Les Echos - 24.02.2020

(lily) #1

Brexit : l’avenir hasardeux des agriculteurs


britanniques après la PAC


Marie-Josée Cougard
@CougardMarie

Que peut devenir l’agriculture dans
un pays qui sort brusquement de la
politique agricole commune (PAC)
après en avoir profité pendant qua-
rante-six ans? La question taraude
bien des agriculteurs outre-Man-
che mais sur le continent européen
aussi. Le Royaume-Uni sera à n’en
pas douter pour plusieurs années
l’objet de beaucoup de curiosités
après le Brexit et tiendra lieu de
laboratoire expérimental à une
toute nouvelle autonomie agricole.
Le pire serait que les détracteurs de
la PAC fassent systématiquement
leurs choux gras des moindres suc-
cès obtenus par les Britanniques
dans leur nouvelle configuration.
Alors même que l’Europe agricole a
dramatiquement besoin de se réin-
venter au profit d’un vrai projet
commun. Elle doit en finir avec les
coups de boutoir contre-productifs
des pays membres entre eux. Et le
départ des Britanniques pourrait
leur fournir une opportunité de r es-
serrer les rangs.
Les assauts répétés du Royau-
me-Uni contre la politique agricole
commune (PAC) depuis 1973 sont
gravés dans toutes les mémoires
européennes. Les Britanniques ont

systématiquement critiqué le coût
de la PAC, l’accusant de tous les
maux y compris de la dégradation
de l’environnement. Dans le droit
fil de toutes les empoignades entre
ministres et c hefs d’Etat s ur le s ujet,
les agriculteurs d’outre-Manche se
sont majoritairement prononcés
en faveur du Brexit. En totale con-
tradiction avec leurs syndicats,
convaincus quant à eux que leurs
intérêts seraient mieux servis en
restant dans l’Union européenne.
La contribution britannique au
budget d e la politique a gricole c om-
mune (PAC) avait été placée au cen-
tre des débats et c’est donc le désac-
cord avec l’effort financier
demandé à leur pays que les agri-
culteurs ont exprimé en votant
pour le Brexit, explique en subs-
tance Ludivine Petetin, maîtresse
de conférences à l’université de Car-
diff, dans le rapport Demeter.
Présenté comme « une chance
unique de transformer radicalement
le secteur agricole », le Brexit va
donc se matérialiser dans ce sens.
Les normes européennes vont être
notablement allégées, tout comme
nombre de réglementations per-
çues comme des carcans. C’est le
cas pour ce qui concerne le bien-
être des animaux, les OGM, les
nitrates et les pesticides.

La ligne fixée par Londres pour
sa prochaine politique agricole est
pourtant celle d’un « Brexit vert »
et d’une nouvelle forme d’aides
attribuées selon le principe
de « l’argent public pour les biens
publics ». En clair, à défaut d’être
rémunérés pour produire, les agri-
culteurs britanniques le seront
pour rendre la campagne plus
verte et plus écologique.
« Une longue période de transi-
tion agricole – entre cinq et huit ans –
sera nécessaire à l’adaptation des
agriculteurs au nouveau régime de
financement » , décrypte Ludivine
Petetin. Cette adaptation est
jugée « indispensable pour faire face
à un changement radical » notam-
ment pour les petites exploitations
familiales, qui dépendent forte-
ment des aides directes européen-
nes. Le gouvernement britannique
s’est fixé pour objectif de garan-
tir un financement stable jusqu’en


  1. Au-delà de cette date, « le
    niveau d’aide perçu par les agricul-
    teurs est incertain
    », souligne Ludi-
    vine Petetin. Le Royaume-Uni
    recevait près de 4 milliards d’aides
    de l’UE chaque année, plus de deux
    fois moins que la France (8,9 mil-
    liards), la toute première bénéfi-
    ciaire de la PAC du fait de son poids
    agricole en Europe.


Autre changement majeur par
rapport à la PAC, la sécurité ali-
mentaire, la qualité des aliments
ou le développement rural ne font
pas partie des objectifs justifiant
un financement. Plus surprenant
encore, les agriculteurs britanni-
ques ne seront pas tous mis au
même régime. A chaque nation, sa
politique. L’A ngleterre, le pays de
Galles, l’Irlande du Nord e t
l’Ecosse choisiront leurs spécifici-
tés, quitte à introduire des distor-
sions de concurrence entre
régions. Le pays de Galles a déjà
exprimé sa volonté de voir finan-
cer le développement rural. Mais il
est le seul à avoir fait ce choix.
Parmi les questions épineuses à
régler, celle de la main-d’œuvre
n’est pas la moindre. Avec la fin de
la libre circulation des personnes,
disposer du personnel nécessaire
pour travailler dans les filières
agroalimentaires s’annonce pour
le moins compliqué. Le problème
se posera de façon aiguë pour le
recrutement des vétérinaires tra-
vaillant d ans les a battoirs. Ils s ont à
95 % d’o rigine étrangère en prove-
nance du continent européen. Les
80.000 travailleurs saisonniers du
secteur h orticole britannique vien-
nent aussi, pour 98 % d’entre eux,
de l’UE.n

L’ANALYSE


DE LA RÉDACTION


En quittant l’UE,


les agriculteurs


britanniques perdent


plusieurs milliards


d’aides européennes


liés à la politique


agricole commune.


