Les Echos - 24.02.2020

(lily) #1

Gabriel Grésillon
@GGresillon
—Bureau de Bruxelles


« No us avons travaillé très dur,
mais il nous faut plus de temps. »

Charles Michel, le Belge qui pré-
side la réunion des chefs d’Etat et
de gouvernement européens, a
dû se rendre à l’évidence, ven-
dredi soir : le sommet européen
extraordinaire consacré au bud-
get européen s’est terminé sur un
échec. Près de 36 heures de négo-
ciations n’auront pas permis de
résoudre la quadrature du cercle
au sujet du budget 2021-2027 :
donner à l’Europe un budget
ambitieux alors même que le


Brexit l’ampute d’une soixan-
taine de milliards d’euros sur sept
ans... et que plusieurs pays sont
bien décidés à ne pas payer plus.
« Les différences sont trop gran-
des » , a sobrement constaté
Angela Merkel, la chancelière
allemande.

Prise d’otage
Dès le début de la journée,
l’ambiance était tendue et le pessi-
misme palpable. Rien ne semblait
entamer la fermeté des pays dits
« frugaux », ceux qui refusent de
consacrer p lus de 1 % d e leur revenu
national b rut (RNB) au futur b udget
européen, tout en exigeant de gar-
der leurs « rabais ». Les Pays-Bas, le
Danemark, l’Autriche et la Suède
restaient groupés dans leurs ren-
contres avec les autres dirigeants,
refusant la moindre rencontre bila-
térale avec Charles Michel. L’A lle-
magne jouait une partition plus
constructive, cherchant un com-
promis tout en affichant des posi-
tions très proches de ce groupe de
pays. Sebastian Kurz, le Premier
ministre autrichien, laissait toute-
fois poindre un peu d’espoir, louant

les qualités de la proposition de
compromis mise sur la table par
Charles Michel.
Pour la France, cette attitude
avait tout de la prise d’otage : elle
consiste à imposer d es coupes dras-
tiques dans diverses politiques
européennes – et en particulier
dans la cohésion et la PAC, ce que
refuse catégoriquement Paris. « Ce
n’est pas la PAC qui peut payer pour
le Brexit » , a résumé Emmanuel
Macron en quittant les lieux.
Paris a pu jouer sur son statut
hybride dans c ette conversation : en
tant que « contributeur net », c’est-
à-dire en tant que pays donnant
plus au budget européen qu’il ne
reçoit, la France n’est pas sourde
aux arguments de ceux qui veulent
limiter les dépenses. Mais en tant
que grand bénéficiaire de la PAC
notamment, elle se f ait le porte-voix
de nombreux pays qui, au con-
traire, refusent toute diminution
des fonds européens.
Dans l’après-midi, il devenait de
plus en plus évident que les « fru-
gaux » avaient « sous-estimé la réac-
tion de certains pays » , selon une
source européenne. Alors que la

proposition de Charles Michel évo-
quait un budget à 1,074 % du RNB
(soit 1.094 milliards d’euros sur sept
ans), Viktor Orbán jetait un pavé
dans la mare. Le Premier ministre
hongrois affirmait que de nom-
breux pays se rapprochaient désor-
mais de la position du Parlement
européen, maximaliste, consistant
à fixer le budget à... 1,3 % du RNB.
Une stratégie de quasi-provocation
destinée à placer les pays « fru-
gaux » devant les limites de leur
attitude d’obstruction.

« Le temps presse »
Une nouvelle proposition circulait,
sur une initiative de la Commission
européenne : très légèrement
inférieure, en montant, aux propo-
sitions de Charles Michel (à 1,069 %
du RNB), elle rognerait sur certai-
nes politiques. Le s patial e n pâtirait,
de même que le projet de mobilité
militaire (censé permettre, par un
réseau autoroutier, un plus rapide
déplacement de troupes en
Europe). En revanche, la PAC
verrait les paiements directs aug-
menter de 2 milliards d’euros sur
sept ans par rapport à la proposi-

tion précédente. Une source pari-
sienne précise que « ce serait un
progrès, mais nous n’y sommes pas
encore ».
A l’évidence, le sentiment
d’urgence n’a pas été suffisant pour
débloquer le jeu. « Pour certains
pays frugaux, il est peut-être néces-
saire de passer d’abord par une crise
avant de pouvoir, politiquement,
faire un pas dans la direction d’un
compromis » , anticipait une source
diplomatique quelques heures
avant le constat d’échec.
Reste que le prix politique à payer
pourrait être élevé, aux yeux de
leurs pairs européens. A la fin de la
réunion, la présidente de la Com-
mission européenne, Ursula von
der Leyen, a prévenu : « Le temps
presse. » Et mis en garde contre le
fiasco que représenterait une inca-
pacité des Vingt-Sept à s’entendre
rapidement : dès 2021, ce sont tous
les grands financements euro-
péens, d’Erasmus à la recherche,
qui seraient en danger.

