Les Echos - 24.02.2020

(lily) #1

Quatre recettes de patron pour gérer une mairie


par un professeur de cuisine, des
tutoriels, mais également par la
transmission du savoir des rési-
dents. Prix de l’innovation munici-
pale de Saône-et-Loire, remarquée
par des grands c hefs comme
Thierry Marx, cette réalisation se
prolongera, en cas de réélection, par
un village d’artisans et un incuba-
teur de start-up, l’autre dada d’Eric
Michoux. « La désertification des
campagnes n’est pas inéluctable, car
ces apprentis formés ici sont incités à
reprendre des restaurants, des bras-
series, créer des services traiteur, et ce
en milieu rural », se félicite le maire
d’Epervans.

- A LA COMMUNAUTÉ DE
COMMUNES DU THOUARSAIS,
BERNARD PAINEAU (SOTHO-
FERM) CHOISIT SES ÉQUIPES
EN FONCTION DES RÉSULTATS

Cet entrepreneur à la fibre écolo,
candidat à la mairie de Thouars
(Deux-Sèvres), brigue aussi un
deuxième mandat pour présider la
communauté de communes du
Thouarsais, à la tête d’une liste sans
étiquette. Pour continuer en plus à
gérer Sothoferm, un groupe de
menuiserie industrielle spécialisé
dans les volets, de 330 salariés et
47 millions d’euros de chiffre
d’affaires, Bernard Paineau résume
son mode de fonctionnement en
une phrase : « Déléguer aux cadres
et aux vice-présidents, ce qui e n plus a
l’immense mérite de les impliquer et
de leur faire plaisir. »

Comme dans l’entreprise, sémi-
naires et projets de cohésion sont
au programme pour les élus, dont
les réunions sont minutées. « Pas


Ces patrons de TPE, PME, voire
plus rarement de grosses sociétés,
qui portent également l’écharpe tri-
colore en tant que maire sont-ils
schizophrènes? Au contraire,
diront-ils. L es deux mondes ne sont
pas si hermétiques. Ces édiles, à
l’emploi du temps XXL, et au dou-
ble agenda, utilisent l’un pour
nourrir l’autre. Leurs compétences
leur servent dans ces deux univers.
Meilleure connaissance des
appels d’offres, sens de l’organisa-
tion, de la négociation, capacité à
déléguer, compréhension du
monde de l’entreprise... « Je me sou-
viens de ce chef d’entreprise belge,
désireux de s’implanter dans notre
commune, et qui n ous p romettait des

dizaines d’emplois pour mieux négo-
cier le prix du terrain, j’étais le seul
parmi les élus à être en capacité de lui
répondre », se remémore Alain Ber-
theas, ex-patron du spécialiste de
la compression médicale Sigvaris,
président de Loire Forez Agglomé-
ration pendant onze ans.

Strictement encadré
par le Code pénal
La difficulté de combiner les deux
se retrouve dans les chiffres. Selon
les dernières statistiques du
ministère de l’Intérieur, sur les
34.816 maires exerçant au 1er j an vier
2019, seulement 6,3 % sont artisans,
commerçants et chefs d’e ntreprise
(ils étaient 8 % en 2014). Comparé à

leur part dans la population totale
(autour de 3 %), ils restent toutefois
surreprésentés.
Pour ceux qui sont en activité, les
maires sont surtout cadres et pro-
fessions intellectuelles supérieu-
res (16,2 %) suivis par les agricul-
teurs exploitants (14,1 %), ce qui
n’est pas étonnant, compte tenu du
nombre élevé de petites commu-
nes rurales, puis les professions
intermédiaires (11 %) et les
employés (7,8 %). Sachant que,
sans grande surprise, la majorité
des maires (40,5 %) sont retraités...
Mais quid des conflits d’inté-
rêts? A priori, la loi encadre rigou-
reusement les choses. Selon l’arti-
cle 432-12 du Code pénal, un maire

ne peut pas, par exemple, être
prestataire dans sa commune. Si la
commune compte moins de
3.500 habitants, ce qui est souvent
le cas, un chef d’entreprise pou-
vant difficilement gérer une grosse
ville, le cas est possible, mais enca-
dré par plusieurs conditions :
montant annuel des prestations
fixé à 16.000 euros maximum,
impossibilité pour l’élu de partici-
per à la délibération du conseil
municipal relative à la conclusion
ou à l’approbation du contrat,
interdiction pour le conseil muni-
cipal de se réunir à huis clos pour
prendre cette décision, et désigna-
tion d’un membre pour représen-
ter la commune au contrat.

