Les Echos - 24.02.2020

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08 // MONDE Lundi 24 février 2020 Les Echos


du Sud. La Russie, la Mongolie et le
Kazakhstan ont déjà fermé le pas-
sage aux voyageurs venant de
Chine tandis que l’Afghanistan, le
Pakistan et la Turquie viennent de
faire de même avec l’Iran.
Un second obstacle pour les
autorités médicales est que l’on
explique parfois difficilement la
chaîne de contamination. L’Italie,
dont le nombre de patients a qua-
druplé en une journée samedi,
recense des cas de malades qui
n’ont pas été en contact avec une
personne venue de Chine. « Si l’épi-
démie atteint l’Europe, je veux que
nous soyons pleinement opération-
nels. Je suis particulièrement atten-
tif à la situation en Iran, en Corée du
Sud où le nombre de cas a ugmente et,
plus près de nous, en Italie où un
malade est décédé sans avoir été en
Chine ni en contact connu avec un
autre malade », a déclaré dimanche
au « Parisien », Olivier Véran,
ministre de la Santé.

Manque d’infrastructures
La troisième difficulté tient à ce
que les pouvoirs publics – qui ont
souvent cherché à être d’abord
rassurants avant de prendre des
mesures autoritaires – risquent
d’être p ris au dépourvu. Face à une
pandémie, les Etats sont loin d’être
égaux. Tedros Adhanom Ghe-
breyesus, directeur général de
l’OMS, a prévenu vendredi que
l’institution redoutait « le potentiel
de dissémination du Covid-19 dans
les pays où les systèmes de santé
sont plus fragiles ». Selon une
étude du « Lancet » publiée mer-
credi à laquelle l’Inserm a parti-
cipé, certains pays c omme
l’Egypte, l’Algérie et l’Afrique du
Sud sont des portes d’entrée pro-
bables du virus en Afrique du fait
de l’importance des échanges

aériens avec les provinces chinoi-
ses contaminées, mais ils sont
aussi les mieux équipés pour
détecter les nouveaux cas.
En revanche, « dans d’autres
pays d’Afrique, le risque d’importa-
tion du virus est plus faible mais les
carences sanitaires font craindre
une diffusion rapide » , soulignent
les auteurs. Ils citent notamment
le Nigeria (dont la capitale Lagos

abrite 20 millions d’habitants),
l’Ethiopie, le Soudan, l’Angola,
la Tanzanie, le Ghana
et le Kenya. Un seul cas a pour l’ins-
tant été recensé en Egypte, mais le
manque d’infrastructures en Afri-
que « pour la détection, le confine-
ment, l a prise en charge d es malades
[...] fait craindre un risque d’épidé-
mie sur le continent » , prévient Vit-
toria Colizza, directrice de recher-
che Inserm.
Pour l’instant, « l’impact sur
l'économie mondiale serait relative-
ment mineure et éphémère » , a
estimé samedi à Riyad la d irectrice
du Fonds monétaire international
Kristalina Georgieva. L’épidémie
devrait amputer la croissance de
l’économie mondiale de –0,1 % en
2020 et ramener celle de la Chine à
5,6 %. Des fonds spéciaux pour-
raient être mis par le FMI à la dis-
position des pays les plus pauvres.

(


Lire nos informations
Pages 25 et 29

L’épidémie de coronavirus devient

une urgence mondiale

l La hausse de patients en Corée du Sud, en Italie et en Iran prouve une accélération de la maladie hors de Chine.


lL’ interruption du carnaval de Venise, dimanche, est symptomatique des mesures prises dans plusieurs pays.


et à Milan. Un décret-loi spécial
adopté par le gouvernement prévoit
le recours éventuel à l’armée
et la mobilisation de toutes les for-
ces de l’ordre nécessaires pour limi-
ter au strict minimum les déplace-
ments de la population. Environ
52.000 personnes résident à proxi-
mité du foyer principal, qui se
trouve autour de Codogno, à 60 kilo-
mètres de Milan.

