Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

48 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 22 et Dimanche^23 Février 2020


presse popularisait. En-
tre 1880 et 1890, «l’expression
“fin de siècle” volait de bou-
che en bouche», et elle res-
tera dans le vocabulaire pour
désigner l’esprit d’une so-
ciété qui croit sa fin venue
mais en témoigne de façon
raffinée. Psychiatre, profes-
seur honoraire de psycholo-
gie pathologique, Louis
Crocq restitue cette «menta-
lité crépusculaire» à travers
les portraits d’aristocrates
gagnés par la mélancolie et
d’artistes «décadents». R.M.

Philosophie


arnaud villani
La terre
engloutie?
Une philosophie
de l’écologie
Kimé, 176 pp., 20 €.

Le «harcèlement impénitent
de la culture humaine sur la
nature» est immémorial.
Mais nombreux sont à pré-
sent les signes que la nature
supporte de plus en plus mal
ces agressions et «réagit» avec
une violence telle qu’il n’est
plus impensable d’envisager
le pire pour les existences,
humaines et non-humaines.
C’est pourquoi l’écologie
s’impose comme «fondement
de toute politique réaliste», et
se doit d’inventer de nou-
veaux concepts et une nou-
velle culture capables de ga-
rantir à la vie sur Terre
quelque chose comme un fu-
tur. Mais elle ne peut le faire
qu’en «se retournant», en re-
gardant l’histoire, l’ethnogra-
phie, la philologie, l’histoire
des religions, afin de recons-
truire l’«attaque concertée»
que depuis des millénaires la
culture humaine mène con-
tre la nature – une guerre
qu’on a souvent tenté de mas-
quer ou de nier, se privant
ainsi de la possibilité d’y met-
tre fin. C’est à cette tâche éco-
logique et philosophique que
se consacre ici Arnaud
Villani, longtemps professeur
de philosophie en classes
préparatoires au lycée Mas-
séna de Nice. R.M.

de s anné e s 70 aux an-
nées 2000. Un monde à la
fois attachant et révoltant,
et déjà en voie de dispari-
tion. Après sa fuite, en 2009
Mijin, comme beaucoup
d’autres exilés, découvre le
christianisme, la difficulté
d’adaptation à la société
sud-coréenne et l’immense
nostalgie de la patrie per-
due. A ce récit subjectif, les
auteurs entremêlent des
passages très documentés,
qui permettent de mieux
comprendre l’histoire et
l’évolution d’une Corée du
Nord si mal connue. L.D.

Psy


Louis Crocq
Névroses
et névrosés
fin-de-siècle
(1880-1900)
Imago, 228 pp., 20 €.

Il fut un temps où être né-
vrosé, et le faire savoir, était
plutôt chic. Le cynisme, l’en-
nui, l’angoisse, l’«isolement
romantique», l’«attrait de la
décadence», le «refuge dans
l’occultisme», la désillusion,
le tout-m’est-égal, l’inquié-
tude, etc., se manifestaient
devant ce qu’on croyait être
une «fin de siècle, fin de
monde, fin de race, fin de
bonheur et fin d’espérance»,
mais, dans certains milieux
bourgeois, artistiques, litté-
raires, étaient vécus avec
une certaine délectation, de
façon sophistiquée, «sensi-
ble» et quelque peu snob. Il
y avait bien des raisons de
sombrer dans le pessi-
misme, l’acédie ou la neu-
rasthénie – la défaite
de 1870, les scandales finan-
ciers et politiques – mais ce
n’était pas une raison pour
se priver des plaisirs, dont
celui, justement, d’arborer
comme une médaille sa né-
vrose, d’exhiber ces symptô-
mes «hystériques» que la
psychiatrie d’alors et la psy-
chanalyse naissante (Freud,
Charcot, Breuer, Janet...)
étudiaient et que la grande

en 1932 et 1933. Il y fit des
rencontres déterminantes,
comme le capitaine V., formi-
dable conteur, le petit-fils de
Paul Gauguin et le dernier
grand amour de sa vie, la
peintre hollandaise Anne-
Marie Ten Cate. Ce recueil
rassemble quelques-uns de
ses écrits composés à cette
époque, qui décrivent les
paysages de l’île, ses balades
solitaires et ses rêveries. Il y
a aussi plusieurs fragments
sur les effets plutôt bienheu-
reux du haschisch : « Je
n’avais rien à craindre d’un
quelconque malheur à venir,
d’un futur de solitude, le ha-
schich serait toujours là.»
C’est à ce moment qu’il com-
mence Enfance berlinoise
vers 1900, publié après sa
mort en 1940. F.Rl

Dorian Malovic et
Juliette Morillo
Mijin. Confessions
d’une catholique
nord-coréenne
Bayard,
220 pp., 18,90 €.

Des nouilles de terre et des
gâteaux d’écorce, des mai-
sons achetées contre des
sacs de pomme de terre ou
quelques kilos de choux à
des familles désespérées...
La description de la famine
qui s’est abattue sur la Corée
du Nord entre 1995 et 1997
fournit les passages les plus
glaçants du récit de Kang
Mijin. Débrouille, corrup-
tion, superstition, patrio-
tisme, relations familiales et
conjugales... Les souvenirs
de cette ancienne mineure
née il y a cinquante ans
dans une famille aisée dé-
peignent la Corée du Nord

