Les Echos - 24.02.2020

(lily) #1

04 // FRANCE Lundi 24 février 2020 Les Echos


plafonnement italien, globale-
ment plus élevé que le français,
sauf pour les très petites entrepri-
ses, ne permet pas « d’obtenir une
réparation adéquate, proportion-
nelle au préjudice subi » , y compris
du fait de la durée des procédures,
mais aussi qu’il n’est pas « de
nature à dissuader le recours aux
licenciements illégaux ».
Deux réclamations, fondées sur
une argumentation similaire à
celle de la CGIL, ont été adressées
au Comité européen des droits
sociaux, par FO et par la CGT. Elles
sont en cours d’instruction, mais
la décision qui vient d’être publiée
après, déjà, une condamnation de
la Finlande, n’est pas de bon
augure pour le gouvernement
français. « Il s’agit non seulement
d’une victoire pour les travailleurs
italiens mais également pour les
travailleurs français » , a salué
Force ouvrière vendredi.

Pas de risque juridique
immédiat
Cette décision ne fait pas courir de
risque juridique immédiat à la
barémisation inscrite dans le Code
du travail par la réforme de 2017.
Les décisions du comité n’ont pas
de force exécutoire et dans l’avis
que la Cour de cassation a pro-
noncé en juillet 2019 (en assem-
blée plénière), celle-ci a affirmé
que l’article 24 de la Charte euro-
péenne n’est pas d’application
directe. C’est-à-dire qu’il ne peut
pas être invoqué dans un conten-
tieux entre particuliers, en l’occur-
rence entre un employeur et un
salarié. « Même si la Cour de cassa-
tion venait à confirmer à nouveau
que la Charte n’est pas applicable
directement dans les litiges entre
particuliers, un salarié pourrait
engager une action en responsabilité
contre l’Etat du fait du préjudice créé
en raison du non-respect de ses enga-
gements internationaux » , note la
chercheuse Tania Sachs, maître
de conférences en droit à l’univer-
sité Paris-Nanterre. Le feuilleton
n’est pas près de s’arrêter.n

Leïla de Comarmond
@leiladeco

Décidément, l’Italie est souvent au
menu des débats sociaux hexago-
naux. Il y a quelques jours, faisant
le point sur la réforme des retrai-
tes, le Premier ministre Edouard
Philippe a annoncé que le calcul
des droits acquis sera calqué sur
celui que la péninsule avait
adopté. Celle-ci s’est invitée plus
discrètement sur un autre sujet
sensible : celui du barème de d om-
mages et intérêts en cas de licen-
ciement abusif, mesure phare de
la réforme du Code du travail
d’Emmanuel Macron en 2017.
La contribution est cette fois-ci
indirecte, mais elle constitue une
forme d’avertissement à l’exécu-
tif. I l s’agit d’une décision p rise par
le Comité européen des droits
sociaux le 11 septembre, qu’il vient
de publier sur son site. En
mars 2015, l’Italie a voté l’instau-
ration d’un tel barème dans le
cadre de son « Job Act ». Le CEDS
a été saisi en octobre 2017 par l’un
des principaux syndicats italiens
d’une réclamation sur cette dis-
position, q ui a d’ailleurs f ait l’objet
d’une censure d e la Cour c onstitu-
tionnelle en septembre 2018.
Appuyée par la Confédération
européenne des syndicats, la CGIL
estimait que la mesure violait la
nouvelle loi de la Charte sociale
européenne, notamment son arti-
cle 24, qui affirme « le droit des tra-
vailleurs licenciés sans motif vala-
ble à une indemnité adéquate ». Le
comité lui a donné raison. Dans sa
décision, le CEDS considère que le

Se lon le Comité européen
des droits sociaux, le
barème de dommages et
intérêts en cas de licencie-
ment abusif mis en place
en Italie en 2015, proche de
celui voulu par Emmanuel
Macron, ne permettait pas
« d’obtenir une réparation
adéquate, proportionnelle
au préjudice subi ».

