Libération - 22.02.2020

(Brent) #1

Libération Samedi 22 et Dimanche 23 Février 2020 u 49


Librairie éphémère


«le Dernier Syrien»,


une jeunesse au printemps


Par Jean-Pascal Guiot Journaliste indépendant

L


e Dernier Syrien sort au moment où l’ultime poche de résistance au
régime de Bachar al-Assad, la région d’Idlib, dans le nord du pays, est
sauvagement bombardée par l’armée gouvernementale et ses alliés
russes. 900 000 civils errent sur les routes.
«Presque personne ne fait attention à cette tuerie. Notre sang n’a aucune valeur»,
dit un des personnages d’Omar Youssef Souleimane. Or le roman – son premier –,
que vient de faire paraître ce journaliste et poète se situe en... 2011. L’année où
tout a commencé, celle des printemps arabes. Une telle durée de l’horreur fait
froid dans le dos. Les témoignages littéraires comme les Portes du néant de Samar
Yazbek ou cinématographiques comme Pour Sama de Waad al-Kateab – c’était
Alep avant Idlib –, n’ont pourtant pas manqué.
Le récit d’Omar Youssef Souleimane est sans doute en grande partie autobiographi-
que. Une jeunesse instruite, très proche de celle de bien d’autres pays dans son
goût pour la liberté, dans sa révolte contre l’injustice, dans son refus des antagonis-
mes religieux et communautaires instrumentalisés, dans son utilisation d’Internet,
est prise dans plusieurs étaux qui la broient. D’un côté une dictature d’une violence
sans aucune limite, de l’autre des islamistes qui lui servent d’alibi et qui veulent
régenter les esprits et les corps. L’ardeur, l’humour, l’ouverture à d’autres formes
de relations amoureuses de ces étudiants se heurtent aussi au poids de la société
traditionnelle, au conformisme, à la peur que fait régner l’omniprésence d’indica-
teurs, de mouchards.
Les courts chapitres du livre sautent d’un protagoniste à l’autre, d’un lieu – Damas
et Homs notamment – à l’autre. Ils sont autant d’instantanés d’une réalité invrai-
semblable, si on ose l’oxymore. La contestation du pouvoir en place est passible
d’effroyables tortures, la traversée à découvert d’une avenue peut coûter la vie,
comme à Sarajevo dans les années 1990. Il y a quelque chose d’effarant, à quoi
il est difficile de se faire, dans la disproportion entre les revendications politiques
et sociétales somme toute banales des jeunes gens – filles et garçons – décrits ici,
et l’engrenage de la brutalité déclenché par le pouvoir en place.
Si bien qu’il ne reste qu’une solution : fuir, partir, comme Omar Youssef Souley-
mane l’a fait lui-même à la fin de 2011 en direction de la France dont il a adopté
admirablement la langue. «Je crois, dit le Youssef du roman, qu’on finira tous, jus-
qu’au dernier Syrien, par se retrouver ailleurs, en dehors du pays.»•

Omar Youssef Souleimane Le dernier Syrien
Flammarion, 259 pp., 18 €. A Deraa, en 2011. Photo Reuters TV

Évolution Titre Auteur Éditeur Sortie Ventes
1 (1) Miroir de nos peines Pierre Lemaitre Albin Michel 02/01/2020 100
2 (53) Municipales. Banlieue naufragée Didier Daeninckx Gallimard 13/02/2020 84
3 (3) Sacrées Sorcières Pénélope Bagieu Gallimard 29/01/2020 77
4 (2) Le Consentement Vanessa Springora Grasset 02/01/2020 67
5 (8) La Panthère des neiges Sylvain Tesson Gallimard 10/10/2019 53
6 (12) Le Bal des folles Victoria Mas Albin Michel 21/08/2019 50
7 (5) Vie de Gérard Fulmard Jean Echenoz Minuit 03/01/2020 46
8 (10) Tous les hommes n’habitent pas... Jean-Paul Dubois L’Olivier 14/08/2019 44
9 (7) Pour rendre la vie plus légère M. Ozouf et A. Finkielkraut Stock 22/01/2019 43
10 (0) Le Triomphe de l’injustice E. Saez et G. Zucman Seuil 13/02/2020 40

Ventes


Classement datalib des
meilleures ventes de
livres (semaine du
14 au 20/02/2020)