Londres prépare une


politique agricole


plus simple et surtout


plus verte fondée


sur la rémunération


des services rendus


à la collectivité.


Boll pour « Les Echos »

D


Les points à retenir



  • Depuis 1973, les
    Britanniques n’ont cessé
    de critiquer la politique
    agricole commune, jugeant
    leur contribution financière
    beaucoup trop élevée.

  • Libéré de cette contrainte,
    des normes et des
    réglementations européennes,
    le gouvernement s’est fixé pour
    objectif de rendre la campagne
    plus verte et plus écologique.

  • Mais la question du
    financement n’est pas réglée.
    Les petites exploitations
    familiales, qui dépendaient
    fortement des aides directes
    de Bruxelles, n’ont reçu aucune
    garantie après 2022.

  • Et les financements de la
    PAC en matière de sécurité
    alimentaire, de qualité des
    aliments ou de développement
    rural pourraient ne pas être
    maintenus par Londres.

  • La question de la main-
    d’œuvre étrangère, enfin, avec
    la fin de la libre circulation des
    personnes, risque de mettre
    à mal plusieurs filières.


LE
COMMENTAIRE


d’ Agnès
Verdier-Molinié


ENA, changer de nom pour que rien ne change


L


a France est le seul p ays déve-
loppé à bénéficier des servi-
ces d’une école de formation
des hauts fonctionnaires avec
entrée directe à vie dans les grands
corps et les administrations centra-
les comme l’ENA. La France est
aussi le seul pays à dépasser les
46 % d ’impôts et taxes par r apport à
sa richesse nationale.
Les deux sont intimement liés.
Nos chers énarques pensent plus –
quand ils sont en poste dans le sec-
teur public – aux futurs dépenses et
impôts qu’à rendre ses derniers
supportables. L’ancienne directrice
de l’école avait même déclaré à
l’annonce de la suppression de
l’ENA par l e président de la Républi-
que être « soulagée ».
Il faut dire que la liste est longue
des griefs que l’on peut adresser à
cette é cole : entre soi, conflits d ’inté-
rêts, profit d’un statut à vie permet-

tant des allers-retours publics-
privé, manque de mixité des profils
à la tête de l’Etat, tropisme hyper-
technocratique, complexité dans
l’appréhension de sujets avec ten-
dance à la création d’usines à gaz...
Le rapport Thiriez, sobrement
intitulé « Haute Fonction publi-
que », qui reconnaît, dès la p age 15,
que l’existence de l’ENA « n’a rien
d’évident » , devait préparer un
« big bang ». Ce ne sera pas le cas.
La suppression de l’ENA est écar-
tée au profit d’un ripolinage.
L’ENA va devenir l’EAP (Ecole
d’administration publique). Sur
les 7 é coles supérieures existantes,
en subsisteront 6. Six mois d’ensei-
gnement commun et le tour est
joué, chacun retrouvera ses péna-
tes habituels.
Cela dit, tout n’est pas à rejeter
dans ce rapport. On ne sait pas
encore si le fameux classement de

des écoles de management public
des contractuels, et non plus des
titulaires à vie? Au même titre que
leurs collègues d’HEC ou de l’Insead
souhaitant travailler dans la haute
administration? Et pourquoi ne
pas ouvrir une porte plus large sur
l’université?
Par ailleurs, si on suit le rapport
Thiriez, la réforme pourrait favori-
ser le pantouflage en l’institution-
nalisant, puisque seraient facilités
pour ces managers titulaires les
allers-retours avec le secteur privé
avec une cellule d’outplacement.
La création d’un Institut des hau-
tes études du s ervice public
(IHESP) assurant une formation en
milieu de carrière pour les hauts
potentiels, qu’ils soient fonction-
naires ou issus du privé, est une
bonne piste. Mais pourquoi ne pas
lui faire assumer une vraie forma-
tion continue comme l’Ecole de

guerre, pour ne retenir qu’une for-
mation à temps partiel?
Autre piste très positive : la pro-
position de fusion des corps d'ins-
pection IGA/IGAS/IGF sur le
modèle japonais, qui a fait ses preu-
ves et évite les connivences au sein
des administrations entre contrô-
lant et contrôlé.
Mais dans le rapport, curieuse-
ment, jamais le volet des finances
n’est abordé. Aucun chiffrage des
différentes hypothèses. Combien
coûterait l’IHESP? Mystère. Quel
serait le financement du tronc
commun de six mois? Quel sera
le nouveau cadre financier de
l’EAP? On dirait bien que ce n’est
pas le sujet qui préoccupe nos
anciens de l’ENA. L’intendance
suivra!

Ag nès Verdier-Molinié est
directrice de la Fondation Ifrap.

sortie sera supprimé, mais il sem-
blerait qu’on se dirige vers des
entretiens d’embauche entre les
jeunes d iplômés et les a dministra-
tions. Les grands corps ne
seraient a priori accessibles qu’au
bout de trois ans pour les jeunes
« éapiens ».

Si le gouvernement tient à ces
aspects-là, ce ne serait pas mal,
mais quid du statut à vie? Pour la
haute fonction publique, la ques-
tion se pose. Elle est même centrale
(en dehors des magistrats). Pour-
quoi ne pas profiter de cette
réforme pour faire des diplômés

Il faut aller plus loin
et supprimer le statut
à vie pour la haute
fonction publique.

10 // Lundi 24 février 2020 Les Echos


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