Barème des


prud’hommes :


avertissement européen


d’amorçage sous-estimés, pour les
locaux par exemple. L’amélioration
de la situation des ex-chômeurs est
indéniable, mais pas suffisante
pour justifier la généralisation dans
les conditions de fonctionnement
actuelles, a conclu le comité scienti-
fique ad hoc mis en place avec la loi
avant d’appeler, tout comme l’Igas
et l’IGF, à creuser le sujet avec le
ministère du Travail avant de tran-
cher la suite.
Plusieurs réunions ont eu lieu
depuis mi-novembre pour parfaire
l’analyse, et la ministre du Travail,
Muriel Pénicaud, est censée préci-
ser tout cela prochainement.n

Le dispositif Territoires zéro chômeur


adoubé avec prudence par le gouvernement


Dis-moi ce dont tu souffres et je te
dirai qui tu es, c omment tu v is, ou ce
que tu penses des institutions. Le
Centre de recherche pour l’étude et
l’observation des conditions de vie,
le Crédoc, vient de publier les résul-
tats détonants d’une enquête décla-
rative réalisée à l’hiver 2018 sur les
sources de mal-être dans la société,
la typologie et le comportement des
personnes concernées, et qui –
rétrospectivement – explique plus
encore l’ampleur du mouvement


des « gilets jaunes ». Il en ressort
qu’un Français sur trois est affecté
par un des six f acteurs de vulnérabi-
lité passés à la loupe : pauvreté,
santé dégradée ou handicap, chô-
mage ou sous-emploi, mal loge-
ment, i solement ou relégation t erri-
toriale. Un autre tiers est affecté par
deux o u plus de ces facteurs. Ce sont
donc deux t iers de la population q ui
sont confrontés à au moins une de
ces sources de fragilité.

Chiffres sous-estimés
« Il nous semble que c’est un résultat
en soi très important » , commentent
les auteurs de l’enquête, comme
s’ils étaient surpris. Il l’est d’autant
plus q ue les c hiffres s ont « probable-
ment » sous-estimés, estiment-ils :
les personnes les plus en difficulté
ne sont pas prises en compte (SDF,

prisonniers, hospitalisés...), de
même que d’autres sources de fragi-
lités – discriminations, illettrisme
ou violences, notamment.
L’originalité de l’enquête, expli-
que le Crédoc, ne porte pas sur
l’analyse des sources de mal-être
prises séparément, étude déjà lar-
gement faite. On sait également
qu’un problème en appelle souvent
un a utre : une personne pauvre a d e
grandes chances de s’isoler ou de
tomber malade, par exemple. Outre
le recensement des populations
affectées, les chercheurs vont plus
loin en essayant de comprendre
comment les maux se combinent
ou pas entre eux, ce qui leur permet
de définir sept groupes aux profils
différenciés.

Défiance envers le pouvoir
Le premier groupe concerne le tiers
de la population pour qui tout va
bien. Par rapport à la population
prise dans son ensemble, les seniors
sont plus représentés, de même que
les cadres, les diplômés du supé-
rieur, ou les propriétaires. Ils par-
tent (évidemment) plus en vacan-
ces. Et ce sont eux qui affichent la
plus grande confiance envers le
gouvernement et les institutions.
A l’autre extrémité, il y a ceux
(11 % de la population) qui cumu-
lent plusieurs sources de fragilité
autour d’une situation de relégation
territoriale. Diplômes plus bas que
la moyenne des Français, plus mar-

qués par le chômage, moins bien
payés, plus pessimistes ou de santé
moins bonne, ils affichent la plus
forte défiance vis-à-vis du pouvoir
pour régler les problèmes. Ecole,
justice ou police ne trouvent plus
grâce à leurs yeux. Bien plus que les
autres Français, les « relégués »
espèrent des changements radi-
caux de la société et comprennent
qu’o n puisse faire usage de la vio-
lence pour cela.

Entre ces deux groupes, le Cré-
doc en décrit cinq autres, chacun
défini par un problème dominant
(santé pour 15 % de la population,
emploi pour 8 %, pauvreté pour 8 %
également, logement pour 12 % et
isolement pour 11 %), auquel s’ajou-
tent plus ou moins d’autres. Il en
ressort que le genre, le niveau de
qualification, le métier ou encore
l’âge sont des déterminants s tructu-
rants. D e même que la capacité à tis-
ser des relations. — A. R.