Qui d’autre qu’un patron pour
défendre les intérêts des entrepri-
ses? Animé de cet argument impa-
rable, Bernard Cohen-Hadad, prési-
dent de la Confédération des petites
et moyennes entreprises (CPME) de
Paris Ile-de-France, à la tête d’un
cabinet de courtage en assurance
(BCH Assurances), exhorte ses
troupes à se lancer dans les munici-
pales. Il a lui-même annoncé, fin
janvier, sa candidature sur la liste L a
République En marche dans le 16e
arrondissement de Paris. « Les
entreprises ont besoin de faire enten-
dre leurs voix, les dirigeants ont cette
expérience de terrain, qui est bien
utile pour prendre des décisions pour
le territoire. » — M. K.

Po urquoi la double vie infernale de maires-patrons attire encore


Ils ont un œil sur le carnet de com-
mandes de leur entreprise et un
autre sur l’agenda des inaugura-
tions de la commune. Ils démar-
chent les banques pour un prêt leur
permettant d’investir dans une
nouvelle machine ou un agrandis-
sement de bureau et font les mar-
chés le dimanche matin pour
échanger avec leurs administrés.


Ad eptes des journées XXL,
les maires-patrons mettent
leurs compétences managé-
riales au profit de la ville.
Mais ils doivent aussi
rassurer leurs administrés
sur les risques de conflits
d’intérêts.


- • A EPERVANS, ÉRIC
MICHOUX (GALILÉ) VEUT
ATTIRER LES TALENTS
EN ZONE RURALE

Eric Michoux, maire d’Epervans
(Saône-et-Loire), brigue un troi-
sième mandat d ans sa commune de
1.664 âmes, dotée d’un budget de
900.000 euros, toute proche de
Chalon-sur-Saône. Président-fon-
dateur du groupe Galilé, fort de
15 entreprises affichant un chiffre
d’affaires de 90 millions d’euros et
un effectif de 550 salariés, l’élu
dynamise sa commune en misant
sur la formation professionnelle.
Un axe qu’il connaît bien en tant
qu’entrepreneur. Un quartier récent
de 18 petites maisons réservées à
des seniors valides accueille depuis
2016 une école de cuisine pour per-
sonnes en rupture scolaire ou
d’emploi. Des promotions de huit se
forment au CAP de cuisine en
six mois. L’enseignement est délivré


« La désertification
des campagnes n’est
pas inéluctable,
car ces apprentis
formés ici [en CAP
cuisine, NDLR] sont
incités à reprendre
des restaurants,
des brasseries...
en milieu rural. »
ERIC MICHOUX
Maire d’Epervans

Marion Kindermans
@MaKindermans
avec les correspondants Didier
Hugue, Hubert Vialatte, Stéphane
Frachet et Stanislas du Guerny


- AU SEIN D’ALÈS AGGLOMÉ-
RATION, JALIL BENABDILLAH
(SDTECH) GAGNE LA CON-
FIANCE DES ENTREPRENEURS

Fondateur et dirigeant de SDTech,
PME industrielle spécialisée dans
la micronisation, l’analyse et le trai-
tement des poudres fines, Jalil
Benabdillah est depuis 2014 vice-
président d’Alès Agglomération
(Gard) délégué au développement
économique.
Une double casquette qui a servi
pour accélérer des projets d’entre-
prises locales, comme les futures
plateformes logistiques de S Group
et de Bastide 1880. Pour que les diri-
geants, qui avaient des possibilités
foncières ailleurs, ne partent pas,
l’élu s’est rapproché de la préfecture
pour accélérer la constructibilité
des terrains et les é tudes préalables.
« Je connais les difficultés rencon-
trées par les entrepreneurs, pour les
avoir vécues moi-même, lors de
l’extension de SDTech »,
pointe Jalil
Benabdillah. « Il a activé tout son
réseau pour mettre en avant notre
projet à la manière d’un élu-entre-
preneur »,
applaudit aujourd’hui
Alexandre Coulet, PDG de S Group.
Sensibilisé à la nécessité des
réseaux, cet infatigable promoteur
des PME a lancé en 2014 l’initiative
Café Croissance. Un rendez-vous
mensuel pendant lequel des entre-
prises ouvrent leurs portes à leurs
pairs, ainsi qu’aux pouvoirs publics
et à la presse. « Beaucoup de voisins
ne se connaissent même pas dans les
zones d’activités. Le fait que je sois
entrepreneur a contribué à convain-
cre les entreprises de jouer le jeu, elles
ne pouvaient pas m’accuser d e mani-
pulation politique! »
Jalil Benab-
dillah fait par ailleurs venir de nom-
breux patrons sur le territoire
d’Alès, labellisé Territoire d’indus-
trie. L’action amène à passer les
frontières.
En voyage au Japon, en 2016, avec
la délégation de la région Occitanie,
il a échangé avec les actionnaires
nippons de NTN-SNR (roulements
mécaniques), qui exploite un site
industriel à Alès, mais dont le main-
tien d’une partie de l’activité était en
suspens. « Je suis allé montrer le sou-
tien d’une collectivité à l’entreprise.
C’est un point très important pour les
investisseurs au Japon. Le fait que je
sois aussi entrepreneur dans les
micropoudres, dans un pays où les
nanotechnologies sont très dévelop-
pées, a ajouté à ma crédibilité d’élu. »


