Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

Libération Samedi 22 et Dimanche 23 Février 2020 u 39


trie : «Les jeunes se rendent compte
qu’ils n’ont pas besoin d’un label
pour se faire connaître, passer à la
radio ou mixer en club.»
La DJ Miz Dee abonde : «En mettant
ta musique en téléchargement gra-
tuit, tu ne gagnes peut-être pas d’ar-
gent immédiatement, mais si ton son
circule bien, tu te fais connaître et tu
trouves des dates pour jouer. Suffi-
samment pour en vivre.»

Le pari risqué
du streaming
WhatsApp ou streaming, l’un n’ex-
clut pas toujours l’autre. DJ Lag est
le fer de lance international de la
scène gqom, ce qui lui a valu une
collaboration avec Beyoncé. En 2017,
le producteur de Durban a sorti son
EP Trip to New York en exclusivité
sur la messagerie, avant de le rendre
disponible sur les plateformes de
streaming quelques mois plus tard.
Il récidive en 2019 en sortant le clip
d’Amanikiniki directement sur
WhatsApp, dans un ­format vertical
adapté aux smartphones. Pour sa
manageuse Sevi Spanoudi, la straté-
gie était évidente : «Sa fanbase sud-
africaine communique principale-
ment ici, donc c’était la façon la plus
directe de la toucher. Mais DJ Lag a
aussi sorti de la musique avec Atlan-
tic Records [label américain apparte-
nant à Warner, la maison de disques
de Cardi B et Jay Z, ndlr], ce qui per-
met d’atteindre un public plus inter-
national. Il est important d’être pré-

sur la structuration du marché sud-
africain, en avance sur le reste du
continent : «Ce sont les tout débuts
du streaming, mais ça prend de l’am-
pleur, on est tranquillement en train
de basculer.» Si Spotify n’a lancé son
service sud-africain qu’en 2018 –
c’est le seul pays d’Afrique subsaha-
rienne investi par la firme à ce jour –,
Apple Music est présent depuis 2015.
C’est, d’après Sevi Spanoudi de
Black Major, «le pays au monde où
Apple Music progresse le plus vite».
Sans compter les acteurs africains
comme SimFy ou Boomplay.
Quant aux JazziDisciples, duo star
de la scène amapiano, ils comptent
bien avoir leur part du gâteau : «Au
départ, on balançait nos sons gra-
tuitement, pour la hype. Mais quand
on a commencé à comprendre un
peu mieux le business, on a tout mis
sur Spotify, Apple Music... Parce
qu’on voit au-delà des townships et
des frontières», explique le groupe
qui nourrit des ambitions interna-
tionales. Un pari risqué pour un son
qui reste pour l’instant très local.
«Quand on a arrêté de mettre notre
musique à disposition gratuitement,
les gens n’ont pas compris. On essaie
d’éduquer nos fans, mais il y aura
toujours du piratage.» A moins que,
comme le suggère malicieusement
Da Kruk de YFM, Facebook, pro­-
priétaire de WhatsApp, «ne finisse
par y voir une opportunité de moné-
tisation». Et ne fasse de WhatsApp
une vraie plateforme musicale.•

sents sur les deux terrains.» La fon-
datrice de l’agence Black Major, ba-
sée au Cap, adapte simplement sa
communication et sa distribution
en fonction des usages locaux. «Ici,
c’est WhatsApp, mais l’écoute de mu-
sique sur YouTube fonctionne très
bien dans d’autres pays africains où
les données coûtent moins cher,
comme au Kenya, en Tanzanie ou au
Nigeria.»
Certains artistes se passeraient
pourtant bien de cette circulation
sauvage de leurs morceaux. «Les
musiciens sud-africains prennent
peu à peu conscience de l’argent que
le numérique peut générer», con-
firme Thibaut Mullings du distribu-
teur Idol, qui se montre optimiste

L


es premiers de la
classe, c’est tou-
jours énervant.
Parce qu’évidem-
ment cela ramène à ses pro-
pres lacunes. Alors on fait
tout de suite la moue quand
l’on apprend que ce jeune
Nantais, âgé seulement de
15 ans, a été découvert
en 2015 par KRCW, une radio
de Los ­Angeles qui a flashé
sur son premier titre, Under
the Same Flag, au point de le
passer en boucle. Il aggrave
son cas trois ans plus tard
en étant sélectionné inouïs
du Printemps de Bourges
puis lauréat, toujours
en 2018, du prix Nouvelles
Scènes Music Machines.
Point trop n’en faut? Eh bien
non, car en écoutant son pre-
mier EP, on comprend mieux
le déferlement de récompen-
ses. Grégoire Dugast entre
par la grande porte dans la
catégorie de ces artistes de
haut vol dont on ne sait pas

s’il faut d’abord saluer une
voix, assez stupéfiante, ou
bien la finesse de ses compo-
sitions tendues qui se déploie
savamment entre électroni-
que et folk.
Bien aidé à la production par
20Syl (C2C), son oncle, qui lui
a mis le pied à l’étrier en lui
donnant un vieil ordi pour
­démarrer, le jeune homme,
toujours étudiant en design,
affiche comme références
­Leonard Cohen, ­David Bowie
ou... Woodkid. De quoi
l’orienter vers un registre
100 % anglophile? Pas forcé-
ment si l’on écoute le très
­réussi Feu, sur lequel Degree
s’essaie pour la première fois
à l’usage du français qui l’en-
traîne vers un univers à la
fois trouble et mélancolique
et surtout encore plus per-
sonnel. La direction à suivre?
On vote pour.
Patrice Bardot

Memories (Ippon)

La découverte


Degree,


c’est chaud


le livre


J


ul, IAM, Soprano... C’est une cer-
titude : aujourd’hui, quand on as-
socie musique et Marseille, ce
n’est pas le rock qui vient le pre-
mier à l’esprit, mais bien le rap. Comme
toujours, les clichés ont la peau dure.
Après la parution, en 2017, du pertinent
Une histoire du rock à Marseille, signé
­Robert Rossi, qui retraçait les années
­héroïques, des années 50 aux seventies,
voici ce que l’on peut considérer comme
le volume 2, même si l’auteur n’est plus le
même.
Logiquement, ce livre très bien docu-
menté, tant sur les groupes que sur les
lieux, démarre, lui, aux années 80 pour se
clore aujourd’hui. Des Martin Dupont en passant par les Neu-
rotic Swingers, Kill the Thrill, jusqu’aux récents Kid Frances-
coli et Nasser, c’est toute l’effervescence underground rock
de la ville qui défile dans les pages. Même s’il a fallu parfois
jouer des coudes, à partir des années 90 pour que les guitares
aient aussi droit de cité. Seul (tout petit) regret, ­l’absence dans
l’ouvrage de deux groupes cultes du début des années 80 du
côté de la Bonne Mère : Ascenseur et Electric Soupçons. Nobo-
dy’s perfect.

Le rock, l’autre


voie de Phocée


Histoire
du rock
à Marseille
1980-2019
de Pascal
Escobar (le Mot
et le Reste)

smartphones. Captures d’écran YouTube


«Quand tu termines
un morceau, tu

l’envoies à tous tes


amis, qui le


partagent à leurs


amis. [...] Le
lendemain, tu

entends le morceau


dans les taxis


collectifs.»
Thabang Moloto
alias DJ Papercut
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