douze autres
réacteurs ont été listés, EDF a refusé de s’enga-
ger clairement sur un calendrier de fermetures
supplémentaires. En 2018, Nicolas ­Hulot a ba-
taillé pour obtenir un échéancier. Il souhaitait
de nouveaux arrêts dès 2022, tandis qu’EDF
n’en envisageait qu’à partir de 2029. C’est entre
autres parce qu’il estimait avoir été lâché par
l’exécutif sur cette question qu’il avait brutale-
ment claqué la porte du gouvernement.
Alain Auffray

Mais alors que chacun mesure les effets du
dérèglement climatique, Macron n’hésite
plus à se faire l’apôtre d’un nucléaire sans le-
quel la neutralité carbone en 2050 – objectif
fixé par le «pacte vert» de l’UE – resterait inat-
teignable. En visite à Varsovie, début février,
il a indiqué que la France était disponible
«pour bâtir une énergie du nucléaire en Polo-
gne». Dépendant à 80 % de charbon, ce pays
n’aurait pas d’autre choix que de laisser une
large place à l’atome, dans son futur mix éner-
gétique loin devant les renouvelables.
Cela vaut aussi pour l’Hexagone. Dans sa pré-
sentation de la Programmation pluriannuelle
de l’énergie (PPE), Emmanuel Macron a
­confirmé en 2018 son attachement à une in-
dustrie nucléaire qui «permet de bénéficier
d’une énergie décarbonée et à bas coût». Il a
demandé à EDF de lui présenter un plan
complet pour la construction de nouveaux
réacteurs nucléaires... quand il sera venu à

la plus ancienne centrale française était,
vu d’Allemagne, comme une menace et une
provocation. En 2012, quand Paris promet son
démantèlement, la chancelière Merkel vient
d’annoncer, au lendemain de la catastrophe
de Fukushima de mars 2011, l’arrêt définitif
des 17 centrales allemandes. Le sujet reste
­ultrasensible outre-Rhin. Un ministre fran-
çais confie à Libération qu’à chaque fois qu’il
le croise, son homologue allemand lui de-
mande quand sont programmés les prochains
démantèlements, notamment celui des réac-
teurs de Cattenom, en Lorraine. Cette cen-
trale est aussi la bête noire du Luxembourg,
au point que le gouvernement du Grand-Du-
ché s’est même dit prêt à prendre en charge
la requalification des emplois qui en dépen-
dent. Le principe de la sortie du nucléaire est
acté en Suède, Italie, Belgique et en Suisse. En
Autriche, sa prohibition a même été inscrite
dans la Constitution.

Le paradoxe atomique d’Emmanuel Macron


Pour le chef de l’Etat, plutôt
de sensibilité pronucléaire,
la fermeture du réacteur
promise par son prédécesseur
vise aussi à rassurer
ses voisins européens.
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