Villes fantômes
Les entreprises, les établissements
scolaires et les lieux publics reste-
ront fermés dans les 11 localités
concernées, qui ressemblent déjà à
des villes fantômes. Seules les phar-
macies et les centres commerciaux
sont demeurés ouverts quelques
heures ce week-end pour permet-
tre à la population de se ravitailler.
Tous les évènements publics (car-
navals, compétitions sportives,
concours ou sorties scolaires) ont
été annulés. Certaines entreprises
envisagent déjà de placer leurs sala-
riés en chômage technique, tandis
que d’autres, tels que Vodafone ou
Enel, ont recours le plus possible au

assurant à elles deux 31 % de son
PIB et 40 % de ses exportations. Ces
deux régions avaient déjà com-
mencé à ressentir les effets du coro-
navirus avec 80 % des acheteurs
chinois qui n’ont pas participé à la
dernière Fashion Week de Milan
et le carnaval de Venise, qui enregis-
tre des pertes d e 22 millions
d’euros. Celui-ci a d’ailleurs été
annulé dimanche, deux jours plus
tôt que prévu. Les secteurs touristi-
ques et hôteliers évaluent à 40 %
environ la baisse de leur activité ces
prochains mois avec un net recul
des réservations.
Les syndicats demandent à être
reçus d’urgence par le gouverne-
ment pour mettre au point un plan
de soutien aux entreprises en diffi-
cultés. L’exécutif envisage d’appli-
quer les mesures habituellement
mises en œuvre à la suite de catas-
trophes naturelles avec un mora-
toire sur les impôts et les prêts
bancaires pour les PME-PMI les
plus touchées. Un fonds pour l’ins-
tant compris entre 10 et 20 mil-
lions d’euros sera prochainement
instauré.n

L’ Italie prise dans le piège


Olivier Tosseri
@OlivierTosseri
—Correspondant à Rome


« No us ne transformerons pas l’Italie
en un lazaret. »
Giuseppe Conte ne
veut pas placer le nord du pays en
quarantaine, mais a annoncé la
mise en isolement d’au moins 11 vil-
les, principalement en Lombardie.
« Dans les zones considérées comme
des foyers, ni l’entrée ni la sortie ne
seront autorisées, sauf dérogation
particulière »
, a précisé le président
du Conseil à l’issue d’un Conseil des
ministres nocturne extraordinaire
pour faire le point sur l’épidémie de
coronavirus qui sévit en Italie, pays
européen le plus touché. Elle a
causé la mort de trois personnes,
tandis que 149 patients sont conta-
minés avec des cas recensés en
Emilie-Romagne, dans le Piémont


Le coronavirus, qui a causé
pour l’instant 3 victimes,
touche la Lombardie,
la Vénétie et le Piémont
avec une centaine de
personnes contaminées.


Virginie Robert
@virginierg


Causes méconnues, dangerosité
parfois létale, mécanismes de
propagation incertaines, une
chose est désormais sûre : le
coronavirus, rebaptisé
« Covid-19 », se propage rapide-
ment hors de Chine. La Corée du
Sud vient de monter son niveau
d’alerte au maximum alors que le
nombre de ses malades a été mul-
tiplié par 20 en cinq jours. L’Italie
a recensé trois morts, 149 cas
confirmés, et est le premier pays
d’Europe à mettre des municipa-
lités en quarantaine. A ce jour, un
peu moins de 79.000 personnes
ont été touchées, dont 77.
pour la seule Chine. Quelque
1.150 malades ont jusqu’ici été
recensés dans 29 autres pays,
notamment au Japon où le décès
un troisième passager du paque-
bot « Diamond Princess » a été
annoncé dimanche (630 person-
nes i nfectées). L’épidémie a causé
2.442 morts en Chine, 24 en
dehors de ses frontières.
Les autorités sanitaires dans le
monde entier doivent mainte-
nant se confronter à trois réalités.
La première est que l’on n’a pas de
connaissance réelle du niveau de
contagion. Vendredi, une étude
publiée par le centre des mala-
dies infectieuses de l’Imperial
College estime « qu’environ les
deux tiers des cas de Covid-19 sortis
de Chine sont restés indétectés au
niveau mondial ».


Contamination
L’OMS s’inquiète de son côté de la
vitesse à laquelle s’est propagé le
virus en Iran et de sa transmission
vers d’autres pays, dont le Liban.
En Israël, plus de 200 écoliers vien-
nent d’être assignés chez eux en
quarantaine après avoir été en con-
tact avec des pèlerins sud-coréens.
« Nous nous interrogeons sur le ris-
que potentiel de plus de cas exportés
dans l es jours à venir »
, a déclaré S yl-
vie Briand, directrice du départe-
ment Préparation mondiale aux
risques infectieux à l’OMS. De n om-
breux pays sont en train de fermer
leurs frontières, à l’instar de la Jor-
danie pour les non-ressortissants
venant d’Iran, de Chine et de Corée


INTERNATIONAL


Yann Rousseau
@yannsan
—Correspondant à Tokyo

Il y a une semaine encore, la
Corée du Sud pensait être passée
au travers de la crise du corona-
virus Covid-19 qui paralyse la
Chine. Le pays n’avait alors
recensé qu’une trentaine de cas
de contaminations sur son terri-
toire, et le président Moon Jae-in
appelait déjà le pays à oublier
cette séquence d’inquiétude
pour relancer l’économie.
Dimanche, le leader sud-coréen
a dû reprendre la parole pour
annoncer que la nation passait
en mode d’alerte maximale
pour répondre à l’envolée sou-
daine du nombre d’infections.
En cinq jours seulement, ce
bilan a été multiplié par... vingt
pour dépasser les 600 contami-
nations dimanche soir, ainsi que
cinq décès liés à la maladie.
« Nous sommes maintenant à un
tournant décisif. Les prochains
jours vont être cruciaux » , a lancé
Moon Jae-in, à l’occasion d’une
réunion d’urgence regroupant
plusieurs de ses ministres.