plus de vingt minutes par interve-
nant en général. » L’homme sait
faire preuve aussi de fermeté dans
le choix des équipes, et favorise les
résultats. Elu président de l’inter-
communalité en 2014, il a écarté
sans état d’âme le directeur général
des services, puis un autre. « Pour
ces postes-là, nul besoin d’avoir des
experts du droit ou de la finance. J’ai
choisi un ancien sportif, qui était
devenu le chef du s ervice d es sports, et
qui avait mené à bien un projet
d’équipement à 15 millions d’euros. »

- BRUNO LE BESCAUT
(VAPRAN) APPLIQUE SES
RÈGLES DE MANAGEMENT
D’ENTREPRISE À SA MAIRIE
DE LOUDÉAC

Bruno Le Bescaut a été élu maire
(centre gauche) de Loudéac
(Côtes-d’Armor) en 2016, après
l’éclatement de la majorité de son
prédécesseur. Dirigeant de la société
Vapran, qui fabrique des produits à
base de sang animal, Bruno Le Bes-
caut a aussi été pendant des années
directeur d’autres sites industriels
en Bretagne. « Cette expérience de
chef d’entreprise m’a beaucoup aidé
dans le management de la commune,
des équipes, mais aussi au niveau
technique, car je suis ingénieur de for-
mation »,
précise Bruno Le Bescaut,
qui se présente à sa succession.
Au niveau communal, il a mis en
place des comptes rendus « synthé-
tiques et réguliers »
qui permettent à
lui et à son équipe d’adjoints de
mieux gérer les projets. Il a aussi
clairement positionné leurs fonc-
tions, « ce ne sont pas des chefs de ser-
vice, mais des élus. Ce n’est pas à eux
de régler les problèmes du terrain, ils
donnent le cap et vérifient »,
insiste
Bruno Le Bescaut.
Il rencontre très régulièrement
les dirigeants de sa commune, peu-
plée d’un peu moins de 10.000 habi-
tants. « On parle le même langage, je
comprends leurs dossiers et leurs
demandes e ffectuées auprès de la ville,
cela facilite la réalisation des projets »,

indique encore Bruno Le Bescaut. Il
applique à la mairie une autre règle
inspirée de son expérience de diri-
geant : « Dans l’entreprise, il faut aller
vite, je ne laisse jamais traîner un dos-
sier. Pour la commune, j’applique
cette même méthode. »
n


lPlus de 6 % des maires sont des entrepreneurs.


lZoom sur quatre de ces élus-patrons, qui expliquent en quoi les bonnes recettes de la gestion d’entreprise peuvent


servir lorsque l’on pilote en même temps le développement d’une commune ou d’un territoire.


COLLECTIVITÉS
LOCALES


« Dans l’entreprise,
il faut aller vite,
je ne laisse jamais
traîner un dossier.
Pour la commune,
j’applique cette
même méthode. »
BRUNO LE BESCAUT
Maire de Loudéac

Jalil Benabdillah.
Photo DR

Eric Michoux.
Phot o Romuald
Meigneux/Sipa

Bernard Paineau.
Phot o Studio Dupitier

Bruno Le Bescaut.
Phot o Ville de Loudéac

PME & REGIONS


Les Echos Lundi 24 février 2020

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