L’étude qui plonge aux sources du mal-être


de la société française


Santé, pauvreté, précarité
professionnelle ou encore
isolement : deux Français
sur trois sont affectés
par une au moins
des six sources de fragilités
passées à la loupe
par le Crédoc.


Bien plus
que les autres, les
« relégués » espèrent
des changements
radicaux de la société
et comprennent
qu’on puisse faire
usage de la violence
pour cela.

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Le Premier ministre a annoncé jeudi soir en toute discrétion, à l’issue d’un comité interministériel aux ruralités, l’extension
de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Photo Sébastien Bozon/AFP

Les chiffres clés


26.
EUROS
Ce que coûterait chaque
emploi avec le dispositif EBE.

5.
EUROS
Les gains par personne
pour les finances publiques,
selon une évaluation réalisée
fin novembre 2019.

Alain Ruello
@AlainRuello


Saluant un bilan « très positif » , le
gouvernement a annoncé jeudi soir
en toute discrétion, à l’issue d’un
comité interministériel aux rurali-
tés, l’extension de l’expérimenta-
tion Territoires zéro chômeur de
longue durée dès cette année, sans
autre détail. Les promoteurs de
cette expérimentation, l’ex-député
socialiste Laurent Grandguillaume
et l’association ATD Quart Monde
en tête, apprécieront même si leurs
espoirs seront en partie douchés :
seuls quelques-uns des 100 territoi-
res dans les starting-blocks seront
autorisés à s’engager, selon nos
informations. Parce que le coût et
les bénéfices de ce projet aussi
ambitieux qu’iconoclaste dans
l’univers des politiques publiques
de l’emploi font débat?


Issu d’une loi de 2016, le projet
s’inscrit dans ce que les spécialistes
appellent « l’activation des dépen-
ses passives ». Le principe? Réaf-
fecter les p restations, l es manques à
gagner en termes de cotisations ou
d’impôts et autres externalités
négatives (dépenses de santé par
exemple) liées au chômage au pro-
fit d’emplois. Dix territoires ont été


sélectionnés (Colombey en Meur-
the-et-Moselle, Paris 13e, Thiers
dans le Puy-de-Dôme...) dans les-
quels ont été créées des entreprises
dites « à but d’emploi » ou EBE. La
loi leur fixe un but précis : embau-
cher en CDI et au SMIC tous les chô-
meurs de longue durée volontaires
de leurs zones.
Les EBE assument leurs charges
majoritairement grâce au transfert
des allocations publiques complé-
tées par des subventions, le chiffre
d’affaires dégagé par leurs activités
(ressourcerie, services forestiers,
couture, conciergerie de quartier,
réparations d iverses...) é tant appelé
à prendre le relais en partie avec le
temps. Fin 2018 (le dernier chiffre
connu), l’expérimentation a donné
lieu à 770 embauches en EBE sur les
2.030 personnes privées durable-
ment d’e mploi rencontrées, dont
1.849 volontaires.
Le hic, c’est que les gains pour les
finances publiques, sans être négli-
geables, ne s ont p as à la hauteur des
promesses, selon les évaluations de
mi-parcours réalisées fin novem-
bre par les Inspections générales
des finances et des affaires sociales :
entre 4.600 et 5.000 euros par per-
sonne, a u lieu des 1 0.800 o u
12.700 euros calculés p ar la structure
qui porte le projet. Résultat, chaque
emploi EBE coûterait 26.000 euros
et non pas 18 .000 euros, ce que
l’association conteste là encore.

Amélioration indéniable
En cause, selon les évaluateurs, le
fait que nombre de personnes
embauchées n’étaient pas chô-
meurs de longue durée, d’où une
moindre économie en prestations
sociales. Qui plus est, les liens entre
le chômage et les externalités néga-
tives sont loin d’être prouvées. A
cela s’ajoutent des investissements

lSaluant un bilan très positif,


le gouvernement a décidé d’étendre


cette année le dispositif de lutte


contre le chômage de longue durée.


lMais seuls quelques territoires


supplémentaires seront concernés.


SOCIAL


L’amélioration


de la situation


des ex-chômeurs


est indéniable,


mais pas suffisante


pour justifier


la généralisation.

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