602 infections
Malgré un système de détection
efficace et un réseau de santé de
qualité, la Corée du Sud peine
désormais à mesurer l’étendue
de l’épidémie. Le pays s’inquiète
particulièrement de la diffusion
de la maladie parmi les fidèles
d’une secte chrétienne contro-
versée baptisée « l'Eglise Shin-
cheonji de Jésus », dont le leader
se présente en un « second
Jésus ». Sur les 602 infections
recensées, 329 concernaient des
personnes ayant assisté, ces der-
nières semaines, à des offices de
ce mouvement dans la ville de

Le nombre de contami-
nations a été multiplié
par 20 en cinq jours
dans le pays
pour dépasser
les 600 malades.

La Corée du Sud passe


en alerte rouge


Covid-19 : la France se prépare


Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a déclaré diman-
che au « Parisien » que le pays se préparait à une possi-
ble épidémie. A Bercy, on prévoit de « maintenir toutes
les mesures » d’étalement de charges, d’activité partielle
ou de dérogations sur les heures supplémentaires qui
avaient été mises en place lors du mouvement des gilets
jaunes et des grèves contre la réforme des retraites.
D’autres mesures pour soutenir les entreprises françai-
ses qui pourraient être en difficulté sont envisagées.
Trois secteurs ont été identifiés comme les plus
à risque : automobile, luxe et aéronautique.

télétra vail. Le Mido, le plus impor-
tant Salon international de la lunet-
terie, qui devait s’ouvrir le 29 février
prochain à Milan, a été reporté.
Le gouvernement s’inquiète des
conséquences sur l’économie du
pays, qui enregistre déjà un fort
ralentissement. A quelques kilomè-
tres au nord de Codogno se trou-
vent les sièges de l’ENI, Saipem
Snam. Plus au sud, l’un des plus
grands centres de logistique Ama-

zon en Italie est installé. L’industrie
agroalimentaire et le secteur méca-
nique de l’Emilie-Romagne toute
proche pourraient être menacés.
L’épidémie a pour l’instant frappé la
Lombardie et la Vénétie, les deux
poumons économiques de l’Italie,

Une dizaine de villes
et 52.000 personnes
dans la zone de foyer
principal de la
maladie ont été
placées en isolement.

Daegu, au sud-est du pays. Le
Centre coréen de contrôle et de
prévention des maladies coréen
(KCDC) estime qu’une fidèle de
61 ans – baptisée « patient 31 »
dans les documents officiels – a
contaminé plusieurs dizaines de
personnes dans la chapelle ou
les locaux de la secte avant de
prendre conscience de sa pro-
pre contamination au coronavi-
rus. N'ayant pas séjourné récem-
ment à l'étranger, elle pensait
souffrir d'un simple rhume.

Le gouvernement a mobilisé,
au fil du week-end, des dizaines
de médecins ainsi que 600 poli-
ciers ou soldats à Daegu pour
« traquer » les membres de cette
église, les placer à l’isolement et
les tester rapidement avec
l’espoir d’éteindre le principal
foyer de propagation de la
péninsule. Mais il n’aurait pu,
selon le journal « Maeil Busi-
ness », retrouver la trace de
670 fidèles et redoute dès lors
une diffusion du coronavirus à
toutes les régions.
En décrétant un niveau
d’alerte maximale, l’exécutif
sud-coréen s’octroie automati-
quement de nouveaux pouvoirs.
Il peut désormais, s’il le juge
nécessaire, limiter les opéra-
tions des transports en com-
mun, réduire le nombre de vols
commerciaux ou encore inter-
dire de grands événements
publics. Le gouvernement a déjà
annoncé qu’il allait décaler d’au
moins une semaine la rentrée
dans les maternelles, écoles pri-
maires, collèges et lycées du
pays. Les cours auraient norma-
lement dû reprendre le 2 mars
prochain.n

Le gouvernement
a déjà annoncé qu’il
allait décaler d’au
moins une semaine
la rentrée scolaire.
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