Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

Libération Samedi 22 et Dimanche 23 Février 2020 u 41


Agoria & Jacques
Visit
La meilleure chose du film Lucky?
Sa B.O. signée par le producteur
électronique. A l’image de ce titre
minimal mais irrésistible, dominé par la
guitare frétillante de Jacques pendant
qu’une basse ludique donne du rythme.
Une drôle de sarabande.


Prins Thomas
Bringing Mum to Panorama Bar
(Diskomiks)
Spécialiste d’une disco house tordue, le
Norvégien Prins Thomas s’est piqué de
produire une série de titres plus relevés
à destination des clubs. Pari réussi avec
un Bringing Mum to Panorama Bar à la
fois percussif, discoïde et hypnotique.

Blutch
La Cité des étoiles
Entre James Holden et Rone, ce
Français qui n’a rien à voir avec le
célèbre dessinateur signe cinq titres
rêveurs et accrocheurs. La Cité des
étoiles, mélodique et nostalgique,
surprend par sa superposition
de couches façon mille-feuilles.

Retrouvez cette playlist
et un titre de la découverte
sur Libération.fr ­en partenariat
avec Tsugi radio

Greg Dulli


jusqu’au bout de la nuit


Vous aimerez aussi

16 Horsepower
Sackcloth’n’Ashes (1996)
Une version plus «hilbillly»
et gothique mais tout
aussi hantée de l’ameri-
cana, que les fans des
­Violent Femmes adoreront
aussi.

The Gutter Twins
Saturnalia (2008)
Collaboration entre deux
légendes proto-grunge,
l’ex-Screaming Trees Mark
Lannegan et Greg Dulli, cet
album attachant ne tient
pas toutes ses promesses.

Bambara Stray (2020)
Du rock sombre et lyrique,
lourdement influencé par
Gun Club et Birthday Party
(le chanteur à des accents
à la Nick Cave), en plus
­propre mais néanmoins
­recommandable.

pleine vague grunge, quand les majors vou-
laient signer du rock authentique et enragé,
ce groupe de Cincinnati qui fit un bref passage
chez Sub Pop publia Gentlemen chez Elektra
Records. A juste titre considéré comme leur
chef-d’œuvre, cet album au spectre cinémato-
graphique n’a pourtant pas réussi à dépasser
le stade du disque culte, malgré l’importante
rotation de ses singles sur MTV. Depuis, la
carrière de Greg Dulli n’a plus jamais vraiment
décollé, que ce soit avec The Af-
ghan Whigs ou avec son projet
parallèle The Twilight Singers.
Présenté comme son premier
album solo officiel (même si les
plateformes de streaming gar-
dent la trace d’un autre disque
baptisé Amber Headlights
en 2005 et d’un live en 2008),
Random Desire ravira en tout
cas sa poignée de fans qui trou-
veront, à juste titre, qu’il n’a rien
produit d’aussi viscéral depuis
un moment (on pense notamment à des titres
comme Sempre ou The Tide). Débutant sur un
rideau de basse tombant comme un inquié-
tant déluge, Random Desire a des accents cré-
pusculaires et une authenticité rare. Une au-
tre vision de l’americana.
A.B.

G


reg Dulli, c’est d’abord une
voix. Une sorte de baryton
basse rock patiné et dramati-
que, quelque part entre Nick
Cave et Johnny Cash. Un chanteur d’une poi-
gnante intensité, exprimant un sentiment os-
cillant entre supplique et colère
dans un rock cathartique qui
emprunte aussi bien au gospel,
au blues et à la soul qu’au
grunge – dont il fut une des figu-
res marginales. Mais cet organe
remarquable, et les quelques ex-
cellentes chansons qu’il a pu
écrire tout au long d’une carrière
débutée à la fin des années 80
dans les marges du punk, n’ont
étrangement jamais suffi à faire
de ce natif d’une petite ville de
l’Ohio, l’un des Etats agricoles des Etats-Unis,
une star. Il s’en est fallu de peu.
Pour mémoire, Greg Dulli a été durant près de
trente ans le chanteur de The Afghan Whigs,
groupe avec lequel il jouait une musique han-
tée et pas forcément très éloignée de celle qu’il
produit aujourd’hui en solo. En 1993, en

Le leader de The Afghan Whigs
signe un premier album solo
d’une poignante intensité.

Greg Dulli Random
Desire (BMG)

La pochette


Gang of Four Entertainement
(Parlophone/Warner Music)

Une anti-pochette En ces glo-
rieuses années post-punk, en-
tre 1978 et 1984, où on «déchire tout
et on recommence», pour paraphra-
ser le titre du livre du journaliste
anglais Simon Reynolds Rip It Up
and Start Again, nombre d’«anti-
pochettes» de disques sont appa-
rues dans les bacs. On a déjà évoqué
ici (Libération du 30 novembre)
celle du Go2 de XTC et son long
texte sur les ficelles de l’industrie de
la musique en guise de couverture
anticonsumériste. Publiée un an
plus tard, en 1979, la pochette du
premier album de Gang of Four, un
autre groupe anglais engagé dont la
musique associait guitares métalli-
ques singulièrement tranchantes à
des éclats de funk blanc, s’inscrit
dans cette lignée.


Gang of Four politique


du détournement


Dès la pochette «situationniste» de leur premier album,
engagement politique et rock acéré ont toujours fait bon
ménage chez ces post-punks britanniques.


Le rouge Conçue par les deux fondateurs du
groupe, le guitariste Andy Gill, qui vient de dis-
paraître, et le chanteur Jon King, que l’intérêt
pour l’histoire de l’art et la musique avait réunis
sur les bancs de l’école, la pochette d’Entertaine-
ment («divertissement») s’inspire directement
des détournements réalisés par l’Internationale
situationniste durant les années pré et post-68.
Ce groupe gauchiste, auquel appartenait Guy De-
bord, le théoricien de «la société du spectacle»,
avait pour habitude d’utiliser l’humour comme
arme révolutionnaire, remplaçant les bulles des
cartoons américains, comme le faisait Raoul Va-
neigem, ou les sous-titres de films (La dialectique
peut-elle casser des briques ?, détournement d’un
film chinois par René Viénet en 1973) pour faire
passer de virulents messages anticapitalistes.

Le cow-boy et l’Indien L’image détourée
d’un indien serrant la main d’un cow-boy est
extraite d’un des nombreux films adaptés
dans les années 60 des livres écrits par le très
populaire romancier allemand Karl May. Ces
westerns racontant les aventures du chef in-
dien imaginaire Winnetou furent extrême-
ment populaires en Allemagne, notamment
de l’Est. Sur la pochette, les visages ont été
grossièrement coloriés pour n’être plus
qu’un stéréotype racial, le Peau-Rouge et le


Blanc. Le texte serpentant entre les trois diffé-
rents cadrages de l’image dit : «L’Indien sou-
rit, il pense que le cow-boy est son ami. Le
cow-boy sourit, il est heureux d’avoir dupé
l’Indien, il va pouvoir l’exploiter.» Ironique-
ment, si Gill et King ont imaginé ce visuel,
c’est la société hollandaise Cream, une des
plus grosses boîtes de design de disques ha-
bituée à collaborer avec le tout-venant de
l’industrie de la musique, qui l’a réalisée.
Alexis Bernier

Maciek Jasik

On y croit

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