Banlieue trahie, banlieue «naufragée» dit le titre du nou-
veau texte de Didier Daeninckx, dans cette excellente col-
lection de libelles, «Tracts», qui se retrouve souvent dans
le tableau des meilleures ventes de la semaine. L’auteur
du Roman noir de l’histoire (Verdier) explique pourquoi
il a quitté Aubervilliers, ainsi qu’il l’avait annoncé dans les
colonnes de Libération (19 octobre 2019) : «Je ne déserte pas
ce territoire, où pendant quarante années j’ai écrit la tota-
lité des dix mille pages publiées, parce que j’ai fini par com-

prendre que c’était lui qui m’avait quitté, abandonné.» Une
manière de donner l’alerte, au moment où la campagne
pour les municipales se concentre sur Paris.
Le lectorat est sensible à tout ce qui évoque les inégalités
sociales. Ainsi, après son succès aux Etats-Unis, le Triom-
phe de l’injustice est-il en train de se frayer un chemin en
France. Cette histoire de la fiscalité américaine entre en
résonance avec les préoccupations de citoyens qui, décidé-
ment, voient la vie en jaune. cl.d.

Source : Datalib et l’Adelc, d’après un
panel de 271 librairies indépendantes
de premier niveau. Classement des
nouveautés relevé (hors poche, scolaire,
guides, jeux, etc.) sur un total
de 115 668 titres différents. Entre
parenthèses, le rang tenu par le livre la
semaine précédente. En gras, les ventes
du livre rapportées, en base 100, à celles
du leader. Exemple : les ventes de
Municipales représentent 84 % de celles
de Miroir de nos peines.

La poétesse Ilse Garnier,
fondatrice avec son mari
Pierre Garnier du
­spatialisme, est morte
­le 17 février à Amiens. Née
Göttel en 1927 dans le
­Palatinat, elle choisit la
poésie sonore, puis vi-
suelle, cosigne des recueils
avec son mari à partir
de 1965, avant de suivre sa
voie avec Blason du corps
féminin en 1979. Passion-
née de technique, elle uti-
lise tous les outils à sa dis-
position (magnétophone,
machine à écrire, photo)
au service d’une poésie
multimédia avant l’heure.

Mort d’Ilse


Garnier


Serge Gruzinski est histo-
rien, Corinne Vandewalle
enseigne le yoga. Ils ont
passé leur enfance ensem-
ble, dans le nord de la
France, après la guerre.
Dans les Enfants du Châ-
teau-Vaissier (Fayard),
passionnante autobiogra-
phie à deux qui compor-
tera plusieurs volumes, ils
croisent l’histoire de leur
famille, leur expérience
et leur regard. Ils en par-
lent lundi à la Maison
de l’Amérique latine
à 19 heures (217, bd Saint-
Germain 75007).

Enfance,


récit


Clémentine Mélois et
Hervé Le Tellier parlent
d’On n’y échappe pas de Bo-
ris Vian et l’Oulipo (Fayard)
à la Maison de la ­poésie
lundi à 20 heures (137,
rue Saint-Martin 75003).
Béatrice Kahn présente
les Dessous (Esperluète) à la
librairie Michèle Ignazi
mardi à 19 heures (17, rue de
Jouy 75004). Bertrand
­Leclair signe Aux confins
du soleil (Mercure de
France) à la librairie les
Nouveautés mardi à 19 heu-
res (45 bis, rue du Fau-
bourg-du-Temple 75010).

Rendez-


vous


nATHALIE hEINICH
uNE HISTOIRE
DE frANCE
Champs libres,
237 pp., 8 €.

«A la fin des années 20 la photo était de-
venue une pratique courante, du moins
dans les familles riches : c’est pourquoi il
ne manque pas de photos de Lionel en-
fant, alors que sa mère Stacia, née vingt
ans auparavant au foyer d’un tout petit
ménage de casquettiers fraîchement émi-
grés, n’a guère été photographiée avant
son mariage.»

Léon Chertok
isabelle Stengers
et Didier Gille
Une Vie de combats
De l’antifascisme
à l’hypnose
La Découverte «Poche»,
462 pp., 13,50 €.

«Même se cacher, c’était déjà résister. Je
me souviens d’un couple auquel j’allais
régulièrement porter des cartes d’ali-
mentation. Ils sont restés cachés pen-
dant toute la guerre, ils n’ont jamais
quitté l’appartement des gens qui les hé-
bergeaient, et ils ont eu la vie sauve. Ils
n’ont pas obéi aux directives allemandes
ni aux “conseils” de l’UGIF.»
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