(


Lire l’éditorial
de Lucie Robequain
Page 15

EUROPE


Le Conseil européen
extraordinaire
consacré au budget
2021-2027 de
l’Union européenne
s’est terminé, vendredi
soir, sans accord.


Budget : les Européens se séparent sur un échec


Les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas été capables de dépasser leurs divergences. P hoto Yves Herman/AP/Sipa


à sa succession et évoquer le calen-
drier de ce processus. « Il faut être
prudent avec ce type de symbole, je
doute que des décisions définitives
soient annoncées » , anticipe Tilman
Mayer, politologue à l’université de
Bonn. L’ex-dauphine d’Angela Mer-
kel aurait d’autant moins intérêt à se
hâter que son parti est plongé dans
une crise identitaire inédite. En
annonçant vendredi dernier leur
soutien à l’élection du représentant
de l’extrême gauche Bodo Ramelow
à la tête de la Thuringe, en échange
d’un report de nouvelles élections en
avril 2021, les élus régionaux chré-
tiens-démocrates ont, de fait, de
nouveau provoqué l’ire des cadres
du parti à Berlin.
« Il y va d e la crédibilité de la CDU en
Allemagne. Toute personne qui votera
en faveur de M. Ramelow pour qu’il
devienne chef du gouvernement régio-
nal se mettra en infraction avec les

résolutions de la CDU » , a prévenu
samedi le secrétaire général du parti
Paul Ziemiak. Lors de son congrès
fin 2018, la CDU avait réaffirmé le
principe de s’interdire toute alliance
avec les partis d’extrême droite
comme d’extrême gauche.

« Coopération limitée »
Alors que l’aile droite de la CDU
reproche à Angela Merkel son
virage social, une alliance avec
l’extrême gauche serait une nouvelle
provocation et du pain béni pour
l’AfD. Appréciés du courant le plus
conservateur de la CDU, Friedrich
Merz, comme Jens Spahn, deux des
quatre candidats à la succession
d’Annegret Kramp-Karrenbauer,
ont d’ailleurs appuyé Paul Ziemiak.
Jens Spahn a renouvelé le souhait
que des élections régionales inter-
viennent au plus vite. Compte tenu
du poids de l’AfD et de Die Linke en

Thuringe, aucune majorité n’est en
effet possible sans eux. Les élus chré-
tiens-démocrates de la région veu-
lent cependant éviter à tout prix de
nouvelles élections rapides, car leur
précédente alliance avec l’AfD début
février pour élire l e candidat libéral à
la tête du Land les a fait dégringoler
autour de 10 % dans les intentions de
vote. Ils assurent donc désormais

qu’il ne s’agit pas d’élire activement
Bodo Ramelow, mais de s’entendre
sur « une coopération limitée dans le
temps et axée sur des projets pour le
bien de la Thuringe ».
Cette nuance ne devrait pas
convaincre au siège berlinois, alors
même que le candidat de Die Linke
s’est dit confiant samedi quant à son
élection prévue le 4 mars. La direc-

tion de la CDU craint en outre qu’un
scrutin au printemps 2021, quelques
mois seulement avant les élections
fédérales, ne fragilise davantage le
parti. En renonçant à la présidence,
Annegret Kramp-Karrenbauer a
pris acte de son incapacité à réunir
ces intérêts divergents. Il lui revient
pourtant de résoudre ce casse-tête
existentiel.n

Ni non Renaud
@NinonRenaud
—Correspondante à Berlin


L’Allemagne célèbre ce lundi
« Rosenmontag », point culminant
de la saison du carnaval. Coïnci-
dence du calendrier, Annegret
Kramp-Karrenbauer a choisi cette
date pour présenter les prétendants


EUROPE


Les élus du parti
chrétien-démocrate en
Thuringe ont annoncé
leur soutien à un chef de
gouvernement intéri-
maire d’extrême gauche
en échange du report
d’un an d’un nouveau
scrutin régional.


En Allemagne, la CDU s’enfonce dans une crise existentielle


« Les différences
sont trop
grandes ».
ANGELA MERKEL
Chancelière allemande

Les conservateurs paient à Hambourg le prix fort
de leur valse-hésitation
Les tentatives d’alliance de la CDU en
Thuringe avec le parti d’extrême droite (AfD)
puis avec l’extrême gauche (Die Linke) ont
désorienté ses électeurs. Les chrétiens-démo-
crates ont ainsi enregistré une claque histori-
que à Hambourg dimanche, ne totalisant que
11,5 % des voix, en recul de plus de 4 points sur
cinq ans. Les manœuvres de l’AfD en Thu-
ringe l’ont par ailleurs fait passer sous les 5 %

nécessaires pour siéger au Parlement régio-
nal. A l’inverse, les Verts ont plus que doublé
leur score, à 25,5 %, deuxième meilleur résul-
tat de leur histoire. Cette performance leur
assure une influence renforcée aux côtés du
SPD. Bien qu’en recul de près de 8 points, à
37,5 %, celui-ci conserve la direction de la
ville-Etat. Un soulagement pour la nouvelle
présidence du parti.

MONDE


Lundi 24 février 2020 Les Echos

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