une semaine pour le retrou-
ver à Jacques, un chercheur
sympathique mais un peu fa-
lot. Et lui adjoint Mauricette,
sa secrétaire, une fausse
blonde qui fut la maîtresse
d’Halfman. A ce stade, le ro-
man a tout du hard boiled
américain, le détective et la
pin-up lancés à la poursuite
d’un homme en cavale. Sauf
que l’auteur de Nos Conversa-
tions célestes n’est pas un
­familier du polar mais un
historien des religions, spé-
cialiste du judaïsme. Auteur
de Moïse fragile (Alma) prix
Goncourt de la biographie
en 2015 et d’un formidable
Juif de mauvaise foi (Lattès)
en 2017, Jean-Christophe At-
tias s’est amusé à trousser un
premier roman qui fourmille
de formules choc : «Après la
Nuit debout, voici le Jour de
boue», «Toutes les terres sain-
tes sont des terres maudites»,
«Nous approchions de ces ter-
res arides où Rien se révèle
aux va-nu-pieds. Chacun s’y
croit prophète quand il est
modeste. Messie quand il l’est
un peu moins. Dieu quand il
ne l’est pas du tout. Vous leur
flanquez une gifle, et ils vous
déclenchent une guerre mon-
diale pour cent générations.»
La fin est un peu abracada-
brante mais on s’amuse. A.S.

Julien Thèves
Les rues bleues
Buchet-Chastel,
252 pp., 16 €.

Un piéton de Paris, c’est-à-

dire un provincial, n’envi-
sage pas de repartir. Plus il
est ancien dans les lieux,
plus il a la chance de pouvoir
dire «déjà». «Les fast-foods,
les boutiques de fringues
cheap ­ – déjà, à cette époque»,
écrit l’auteur, jeune arpenteur
solitaire en 1989. Les détails
s’écoulent dans le sablier, il y
a de plus en plus de bars gays,
le décompte commence sur
l’horloge de Beaubourg,
avant 2000 on vit sans télé-
phone dans la rue, on est
«précaires ou branchés», les
mots Karcher ou Navigo en-
trent dans le vocabulaire, ce-

pendant que le narrateur
continue son éducation sen-
timentale. Trente ans passent
comme un rêve. cl.d.

Daniel Kehlmann
Le roman
de Tyll Ulespiègle
Traduit de l’allemand
par Juliette Aubert,
Actes Sud, 416 pp., 23 €.

L’inquisiteur Athanasius Kir-

cher, qui a fait condamner à
mort pour sorcellerie le père
de Tyll Ulespiègle, a trouvé
un nouveau débouché. Des
années plus tard, le «gamin»
Tyll, devenu un légendaire
saltimbanque et bouffon,
rencontre Kircher, qui n’en
mène pas large. On est tou-
jours en pleine guerre de
Trente Ans (1618-1648), et
Athanasius est devenu expert
en dragontologie. Il reste per-
suadé qu’il pourrait miton-
ner avec du sang de saurien
mythique un remède contre
la peste et ramener la paix
dans une Europe déchirée
par les conflits religieux.
L’histoire de Tyll Ulespiègle
ou Till l’Espiègle, personnage
phare de la culture populaire
en Allemagne, a été de nom-
breuses fois utilisée dans la
littérature ou au cinéma. La
version de Daniel Kehlmann
fournit de formidables épiso-
des aventureux et des plon-
gées oniriques dans l’obscu-
rantisme de l’époque. Sur un
fond de brume et de paysages
dévastés, se détache la figure
de «la reine d’un hiver», Eli-
sabeth Stuart, dont le mari
fut propulsé sur le trône de
Bohème, décision déclic de la
guerre. F.F.

Récits
Walter Benjamin
Récits d’Ibiza et autres
écrits Traduction
et présentation de Pierre
Bayart, Riveneuve
«Pépites», 164 pp., 9,50 €.

A la recherche d’un lieu pai-
sible pour travailler, Walter
Benjamin séjourna à Ibiza

Romans


Boris Marme
Aux armes
Liana Levi, 272 pp., 19 €.


Le timide et complexé Wayne
J. Chambers, 34 ans, est objet
de mépris jusqu’à ce qu’il en-
tre dans la police. L’uniforme
lui donne de la force. Le shé-
rif l’envoie en urgence dans
un établissement scolaire où
des coups de feu sont tirés.
Sur place, Wayne J. Cham-
bers est sidéré par la violence
qu’il entend et qu’il imagine ;
tétanisé, il ne parvient pas à
entrer dans la salle de classe.
Il reste à la porte pendant
que 14 adolescents se font
tuer. Le meurtrier s’est-il
sauvé ou suicidé? Wayne
avoue sa non-intervention.
La sanction est surtout por-
tée par les médias : une
chaîne de télévision révèle
l’inertie de Wayne, que les
journalistes placent à égalité
avec le tueur sur l’échelle du
mal. Des inconnus le mena-
cent au téléphone, le prési-
dent des Etats-Unis parle de
lui et n’en dit pas du bien.
Chambers doit prendre un
avocat. Roman américain
écrit par un Français, Aux ar-
mes traite un sujet connu (la
fusillade de masse) sous un
angle original. V. B.-L.


Jean-Christophe
Attias
Nos conversations
célestes
Alma, 344 pp., 18 €.


Ce livre commence comme
un polar. Professeur brillant
et fantasque, Ben Halfman a
disparu et le doyen de son
institut s’inquiète. Il donne


Sur Libération.fr


Semaine littéraire Lisez un peu de poésie le lundi, par exemple des vers
d’Alicia Gallienne (1970-1990) tirés de L’autre moitié du songe m’appartient (Galli-
mard) ; vivez science-fiction le mardi avec une interview de Frédéric Deslias, qui
met en scène ­ les Furtifs d’Alain Damasio ; feuilletez les Pages jeunes le mercredi :
Les mots sont des oiseaux, un album de Marie Sellier et Catherine Louis (HongFei) ;
le jeudi, c’est polar : Nid de guêpes de Rachel Abbott, traduit de l’anglais par Véro-
nique Roland (Belfond «noir») ; vendredi, recommandations de Libération et coups
de cœur des libraires sur le site Onlalu.

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