Libération - 22.02.2020

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Libération Samedi 22 et Dimanche 23 Février 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3


L


es 448 000 paysans français attendent
toujours d’être fixés sur leur sort, après
l’échec, vendredi à Bruxelles, des né-
gociations sur la politique agricole commune
(PAC) pour 2021-2027. Emmanuel Macron,
qui doit inaugurer ce samedi à Paris le Salon
international de l’agriculture, s’oppose «fer-
mement» à une baisse de 60 milliards d’euros
de la PAC sur sept ans demandée par plu-
sieurs pays, dont l’Allemagne, alors que cette
subvention constitue la principale source de
revenus des agriculteurs français. Le Pré­-
sident devrait par ailleurs s’afficher auprès
des viticulteurs frappés par la hausse des
taxes douanières vers les Etats-Unis – Donald
Trump entend ainsi sanctionner les aides
publiques versées à Airbus, qui concurren-
cent Boeing – ou réconforter les marins-pê-

cheurs qui perdent l’accès aux eaux britanni-
ques avec le Brexit. Dans un entretien publié
vendredi par les principaux quotidiens ré-
gionaux, Macron souligne son «attachement
particulier à l’agriculture qui participe de
l’art d’être français». La précision ne va pas
de soi pour un président souvent ­accusé de
privilégier les métropoles et contesté depuis
plus d’un an par le mouvement des gilets
jaunes.
Comment se passera sa venue au Salon?
A deux semaines des élections municipales,
sera-t-il conspué comme lors de l’édition
2018? Ou plus modestement sifflé, comme
en 2019, lorsqu’il avait consenti une visite re-
cord de 14 h 40? Certes, les acteurs du salon
sont peu enclins aux gros esclandres. Et la
FNSEA, syndicat majoritaire, doit, depuis les
révélations de Mediapart mercredi, justifier
les salaires de ses dirigeants : 13 400 euros
brut pour le directeur général, 9 600 pour son
adjoint, alors que la base se paupérise. Mais
les relations entre l’Elysée et les représentants
du monde paysan se sont crispées la semaine
passée et des rencontres sur fond de crise so-
ciale, économique et environnementale.

Les retraites. Emmanuel Macron a fini par
reconnaître, le 11 février, devant les députés
de sa majorité réunis à l’Elysée, que sa pro-
messe d’augmenter les retraites paysannes ne
tiendrait pas : «Il ne faut pas se leurrer, on ne
pourra pas aller à 1 000 euros pour tous.» Jus-
qu’ici, les principaux syndicats du secteur
étaient parmi les rares à se sentir favorisés par
le projet de réforme, d’où l’absence de cortè-
ges paysans dans les manifestations cet hiver.
Le seuil minimal «universel» annoncé
à 1 000 euros par mois était supérieur aux
740 euros que perçoivent les agriculteurs en
moyenne. Le hic : celui-ci ne s’appliquera
qu’aux personnes qui partent après 2022 (les
retraités actuels ne seront pas revalorisés) et
ayant cotisé 165 trimestres (les femmes pré-
sentant une interruption de carrière de-
vraient être particulièrement lésées). Le 12 fé-
vrier, Christiane Lambert, présidente de la
FNSEA, a exprimé son «immense déception».

La rémunération. Les hypermarchés
­continuent d’engranger, les consommateurs
de payer cher et les agriculteurs de gagner
peu, malgré la loi EGalim votée après les Etats

généraux de l’alimentation en 2018. Ce texte
est censé garantir «l’égalité des relations com-
merciales». Mais c’est «un échec», selon la
Confédération paysanne (troisième organisa-
tion syndicale lors des élections profession-
nelles), qui révélait en octobre, conjointement
avec l’UFC-Que choisir, que le lait de vache
était toujours acheté 15 % en dessous de son
coût de production, la viande 14 %. L’Etat a
déjà prononcé 4 millions d’euros d’amende
contre les enseignes qui tentent de contour-
ner la loi avec des centrales d’achat implan-
tées à l’étranger, par exemple en Belgique. Sur
les revenus des agriculteurs, l’Elysée évoque
une «amélioration» dans les filières lait, vo-
laille, œufs, porc (en raison de la hausse de la
demande en Chine), mais pas encore dans
l’élevage bovin.

Le glyphosate. Si des manifestations
d’agriculteurs ont cours ces jours-ci dans de
nombreuses villes, c’est en raison de la mise
en place de «zones non traitées» autour des
habitations. Depuis le 1er janvier, il est interdit
d’épandre sur une bande de 5 à 20 mètres des
produits à base de glyphosate que l’Agence
nationale de sécurité sanitaire de l’alimenta-
tion, de l’environnement et du travail (Anses)
soupçonne d’être cancérigènes. Le président
Macron essaie de ménager paysans et rive-
rains inquiets. Il concède que l’interdiction
du glyphosate prévue pour 2021 «ne sera pas
tenable sur la totalité des exploitations».

Les traités de libre-échange. De la très
mauvaise marchandise venue de pays peu re-
gardants (le fameux bœuf aux hormones ou
le poulet à la javel, dont on parle depuis
vingt ans... et qui deviennent enfin réalité ?) :
les organisations agricoles dénoncent une
concurrence d’autant plus déloyale que la
France améliore la qualité de ses fruits, légu-
mes et produits animaux, et que cela engen-
dre un surcoût chez les agriculteurs. Elles de-
mandent la fin du Ceta, le traité de libre-
échange conclu entre le Canada et l’Union
européenne il y a deux ans et demi : Macron
rétorque que ces accords ont permis d’aug-
menter de 46 % les exportations vers le pays
nord-américain. Le Président s’engage à re-
vanche à ne pas s’associer avec le Mercosur,
arguant que cela reviendrait à devenir auto-
matiquement partenaire avec le Brésil, qui a
«une politique de déforestation assumée». La
Coordination rurale (deuxième syndicat agri-
cole aux élections) veut aller plus loin avec
l’application de l’article 44 de la loi sur l’ali-
mentation, qui prohibe l’importation de pro-
duits agricoles ne respectant pas les normes
en vigueur dans l’Union européenne.

L’agribashing. «Je ne tolérerai aucune vio-
lence à l’encontre des agriculteurs.» Dans ces
propos diffusés vendredi par la presse régio-
nale, le président de la République affiche son
soutien à la profession. Sous le terme d’«agri-
bashing», la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs
invoquent diverses attaques, aussi bien les
agressions physiques sur les biens et les per-
sonnes que les critiques sur les réseaux so-
ciaux, le travail des lanceurs d’alerte (L214 sur
les abattoirs, d’autres collectifs sur le glypho-
sate), des enquêtes journalistiques... Les deux
syndicats ont passé une convention avec le
ministère de l’Intérieur, qui a lancé cet hiver
une cellule de gendarmerie, «Déméter», desti-
née à «prévenir les actes délictueux». Para-
doxe : alors que de nombreux exploitants
­disent souffrir de cet agribashing, un sondage
Odoxa-Dentsu Consulting pour France Info
et le Figaro indique cette semaine que 88 %
des Français ont une bonne ou très bonne
opinion des agriculteurs (ils étaient 85 % l’an
passé). 90 % des sondés jugent la profession
utile, 89 % courageuse.
P.C.

Les plaies des champs


Réforme de la PAC et des
retraites, interdiction du
glyphosate... Samedi Porte
de Versailles, Macron va
à la rencontre d’agriculteurs
très inquiets pour leur avenir.

A Rioms-ès-
Montagnes
(Cantal). Photo
Alain Keler. MYOP
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